Je côtoie des restaurateurs, hôteliers et acteurs des HRI depuis plus de 35 ans. Cela donne presque deux générations de gestionnaires, déjà ! Quand j’ai commencé, je parlais d’un secteur de passionnés, d’artistes et d’entrepreneurs dans une industrie encore en évolution. Mais qu’en est-il, aujourd’hui, après cette période d’apprentissage et de progression des façons de faire, de gérer et d’exploiter ?
Pour l’hôtellerie, on a vu le parc hôtelier bien évoluer, des motels en bord de route aux établissements dûment établis et dotés de standards définis et évolutifs. Du côté des services alimentaires, les personnes embauchées ont su dynamiser les RPA, les CHSLD et autres établissements de restauration et d’hébergement non commerciaux pour offrir de superbes expériences pour tous.
En restauration, la situation est beaucoup plus difficile, même si les chaînes ont mis en place des balises de gestion, de RH et d’exploitation assez contrôlées. Les indépendants, quant à eux, peinent à gérer la situation de façon professionnelle, de peur de perdre le côté artiste et familial, ou simplement par manque de temps et de ressources. On retrouve en effet encore beaucoup de lacunes en matière d’exploitation administrative et organisationnelle. Cette situation ne va pas aider l’industrie à être prise au sérieux par les diverses autorités qui nous gouvernent et nous financent.
Je persiste et signe : il n’y a pas trop de restaurants ; il y a trop de restaurateurs amateurs.
Pensez donc davantage en gestionnaires pour pouvoir garder aussi le côté artiste bien présent sur la scène des HRI !
Alors que le panonceau étoilé devant les établissements d’hébergement est en voie d’être supprimé par l’adoption imminente d’une nouvelle loi, un sondage réalisé par la firme Léger nous apprend que 87 % des Québécois veulent garder ce mode de classification.
Du côté de la restauration, les acteurs du milieu se plaignent souvent de l’objectivité de leurs distributeurs d’étoiles – les critiques culinaires –, surtout quand ils ne reçoivent pas le commentaire dithyrambique attendu. Si leur nombre chute radicalement (la faute en partie à la crise des médias), les blogueurs amateurs ont profité de la plateforme offerte par Internet pour occuper l’espace laissé vacant. Ils ne font cependant pas toujours l’unanimité, du fait notamment de leur manque d’expertise.
La clientèle prend aussi la plume de son côté, profitant des microtribunes qu’offrent les réseaux sociaux, Google Reviews ou encore Tripadvisor de ce monde. Là encore, si un joli commentaire offre un coup de pouce positif, certains internautes s’en donnent à cœur joie pour régler des comptes personnels au moyen de critiques incendiaires.
Alors, les étoiles et notes des établissements ont-elles toujours leur place et leur pertinence ? Sinon, sans les faire disparaître, faudrait-il peut-être modifier le système ? Car après tout, rien ne se perd, tout se transforme.
C’est le cas par exemple des motels, hébergements perçus il y a peu comme ringards et qui font leur grand retour entre les mains de jeunes couples d’urbains motivés. Ou encore des superbes édifices patrimoniaux que le gestionnaire immobilier Georges Coulombe remet aux normes en leur redonnant leur éclat d’antan, créant ainsi des hôtels ou cafés dotés d’un charme tout particulier. Ou enfin des influences culinaires autochtones ancestrales qui viennent enrichir les plats d’aujourd’hui.
Bref, tout est cyclique, et pour avancer il ne s’agit pas tant de rompre avec le passé que d’adapter le présent.
Propriétaire et gestionnaire immobilier depuis 1982, Georges Coulombe s’est donné pour mission de conserver des bâtiments du patrimoine québécois, auxquels il redonne une seconde vie bien ancrée dans le présent.
« J’ai toujours rêvé d’un Vieux-Montréal rénové et prospère. Même si on n’est pas encore au niveau que j’aimerais, on a fait un grand pas. » Si Georges Coulombe est un passionné d’édifices patrimoniaux, son amour des vieilles pierres est né de son intérêt pour la culture. Alors jeune graphiste à Alcan, il commence à acheter des peintures puis voyage pendant cinq ans. « J’ai remarqué que les vieux quartiers étaient très prospères, surtout en Europe, note l’homme d’affaires. Quand je suis rentré, j’ai vu un Vieux-Montréal désert et j’ai trouvé ça incompréhensible. »
C’est à cette époque qu’il achète son premier immeuble à rénover. Puis un autre, et encore un autre. « J’étais addict. D’aucuns diront que je suis malade ! C’est comme des coups de foudre : je ne sais pas d’où ça vient. Ma seule condition pour acheter : tomber en amour, confie-t-il. Je sauve des bâtiments de la destruction ; en général, les gens veulent les démolir pour faire des stationnements… » Il s’intéresse ensuite aux vieilles usines du sud-ouest de la métropole, puis à des édifices de La Petite-Patrie et HoMa, pour les transformer en bureaux ou ateliers.
