HRImag rencontre Ferran Adrià à Montréal
En visite à Montréal afin de recevoir un diplôme honorifique de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ), Ferran Adrià a accepté de présenter une conférence dans le cadre des Grandes Rencontres de l’ITHQ, sous le thème « La cuisine comme langage » à ce qui devait d’abord être une poignée d’étudiants et d’enseignants de l’école. L’enthousiasme et l’engouement soulevés par cette nouvelle ont forcé les responsables à déplacer la présentation à la salle Pierre-Mercure, dont la capacité de près de 800 places a été vite comblée par les nombreux diplômés, restaurateurs et passionnés de gastronomie québécois. Le magazine Hôtels, Restaurants & Institutions était sur place pour la conférence et a eu la chance de rencontrer la légende en personne le temps de quelques questions !
Malgré les nombreuses reconnaissances accumulées avec le temps, c’est avec beaucoup d’humilité que le célèbre chef a d’emblée déclaré « Je ne sais rien de la cuisine, ou alors qu’un tout petit peu plus que vous qui n’en savez qu’un tout petit peu plus que les autres. Mais je ne sais rien ». En retraçant les origines de la cuisine à l’époque de l’Homo erectus et de la découverte du feu (il y a environ 3 millions d’années), M. Adrià a toutefois précisé que les 100 dernières années ont été plus prolifiques au niveau de la création culinaire, que toutes les années précédentes réunies. Il n’en demeure pas moins que ces origines sont à la base des influences qui ont modelé l’évolution culinaire. Les créateurs de la cuisine que nous connaissons sont ceux qui ont conceptualisé certaines recettes. Le chef Adrià a offert en exemple le cas de l’omelette, qu’il a utilisé à plusieurs reprises lors de sa présentation. « Celui qui a eu l’idée de casser l’œuf, de le battre et de le cuire dans une poêle pour en faire une “galette” ronde, a conceptualisé l’omelette ». Puis, tout le monde y a ajouté sa touche et ses ingrédients favoris. Le conférencier a donc invité les étudiants présents à réfléchir au type de cuisine qu’ils souhaitent faire : « Inventer l’omelette » ou « reproduire l’omelette » ? Le fait est que très peu de chefs contemporains inventent de nouveaux concepts comme il l’a lui-même fait avec sa cuisine d’avant-garde. Pour être un grand chef, il faut avoir de l’influence sur les autres. Or, selon M. Adrià , il n’y aurait actuellement au monde qu’environ cinq de ces grands. Pour n’en citer que quelques-uns, il a nommé Pierre Gagnaire, Nobu Matsuhisa et Michel Bras.
Bien entouré
Alors qu’il a vu défiler près de 4 000 cuisiniers dans les cuisines du restaurant elBulli, le chef Adrià ne manque pas d’éloges à l’endroit de l’équipe dont il fait partie. « Ce n’est pas MON équipe, je fais PARTIE de cette équipe. Et c’est ensemble que nous avons forgé l’idéologie El Bulli » a-t-il précisé avant d’offrir à l’assistance une (trop) courte vidéo du dernier jour au restaurant elBulli, témoignant de l’esprit qui régnait en cuisine jusqu’au 30 juillet dernier.
Nombreux anciens stagiaires, occupant aujourd’hui les premières places du palmarès des meilleurs restaurants au monde, étaient présents lors de cet ultime service qui a pris des allures de fête au moment de présenter le dernier plat. Des grands noms comme Joan Roca, Massimo Bottura, Andoni Luis Aduriz, Grant Achatz, Jose Andrés et René Redzipi, nouveau numéro un mondial depuis 2010, succédant à El Bulli avec le Noma. M. Adrià n’est pas peu fier de cette belle brochette de chefs qui confirment tous avoir été influencés par lui. Il précise tout de même « Ce que fait René Redzipi aujourd’hui au Noma, c’est ni plus ni moins ce que je faisais dès les débuts de El Bulli : de la cuisine d’avant-garde, mais appliquée au terroir danois plutôt qu’à celui de la Catalogne. »
Fin du restaurant, mais pas de elBulli
N’allez surtout pas dire en la présence de Ferran Adrià qu’il a fermé elBulli ! Le restaurant, oui. Mais pas El Bulli, qui deviendra dès 2014 une fondation. Fondation dont les locaux sont en préparation et dont on a également présenté les images mardi matin. Salle d’archives, centre de créativité, salle de réunion et cuisine (celle-là même qu’il utilise depuis des années). Rien de traditionnel, aussi travaille-t-il avec un architecte d’avant-garde pour créer des espaces ultras écologiques au design jamais vu. « Je sais, c’est fou ! Mais elBulli est fou ! » Lance-t-il. C’est un centre de créativité dont on parle, ça ne peut pas être ordinaire, avouons-le !
Ferran Adrià a soutenu un rythme de travail acharné, arrivant le premier en cuisine à 9 h tous les matins depuis les 15 dernières années, pour n’en ressortir qu’à 2 h du matin toutes les nuits. « Je n’arrive pas au resto en Ferrari, je n’ai pas d’attaché de presse, pas d’équipe marketing » répond-il à un jeune étudiant qui lui demande comment il a réussi à ne pas craquer devant son énorme succès. « Le succès n’est pas le fruit du hasard ou de la chance, a poursuivi le chef. Travail, travail, travail. C’est tout. Rien de mystique là-dedans ! » Voilà quelques leçons de maître qui ne sont pas passées inaperçues !
Ainsi, lassé du rythme et déçu de ne pouvoir servir que 7 000 personnes par année, il se concentre désormais sur la mise en place de son centre de recherche. « Les chefs du monde entier seront invités à suivre nos travaux sur Internet et pourront ensuite partager la cuisine El Bulli avec un plus grand nombre de personnes » se réjouit-il.
Sur la photo : Ferran Adrià en conversation avec Sonia Carufel, rédactrice en chef du magazine HRI.
Photos @ Pierre Beauchemin, ITHQ
Ciquez ici pour lire l’article à propos du diplôme Honoris Causa décerné par l’ITHQ à Ferran Adrià.
