Le MEV-WEB, une « occasion manquée » ?
Revenu Québec commence dès cet automne à remplacer les modules d’enregistrement des ventes (MEV) par une nouvelle solution infonuagique, le MEV-WEB. Si sa venue vient corriger des lacunes de l’ancienne technologie, certains restaurateurs dénoncent plusieurs limitations du nouveau système.
Obligatoires depuis 2011 dans les restaurants et depuis 2016 dans les bars, les MEV sont sur le point de disparaître de derrière les comptoirs de la province, progressivement remplacés par une solution infonuagique à partir du 1er novembre prochain. Les restaurateurs auront ensuite jusqu’au 31 mai 2025 pour implanter la nouvelle solution. Revenu Québec, qui gère le programme, a mis en place un projet pilote avec plusieurs restaurateurs pour roder la solution avant son déploiement à grande échelle.
Le principal avantage du MEV-WEB du point de vue des restaurateurs est sa nature infonuagique, qui élimine le recours aux terminaux physiques sur lesquels repose le MEV traditionnel. « Ça va quand même faire une différence, car les MEV se vendent à environ 2000 $ chacun. Si on a plusieurs caisses ça finit par faire beaucoup de frais », remarque Tony Tannous, propriétaire des restaurants La Galette Libanaise, qui participe au projet pilote.
De plus, la nouvelle solution élimine le besoin de produire des rapports de ventes mensuels et de les envoyer à Revenu Québec. « Ça, c’est certain que c’est un gros bonus pour tous les types de restaurants, ça enlève une étape qui nous permet de simplifier nos systèmes et ça rend la vie un peu moins compliquée pour tout le monde », explique Nathalie Ouellette, directrice des technologies de l’information et des systèmes de restauration pour le groupe Saint-Hubert, qui participe aussi au projet pilote.
La facture papier, là pour rester
Au-delà de ces deux points, qu’il considère tout de même comme une bonne avancée, Tony Tannous reste très critique de la solution dans son ensemble. « Elle fonctionne bien, elle fait ce qu’elle doit faire et elle fait mieux que le MEV actuel, mais la technologie qui est déployée est déjà dépassée », analyse-t-il.
D’emblée, il déplore que le MEV-WEB n’élimine pas la facture papier, alors que les solutions permettant de remettre des factures électroniques sont nombreuses et bien implantées sur le marché depuis de nombreuses années. « On va encore avoir besoin d’imprimantes et des fils qui viennent avec, et les gens vont encore être obligés de passer par la caisse pour payer. Ça limite vraiment ce que l’on peut faire », dénonce-t-il.
De plus, bien qu’il conserve l’obligation de pouvoir remettre une facture papier aux personnes qui le désirent, le MEV-WEB devait théoriquement permettre d’offrir l’option d’envoyer des factures par courriels. Or, à quelques semaines de son lancement, la solution ne permettait toujours pas de le faire, selon le restaurateur. Contacté à ce sujet, Revenu Québec nous a toutefois répondu que cette fonctionnalité allait bel et bien faire partie de la nouvelle solution et que les imprimantes ne seraient nécessaires que si « un client choisit de recevoir [la facture] sur support papier ».
Un défi d’intégration
Pour le groupe Saint-Hubert, comme chez la plupart des gros joueurs de l’industrie, la principale difficulté avec le MEV-WEB réside dans son implantation. « Nos systèmes sont très complexes et c’est quand même un grand changement, autant pour notre écosystème informatique que pour notre façon de fonctionner sur le plancher », explique la directrice.
Un défi qui n’est pas seulement celui des grandes chaînes, prévient Tony Tannous. En effet, la plupart des restaurants, peu importe leur taille, composent avec plusieurs solutions différentes pour prendre des commandes et faire des paiements, des systèmes de points de vente (POS) traditionnels aux agrégateurs de livraison comme Uber Eats et Doordash.
Or, ces solutions ne seront pas toutes compatibles avec le nouveau MEV-WEB, du moins pas à court terme. Il n’est pas non plus garanti que ces intégrations soient un jour rendues possibles par les fournisseurs de solutions, car le Québec représente un petit marché et ces adaptations peuvent s’avérer coûteuses. « Pour les gros qui ont des programmeurs travaillant à temps plein, il y a toujours moyen de s’arranger et faire ce que l’on veut, mais pour les petits ça limite vraiment ce qu’on peut faire° », déplore le propriétaire de La Galette Libanaise.
Devant cette critique, Revenu Québec précise que les commandes prises à l’intérieur de systèmes non compatibles avec le MEV-WEB pourront toujours être inscrites manuellement dans le nouveau système.
Quoi qu’il en soit, pour Tony Tannous, l’avènement du MEV-WEB reste une occasion manquée. « La solution n’est même pas implantée et on a déjà un retard technologique par rapport à ce qui se fait ailleurs, conclut-il. On installe ça et c’est comme si on était en 2008 ; le pire c’est qu’on va être pris avec ça pendant encore au moins dix ans. »