Le gestionnaire a également racheté des bâtiments à Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson et à Saint-Jean-sur-Richelieu. À Montréal, sa société vient de terminer la rénovation de l’Immeuble Rodier et de la Tour France Film, dans le Quartier des spectacles. Chaque fois, le défi est de conserver les bâtiments en les adaptant aux besoins actuels, « de garder l’idée de l’architecte tout en étant capable d’y vivre », résume l’homme d’affaires, qui collabore notamment avec Héritage Montréal. Pour lui, la préservation du passé architectural passe par la restauration intelligente et la mise aux normes des édifices.
Un hôtel qui se démarque
Georges Coulombe compte parmi ses locataires quelques restaurants et hôtels, dont le Crew Collective & Café, installé dans une ancienne banque du Vieux-Montréal, et le nouveau Manoir StoneHaven, dans les Laurentides. Cette superbe adresse aménagée dans le premier sanatorium du Québec propose un cadre victorien et intimiste. « L’hôtel, c’est un autre monde que j’ai découvert avec le StoneHaven. On m’a présenté cet édifice et je suis tombé en amour, se rappelle l’acheteur. Je ne suis pas tellement pour parquer les vieux dans des bâtiments, donc c’était naturel d’y faire un hôtel ; et un hôtel qui se démarque des autres. » Fasciné par les hôtels du début du siècle où les gens revenaient chaque année passer deux semaines au bord de la mer, Georges Coulombe se laisse guider par cette idée. Le StoneHaven ne mise donc pas sur les activités ou le jeu, mais plutôt sur le repos, la lecture ou encore les promenades en forêt.
Les pièces de l’hôtel ont été aménagées avec des meubles de la collection de Georges Coulombe, qui achète directement ses meubles en Amérique du Nord et en France. « Je vais chercher chaque pièce, car on n’en trouve pas beaucoup de ce type à Montréal, et je les fais restaurer, explique-t-il. Au Québec, les beaux meubles ne se trouvent presque que dans les musées ! » On croise ainsi à l’espace bar un Steinway avec système d’eau ou encore des lampes Tiffany’s dans la salle à manger. « On ne peut pas mettre des toiles de 50 000 $ dans les chambres, mais on essaie de dénicher le tableau qui va convenir pour créer une atmosphère dans chaque pièce, ajoute Georges Coulombe. Tout le monde apprécie ce qui est beau, même sans éducation. Un beau meuble bien placé amène le respect... »
Le gestionnaire suit les grandes étapes d’aménagement de l’hôtel, sans pour autant se mêler de l’administration quotidienne. Pour cela, il fait confiance à la solide équipe qu’il a mise sur pied (Marie-Josée Denis de l’Hôtel Rive Gauche à la direction ; le chef de L’Atelier de Joël Robuchon Éric Gonzalez à la cuisine ; etc.) Saguenéen d’origine – et chevalier de l’Ordre du Bleuet –, Georges Coulombe a ainsi restauré plus de 30 bâtiments anciens. On lui demande donc où il trouve le temps de faire ses escapades chez les antiquaires au milieu de tout ça : « On a le temps qu’on veut ! Les fins de semaine, je cours les encans, et c’est un plaisir. Je ne suis pas un gars de bateau ou de vacances, conclut-il. La pandémie nous a interrompus, mais on va recommencer les affaires. D’ailleurs, on est en discussion pour acquérir un autre hôtel… »
Alors que Québec s’apprête à abolir le système de panonceau étoilé qui classe les établissements hôteliers, une partie du milieu le considère encore comme bouclier efficace contre le chaos des avis en ligne sur Google et TripAdvisor. Pendant ce temps, dans le secteur de la restauration, les étoiles octroyées par la clientèle sur ces sites font regretter la présence d’une presse gastronomique compétente, en voie de disparition. État des lieux.
