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LE COMMERCE DE L’ALIMENTATION ET DE LA RESTAURATION ALIMENTAIRE

Étude de cas — comment la chaîne d’hôtels citizenM est entrée dans l’industrie hôtelière après avoir découvert un océan bleu

 
31 mai 2018 | Par Christian Latour | Chasseur de connaissances | Mérici Collégial Privé

LA CHAÎNE D’HÔTELS citizenM

Le texte qui suit, écrit par les professeurs W. Chan Kim et Renee Mauborgne, explique comment la chaîne d’hôtels citizenM est entrée dans l’industrie hôtelière après avoir découvert un océan bleu. [1]

« S’il a jamais existé un océan rouge, c’est bien dans l’industrie hôtelière », assure Michael Levie, cofondateur de citizenM Hôtels. « Elle est rouge de chez rouge. » Les hôtels quatre étoiles proposent à peu près les quatre cinquièmes de ce qu’offrent les cinq étoiles. Les trois étoiles à peu près les trois quarts de ce qu’offrent les quatre étoiles, et ainsi de suite jusqu’aux une étoile, qui ne donnent que moitié autant que les deux étoiles. C’est-à-dire que tous se font concurrence essentiellement sur la même série de critères, en quantité plus ou moins élevée. « Dans cette industrie, note Michael Levie, les gens pensent avoir innové dès qu’ils changent la couleur de la peinture sur les murs ou le type de chocolat déposé sur l’oreiller. » Dans ce contexte, Michel Levie et Rattan Chadha, PDG, cofondateur et principal actionnaire de citizenM, ont entrepris en 2007 d’ouvrir une nouvelle frontière valeur-coût pour attirer la masse croissante des voyageurs fréquents les citoyens mobiles, qu’ils se déplacent à titre professionnel, pour une tournée de courses le week-end ou pour explorer un nouvel endroit. Nouveaux entrants dans l’industrie hôtelière, ces deux entrepreneurs voulaient créer un océan bleu avec une chaîne hôtelière d’un nouveau genre.

Analyse de la situation

À propos des citoyens mobiles, Rattan Chadha, Michael Levie et leur équipe remarquèrent que beaucoup d’entre eux fréquentaient soit des trois étoiles, soit des hôtels de luxe. Ils se dirent qu’il pouvait exister une opportunité d’océan bleu à cheval sur ces deux groupes stratégiques (deuxième piste) et voulaient comprendre pourquoi les grands voyageurs choisissaient les hôtels de luxe plutôt que les trois étoiles, et vice versa.

Plusieurs observations s’imposèrent alors.

En voici un aperçu tel que présenté par Kim et Mauborgne (2017, p. 225-226)

« — Pourquoi choisissez-vous un hôtel cinq étoiles plutôt qu’un trois étoiles ? Pour le prix ?

—  Le prix ? Non. Qui a envie de payer plus cher ?

—  Alors, est-ce à cause des bagagistes et des portiers ? Ils sont bien plus sympathiques d’ordinaire dans les hôtels cinq étoiles.

—  Ça se peut. Mais ce n’est pas pour cela que je choisis des cinq étoiles plutôt que des trois étoiles. Pour moi, les bagagistes ont tendance à prendre trop de temps pour vous monter vos bagages, et puis j’ai toujours l’impression de devoir allonger un pourboire. Les bagagistes sont assurément utiles si vous avez beaucoup de bagages. Mais comme je voyage souvent, je voyage léger. Par commodité et par simplicité, je préfère porter mon sac moi-même. Pareil pour les portiers. Il est peut-être bien qu’il y en ait, mais je ne choisis pas un cinq étoiles à cause d’eux.

—  Pour la réception, alors ?

—  Non, même dans un cinq étoiles, vous devez généralement patienter. Et puis, quand vous vous enregistrez, vous avez l’impression que la personne qui officie vous calcule, qu’elle vous juge. Je déteste ça.

