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Schwartz’s, 90 ans plus tard

 
8 mai 2018 | Par Alexandra Duchaine

1928. Sur le boulevard Saint-Laurent, à l’angle de l’avenue des Pins, des familles juives roumaines font leurs courses. Les enfants sautillent sur le trottoir pendant que leurs parents s’affairent à gorger leurs sacs de pains et de viandes, qu’ils dévoreront la semaine suivante. Des petits commerces qu’ils visitent au cours de leur promenade, il ne reste presque plus rien. À quelques exceptions près, dont un petit restaurant de smoked meat sans prétention, précieux vestige du quartier hébraïque : le Schwartz’s.

Le gérant du comptoir à charcuterie, Frank Silva, avait 18 ans lorsqu’il a pour une première fois lavé la vaisselle du 3895. « Mon père travaillait ici, il coupait le bœuf. Un jour, il m’a demandé de remplacer un employé malade. 37 ans plus tard, je suis toujours ici », rigole le gestionnaire.

L’homme a occupé tous les postes avant qu’on ne le nomme à la tête du restaurant, il y a 20 ans. Il cumulait des semaines de 70 heures, faisait des pieds et des mains pour que la file à la porte ne se raccourcisse jamais, pour que le commerce continue de vendre 1000 livres de viande par jour. Bien qu’il ait ralenti la cadence, il affirme passer, encore aujourd’hui, bien plus de temps derrière les fumoirs que chez lui. « C’est ici, ma maison », déclare-t-il en ricanant. Une maison dont il se sent le patriarche, puisque tous les membres de l’équipe, il les a lui-même recrutés, à l’exception d’un homme qui y travaille depuis plus longtemps.

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Multiculturalisme
Chez Schwartz’s, les 50 employés forment une « grande famille », selon Frank Silva. Des frères et des sœurs déracinés, issus de l’immigration, qui s’épaulent et se conseillent dans cette dure épreuve qu’est l’arrivée au Canada. « Tout le personnel est d’origine étrangère. J’ai engagé un Jamaïcain, un Iranien, un Grec, un Italien, un Mexicain, un Indien, un Philippin, un Sri Lankais, un Bangladais… », énumère-t-il fièrement.

Son accent ne dément pas : il est lui-même né à l’extérieur du pays, dans un petit village près de Porto, au nord du Portugal. Ses parents se sont installés au Québec lorsqu’il était âgé de huit ans. Recrute-t-il des immigrants parce qu’il est sensible à leur condition ? « Non, je recrute des nouveaux arrivants parce qu’ils ont envie de travailler, parce qu’ils restent même si le rythme et les horaires en restauration sont difficiles », avoue-t-il sans gêne.

Son équipe est à l’image de la clientèle, originaire des quatre coins du monde. Plus de 80 % des visiteurs du Schwartz’s sont des voyageurs étrangers qui ont découvert l’institution montréalaise dans des guides touristiques ou sur les médias sociaux. Pour souligner les 90 ans de l’établissement, dont l’anniversaire est célébré cette année, Frank Silva a installé une affiche dans la vitrine, sur laquelle il remercie les gourmands d’être toujours au rendez-vous. « Je les remercie dans toutes les langues, même dans des langues que je ne connais pas », ricane-t-il.

Souvenirs
Le Québécois n’a jamais rencontré M. Schwartz’s. Aux dires de son père, c’était un homme méchant et dur, très sévère envers ses employés, froid avec la clientèle. Il était aussi très radin. Il ne voulait jamais dépenser un sou. « Il ne voulait pas investir dans des agents de conservation, il a développé une recette mêlant épices, sel, poivre, moutarde, ail, pour garder la viande plus longtemps. Il ne voulait pas acheter de trancheurs automatiques, on coupait tout à la main », cite en exemple Frank Silva. La qualité et l’unicité des sandwichs au bœuf de Schwartz’s sont une conséquence de l’avarice de son fondateur.

Au restaurant, les techniques de cuisson et de coupe n’ont pas changé. Tout est fait à l’ancienne. Si M. Schwartz’s revenait à la vie, il connaîtrait tout de même quelques surprises : des photos qui aident les touristes à déchiffrer le menu, de la poutine sur la carte pour répondre à leurs demandes, de nouvelles recettes de moutarde, des ordinateurs… et une clientèle hollywoodienne dont il n’aurait jamais eu vent.

Frank Silva a rencontré des personnalités bien connues, comme Ryan Gosling. Il se souvient parfaitement de ce jour où, un après-midi, la belle actrice Halle Berry lui a touché le bras. Il a servi des acteurs politiques canadiens, comme Paul Martin, Stéphane Dion ou Jean Chrétien. Pierre Trudeau et Jacques Parizeau s’asseyaient régulièrement au restaurant.

Après 37 ans à l’emploi, Frank Silva est-il dégoûté à l’idée de manger du smoked meat ? « Jamais ! », répond-t-il en criant. Le voici bien convaincu.

Renseignements :

(Crédit photo : Schwartz’s)

Mots-clés: 06 Montréal
Histoire
Entrevue
Restauration

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