Faut-il faire la guerre aux étoiles, ou accepter pleinement leur présence et les utiliser comme outils marketing à part entière ? Pas si simple de répondre à cette question dans un monde où l’opinion populaire tend à les faire revenir en force et à les rendre incontournables, même si leur usage décline dans les médias de masse et au sein des organes de classification officiels. Si les étoiles n’ont plus la même valeur, elles persistent durablement.
Pour sa part, l’attestation de classification de la Corporation de l’industrie touristique du Québec (CITQ) vit peut-être ses derniers jours. Elle est « dépassée », si l’on en croit la ministre du Tourisme Caroline Proulx, qui a entamé le chantier du projet de loi visant à abolir le système de classification obligatoire. Or, il semble que malgré ses limites et malgré l’imposante réforme qui s’impose pour que les étoiles répondent vraiment aux besoins actuels, le système soit encore chéri par une partie de l’industrie. « On a été surpris de constater que nos membres sont finalement très attachés à ce système, assure Eve Paré, présidente-directrice générale de l’Association des hôtels du Grand Montréal (AHGM). La classification assure aux hôtels un meilleur sentiment de légitimité que les systèmes de classification informelle par les clients. Elle sert aussi à maintenir la qualité et à se positionner dans le marché en fonction d’un standard clair. Les propriétaires hôteliers considèrent que ça les élève vers le haut, que ça les pousse au dépassement. »
On semble penser tout le contraire des avis sur Google, Tripadvisor et autres plateformes des GAFA, perçus comme un mal nécessaire avec lequel il faut composer. S’ils servent parfois aux hôteliers à entrer rapidement en conversation avec un client mécontent pour ajuster le tir et améliorer certaines pratiques – les établissements ont rapidement intégré cette habitude de dialogue qui porte parfois ses fruits –, les avis Google ont le défaut de leurs qualités et se basent trop souvent sur des perceptions erronées ou des critères déraisonnables, pense Eve Paré. « Le client s’appuie sur son expérience personnelle du monde hôtelier, parfois limitée ou peu représentative de l’industrie, ou sur son bagage culturel, très variable d’une personne à l’autre. C’est difficile d’y faire de l’ordre. Et on sait bien que certains avis sont rédigés par des robots ou par des concurrents qui s’amusent à donner de mauvaises notes à leurs compétiteurs… »
N’empêche, ces avis sont peut-être le reflet de ce que croit réellement la clientèle, estime Marc-Olivier Côté, copropriétaire de l’Hôtel Clarendon à Québec. « On est dans une société démocratique où l’on donne le micro à tout le monde. Ça vient avec un risque de dérapage, mais aussi avec des avis favorables et mesurés. Selon notre expérience au Clarendon, les trolls et les commentateurs déraisonnables sont une minorité. Il y a une majorité de gens de bonne foi. Sur Tripadvisor, on trouve tout simplement un reflet du monde dans lequel on vit. Il faut vivre avec. » D’autant que, pour le copropriétaire de cet hôtel attirant une clientèle largement internationale, « on n’a pas le choix d’accepter que ces plateformes soient les seules à être désormais visibles et considérées par notre clientèle en provenance de l’étranger ». Les clients de Madrid ou de New York ne connaissent en effet pas le système de la CITQ et ne font pas les recherches nécessaires pour trouver cette information en ligne.