—  Et le concierge ? Influence-t-il votre décision ?

—  Non. Avec Google Maps et les applis de restaurants et de voyage, je trouve moi-même ce que je veux plus vite et plus facilement qu’en demandant à un concierge. D’ailleurs, la plupart des concierges utilisent ces services, maintenant.

—  Est-ce parce que vous préférez les restaurants des cinq étoiles à ceux des trois étoiles ?

—  Non. Il est bien qu’ils en aient. Mais j’ai tendance à manger au-dehors, car les hôtels cinq étoiles sont très bien situés.

—  Donc l’emplacement compte ?

—  Oui, les très bons emplacements comptent beaucoup dans ma décision. Les hôtels cinq étoiles se trouvent en général dans des endroits, remarquables et c’est ce que je recherche.

—  Le service en chambre ?

—  Le service en chambre est d’ordinaire cher et lent. Je ne l’utilise qu’en cas de nécessité.

—  Quid d’Internet et du téléphone ?

—  C’est vraiment ma bête noire. Quand vous séjournez dans les hôtels de luxe, vous payez déjà très cher. Or beaucoup d’entre eux gonflent l’addition en vous facturant Internet et le téléphone è des tarifs prohibitifs. Ce qui compte pour moi n’est pas la taille de la chambre. C’est un bon lit, de bons draps, le calme et une bonne douche. Avec du débit, SVP !

—  Quel est le plus gros inconvénient des hôtels trois étoiles qui vous dissuade d’y descendre ?

—  Ils ne sont pas terribles, c’est tout. Ils sentent l’institutionnel et la médiocrité. La sensation de luxe, de beauté, de qualité, voilà surtout pourquoi je choisis des hôtels cinq étoiles. »

En bref, malgré tous les critères sur lesquels l’industrie hôtelière se bat et d’après lesquels elle se classe, trois critères seulement s’avéraient décisifs dans le choix des voyageurs fréquents en faveur des cinq étoiles au lieu des trois étoiles : la méta impression de luxe et de beauté qu’ils y ressentaient, le luxe plus grand des chambres et leur emplacement de premier ordre.

Inversement, quand l’équipe voulut savoir pourquoi les gens choisissaient un hôtel trois étoiles plutôt qu’un cinq étoiles, le prix s’imposa comme le critère le plus courant, suivi par un autre : les cinq étoilent paraissaient souvent trop guindés et prétentieux.

« Ils sont trop collet monté. C’est comme si vous deviez être habillé comme ceci et vous comporter comme cela pour être dans le ton. Je les trouve trop élitistes, pas assez relax pour moi. »

Pour transformer ces observations en actions claires et en stratégie concrète, l’équipe s’astreignit à les traduire en critères spécifiques à exclure, atténuer, renforcer ou créer. Ce faisant elle commença à distinguer plusieurs constantes intéressantes. Par exemple ni les clients des cinq étoiles ni ceux des trois étoiles ne considérant la réception, la conciergerie, les bagagistes ou les portiers comme essentiels dans leur décision d’achat. L’équipe comprit que la réception n’apporte pas de valeur aux clients, elle ne fonctionne qu’à l’avantage des hôtels pour enregistrer et traiter les gens et les paiements. De même, pour les voyageurs fréquents qui voyagent léger presque tout le temps, les bagagistes étaient considérés comme superflus et souvent même comme importuns. Quant au concierge, la plupart des voyageurs fréquents maîtrisaient les technologies et préféraient trouver eux-mêmes trajets, restaurants et points de vue.

« Nous pourrions éventuellement exclure ces critères, se dit l’équipe, et cela n’aurait pas de véritable incidence sur la valeur pour les voyageurs les plus fréquents — qu’ils descendent aujourd’hui dans des cinq étoiles ou des trois étoiles — tout en allégeant notre structure de coûts. »

Les dimensions des chambres pourraient aussi être atténuées sans affecter véritablement la valeur, car les gens y passent rarement beaucoup de temps. Il n’échappa pas à l’équipe que si les chambres étaient plus petites, il serait possible d’en loger plus dans le même nombre de mètres carrés afin de mieux rentabiliser l’espace.