Réformer au lieu d’abolir
Reste que, dans son histoire, le Clarendon a souvent utilisé le système de classification pour se comparer aux autres et améliorer ses infrastructures et pratiques en fonction d’un standard d’excellence reconnu par le milieu. « On peut supposer que les propriétaires hôteliers font tous pareil, dit Marc-Olivier Côté. Mais pour que cet usage continue, il va sans dire qu’une réforme s’impose. La grille des critères mentionne encore le lecteur VHS parmi la liste des outils technologiques que les hôtels peuvent ou doivent compter dans chaque chambre ! »
Voilà où le bât blesse : après avoir sondé ses membres, l’AHGM a accouché d’une liste d’éléments à améliorer pour rendre la classification vraiment performante. En tête de lice, les propriétaires hôteliers réclament que le processus de mise à jour de la grille de classement soit réalisé en continu pour capter les innovations et nouvelles tendances. « Un comité d’experts composé de membres de l’industrie pourrait se charger de formuler périodiquement des recommandations d’ajustement à la grille, explique Eve Paré. Tout change très vite en hôtellerie. Il est important que les critères de classification ne soient pas un frein à l’innovation ; au contraire, ils doivent être un incitatif. Pour ça, il faut un système qui réagit plus vite et qui reste toujours en phase avec les tendances du monde entier. »
Et, pour contrer le fait que la population et la clientèle internationale connaissent mal le système de la CITQ, rien de mieux qu’une bonne campagne promotionnelle, affirme Eve Paré. « On a échoué à valoriser ce système et à le faire connaître. Rectifions le tir. »
Le Far West au resto
Retournons en mai 2021. Danny St-Pierre vient d’ouvrir Le Pontiac, son nouveau restaurant du Plateau-Mont-Royal. Tout à coup, de très mauvaises critiques apparaissent en ligne. Le chef soupçonne qu’elles ont été rédigées par de prétendus clients qui n’auraient même pas mis les pieds au restaurant. « Aucune vérification de présence n’est effectuée par ces plateformes, alors qu’il est désormais si simple de le faire en utilisant les technologies de géolocalisation, explique-t-il. Et ces critiques font mal. On peut s’imaginer que les gens n’y accordent pas d’importance, mais la réalité est qu’une seule mauvaise note a un impact négatif direct. Ces critiques-là ont un poids gigantesque. »
Le chef a vite contre-attaqué, enjoignant sa clientèle et sa communauté Facebook à répliquer par un assaut massif de critiques positives sur les mêmes plateformes. « Et ça a vraiment bien marché ! » confirme-t-il. Échappé belle. « Je m’en suis sorti cette fois, analyse-t-il. Mais jusqu’où va-t-on devoir aller pour éviter l’hécatombe des avis négatifs arbitraires ? Pour contrer une seule critique négative sans fondement, il faut une affluence incroyable de notes positives. Devrais-je offrir un verre de vin gratuit à chaque client en échange d’un avis favorable ? Rien ne l’empêche. C’est le Far West sur ces plateformes ; on peut manipuler ces médias comme on veut, y’a pas de règles ! Certains restaurateurs ne se privent pas d’adopter des pratiques douteuses. »
Pour contrer le phénomène, le secteur de la restauration ne peut plus compter sur la santé de la critique médiatique, puisque les grands médias font progressivement disparaître la profession. « Quand Marie-Claude Lortie ou Jean-Philippe Tastet publient leurs avis, le milieu applaudit leur rigueur et encaisse même les critiques négatives, appuyées sur une vraie connaissance de la restauration et sur des critères raisonnables. Mais leur présence dans les médias est en déclin », se désole le chef.
Et le milieu de la restauration ne dispose pas, lui, de système de classification officiel ou de label de qualité, un outil que Danny St-Pierre souhaite voir apparaître dans notre paysage. « Ça permettrait à chaque restaurateur de s’aligner sur un standard commun, dit-il. On pourrait aussi en profiter pour créer une grille claire départageant les différentes catégories de restaurants et les normes attendues pour chacun. Au Québec, on n’a pas de nomenclature claire, on pose parfois le même regard sur les cafés que sur les restos à nappes blanches. La confusion règne. » Pas de doute : qu’elles soient ou non le sceau officiel d’une instance reconnue, les étoiles devraient donc continuer de faire partie du paysage.
Dorlotés par les chefs d’ici, le champignon-crabe et le bolet émoustillent les papilles. De plus en plus populaire sur les étals des marchés publics, la chanterelle se fraie un chemin jusqu’aux repas quotidiens des familles québécoises. Le champignon d’ici remplace aussi la viande dans les burgers véganes des chaînes de restauration rapide. Très modeste il y a dix ans, le marché du champignon forestier explose ! Explications.
Pour comprendre le phénomène, rien de mieux que de prendre la route vers Kamouraska. On peut y trouver Kim Côté, chef propriétaire du bistro Côté Est, un passionné de terroir québécois et mycologue à ses heures, par ailleurs très impliqué dans l’organisation du Festival des champignons forestiers de Kamouraska. Surtout, c’est l’un des chefs sachant le mieux cuisiner le champignon d’ici, et d’autres « produits forestiers non ligneux » – ou PFNL. Sur son menu du soir trône fièrement un tataki de phoque au lactaire à odeur d’érable, ce champignon québécois méconnu qui, une fois séché, prend l’odeur et le goût de l’érable (même s’il ne pousse aucunement sur des souches d’érable). Tous les soirs, la pizza aux chanterelles fait aussi le bonheur des clients de La Cantina, le restaurant extérieur adjacent au bistro. « On dirait que les gens ne voient que ça sur le menu ! », confirme le chef, ravi de cet engouement.