« Le luxe signifie un cadre excellent pour dormir, pas une taille de chambre, comprit l’équipe. Puisque l’espace coûte cher, il est possible de faire des économies significatives en construisant des chambres plus petites. En revanche, renforçons la qualité de l’aménagement avec des lits king-size, du linge délicat, une bonne isolation sonore, des grandes serviettes voluptueuses et des douches étonnantes : nous ravirons les hôtes tout en maintenant notre coût par chambre au-dessous de la moyenne de la profession. »

Les équipiers continuèrent leur travail d’interprétation des enseignements récoltés auprès du marché et constatèrent qu’ils pourrait créer de nouveaux types de valeurs.

« Si nous éliminons la réception, ne pourrions-nous pas adapter et utiliser des kiosques en libre-service où les hôtes pourraient s’enregistrer eux-mêmes sans faire la queue ? Et pourquoi ne pas les compléter en remplaçant le personnel de réception par des ‘ambassadeurs’ polyvalents qui, d’une manière chaleureuse et bienveillante, expliqueraient le fonctionnement des kiosques et proposeraient leur aide ? »

« Si nous n’avons ni réception, ni concierge, ni bagagiste, pourquoi aurions-nous besoin d’un hall traditionnel, qui est au fond un gaspillage d’espace ? Ne pourrions-nous pas créer à la place un espace de vie commune où les hôtes pourraient manger, boire, se rencontrer, travailler et jouer librement à tout moment, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, comme ils peuvent le faire chez eux ? Si cet espace de vie est confortable, reposant, mais aussi étonnamment beau, le besoin de beauté et d’inspiration des amateurs de luxe sera satisfait immédiatement, dès leur entrée dans l’hôtel, comme le sera aussi le besoin de simplicité et de modestie des clients des trois étoiles. »

En 2008, avec le lancement de son premier hôtel à l’aéroport Shiphol d’Amsterdam, citizenM a ouvert une nouvelle frontière valeur-coût de luxe abordable pour les grands voyageurs. L’entreprise n’a pas tardé à ouvrir des établissements aussi dans de grandes villes comme Londres, Paris et New York. Considérez les faits suivants. Ses hôtels obtiennent les meilleures notations par les clients de l’industrie hôtelière, qui les rangent dans la catégorie “fabuleux” et “superbe” aux côtés d’hôtels cinq étoiles. Pourtant, leurs tarifs les rendent accessibles aux clients des trois étoiles. Il en résulte un taux d’occupation de 90 % sur l’ensemble de ses hôtels — soit pas moins de 80 % de plus que la moyenne de l’industrie. Quant aux coûts par chambre, ils sont inférieurs d’à peu près 40 % à ceux de la moyenne des hôtels quatre étoiles, tandis que le coût du personnel est 50 % plus bas que celui de l’industrie, ce qui est stupéfiant. citizenM fait mieux que tous les acteurs traditionnels, sa rentabilité au mètre carré est à peu près double de celle des hôtels haut de gamme comparables. Aujourd’hui, la chaîne citizenM continue à s’étendre dans les grandes villes du monde.

« Chic, high-tech et bon marché », « une révolution d’un jour à l’autre » et « une forme de religion », voilà quelques-uns des compliments lus à propos de citizenM dans la presse après son initiative océan bleu.


Information complémentaire qui aide à comprendre le cheminement « océan bleu » de la chaîne d’hôtels citizenM


MÉDIAGRAPHIE

Manuel de gestion-réflexion / Christian Latour


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Notes

[1Cette étude de cas est extraite de : Kim, W. Chan et Mauborgne, Renée. (2017, p. 224-229). Cap sur l’Océan Bleu au-delà de la concurrence. Paris : Pearson.

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