Chez Côté Est, la popularité du ragoût de chanterelles au vin blanc, cuit sous vide, est également indéniable. « J’utilise aussi beaucoup le champignon-homard, qui est un vrai délice, ajoute Kim Côté. Il me sert à produire un beurre au homard avec persil de mer, ou alors on l’utilise dans nos saucisses, qui sont commercialisées dans le Kamouraska. Personnellement, c’est mon champignon préféré ! On peut le faire tout simplement griller sur le barbecue. C’est un champignon ultraferme, dont la couleur rappelle le rouge d’un homard cuit. »
Pour s’approvisionner, les passionnés comme Kim Côté n’hésitent pas à cueillir eux-mêmes leurs champignons ou à aller à la rencontre d’autres cueilleurs qui vendent leurs produits dans les marchés publics. Le marché s’est aussi grandement organisé ces dix dernières années, de sorte que les restaurateurs et les détaillants peuvent aujourd’hui commander leurs champignons forestiers québécois auprès des entreprises de distribution et de transformation, comme Gaspésie Sauvage ou Essex Continental. Il y a « beaucoup de fournisseurs même si le Québec est un petit marché, mais les volumes cueillis ne suffisent pas à la demande », selon le chercheur Alain Girard, du GastronomiQc Lab de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ), qui dirige en ce moment un projet de recherche sur les produits comestibles des forêts nordiques du Québec.
Un savoir-faire non enseigné
Les chefs de nos grands restaurants sont-ils parmi les plus grands acheteurs ? « Pas nécessairement, analyse le chercheur. On ne dispose pas des chiffres exacts, mais on sait que comme le consommateur lambda a de plus en plus facilement accès à nos champignons et que la communauté de mycologues amateurs est extrêmement dynamique au Québec, les ventes sont probablement plus fortes de ce côté. Il y a tout un tas de gens qui ont une expertise informelle, non documentée : ils constituent sans doute la majorité des acheteurs. Les chefs québécois, bien que très ouverts et très curieux des PFNL, ne sont pas si nombreux à savoir travailler le champignon pour le proposer à son meilleur. »
« C’est parfois complexe, confirme Kim Côté. Par exemple, pour pouvoir cuisiner le lactaire à odeur d’érable, je dois d’abord le faire sécher puis le réduire en poudre, puis faire toute une série de manipulations. Je sais tout ça par expérience et à force d’essais et erreurs, mais ce savoir-faire n’est pas encore très commun ni enseigné dans les écoles de cuisine. Savoir identifier les champignons de bonne qualité et de bonne fraîcheur est aussi un défi : ils "passent date" très vite. »
Ailleurs, le champignon (local ou non) sert souvent de matière première à la création de boulettes végé pour les burgers des chaînes de restauration rapide. En plus d’apparaître dans nos assiettes, le champignon forestier d’ici est vendu aux acteurs des industries microbrassicoles et de microdistillation, qui ont mis en valeur plusieurs PFNL dans leurs produits ces dernières années.
Un marché en pleine structuration
Dans son plus récent diagnostic du marché, l’Association pour la commercialisation des produits forestiers non-ligneux (ACPFNL) estimait que « bon an, mal an, environ 50 tonnes de champignons forestiers sont récoltées aux fins de commercialisation au Québec ». Il y aurait encore dans nos forêts une possibilité d’en récolter 250 tonnes supplémentaires, selon les estimations de GastronomiQc Lab. Toujours selon l’ACPFNL, près de 2,6 tonnes de champignons auraient été exportées par le Québec en 2018, la presque totalité étant destinée aux États-Unis. Difficile d’exporter plus loin le champignon frais : il doit être consommé très rapidement après la cueillette et ne supporte pas les trop longs délais de livraison vers l’étranger. Ça n’empêche pas les Japonais de raffoler du matsutake, un champignon des forêts de pins gris du Nord du Québec. On le trouve ailleurs dans le monde, mais celui de chez nous est d’une qualité irréprochable parce qu’il est peu exposé à la pollution.
Très peu structurée il y a à peine dix ans, l’industrie se professionnalise et s’organise de manière à s’assurer de répondre à une demande croissante. « Mais la popularité du champignon forestier a amené sur notre marché des concurrents de la Colombie-Britannique ou de l’étranger qui ont une longueur d’avance sur le Québec en matière de structuration et d’organisation, car ils s’appuient sur une plus longue histoire et sur un climat plus favorable à la cueillette toute l’année », explique Ariane Paré-Le Gal, copropriétaire de Gourmet Sauvage. Il y a d’autres freins : le niveau de connaissance des champignons par la population demeure relativement faible, le consommateur continue de craindre la « toxicité » du champignon forestier, les prix sont très variables et non harmonisés entre les différents joueurs, et l’arrimage entre l’offre et la demande est parfois déficient.
La cueillette, le nerf de la guerre
Pas simple, la vie de cueilleur de champignons. L’activité est de plus en plus prisée, mais elle peut rebuter en raison de sa complexité et dissuade parfois la relève. « Il faut aller loin dans la forêt, il faut des appareils de réfrigération sophistiqués et il faut trimballer des glacières durant plusieurs jours, explique Alain Girard. La logistique est complexe. Ce n’est pas un métier facile. » Le Québec offre néanmoins depuis quelques années une formation collégiale, qui contribue à grossir les rangs de la profession. Entre 2016 et 2020, la filière mycologique de la Mauricie est ainsi passée de 16 à 237 cueilleurs professionnels formés – une augmentation de 1500 % ! « C’est une bonne nouvelle pour notre secteur, pense Ariane Paré-Le Gal. Mais les cueilleurs sont encore souvent des autodidactes passionnés qui ne sont pas passés par cette formation. Chez Gourmet Sauvage, très peu de nos cueilleurs sont formés par le cégep. Tout le monde est le bienvenu. Plus il y a de cueilleurs, plus on développe la profession, et mieux s’en porte le marché. »
La cueillette est aussi chez nous une activité touristique populaire. Les mycologues amateurs qui s’initient à la cueillette auprès de Gourmet Sauvage ou Les Jardins Sauvages, par exemple, sont de plus en plus nombreux. « C’est une avenue prometteuse pour faire connaître le champignon forestier et propager un certain savoir-faire, explique Ariane Paré-Le Gal. Les ateliers de tourisme mycologique constituent aussi un excellent revenu d’appoint pour les cueilleurs professionnels, qui se font un plaisir de transmettre leur savoir. »
Pour que le marché prenne encore de l’expansion et améliore ses façons de faire, il reste à obtenir du gouvernement une reconnaissance du statut de producteur agricole des cueilleurs professionnels (la cueillette en terre publique n’est pas prise en compte par le MAPAQ et l’UPA, car elle n’est pas liée à une adresse physique). Certains rêvent aussi de développer une appellation réservée ou un terme valorisant pour les champignons et autres PFNL québécois (c’est l’un des axes de recherche d’Alain Girard à l’ITHQ). Mais l’ascension ne fait que commencer.
JHA Photographie (Julie Houle Audet) pour la MRC de Kamouraska
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Le grand retour du motel
17 septembre 2021
| Par Gabrielle Brassard-Lecours
Désuets durant de longues années, les motels semblent avoir été tellement ringards qu’ils sont redevenus à la mode. Les régions comptent notamment plusieurs motels repris par de jeunes urbains venus se mettre au vert, qui donnent un coup de neuf à ces hébergements de bord de route et les détournent de leur fonction première : celle de s’y arrêter spontanément pour se reposer en cours de trajet.
C’est en 1925 qu’est apparu le premier motel, en Californie, le long de la célèbre route 101, à mi-chemin entre Los Angeles et San Francisco. Il permet alors aux automobilistes de s’arrêter directement le long de la route et de stationner leur véhicule à la porte de leur chambre d’où le nom d’origine de ce type d’établissement : motor hotel, rapidement transformé en son nom actuel. Ce concept américain a fait des petits partout dans le monde, dont chez nous. On en retrouve ainsi le long du réseau autoroutier entre les États-Unis et le Canada, sur le Chemin du Roy entre Montréal et Québec, ainsi que le long de la route Transcanadienne et de plusieurs autres axes routiers.
Or, les motels semblaient quelque peu sur le déclin, même avant la pandémie. Plusieurs d’entre eux sont à vendre depuis un certain temps un peu partout dans la province, faute de clientèle ou de relève. Mais récemment, plusieurs couples ont racheté quelques-uns de ces établissements pour les remettre à neuf et leur donner une nouvelle vocation. C’est le cas d’Ève Poisson et de son conjoint Luc Pouliot, nouveaux propriétaires de l’ancien Motel de la Plage et de l’ex-restaurant La Flacatoune à Saint-Irénée (Charlevoix), rebaptisés respectivement Le 362 et Le Sainti. Le jeune couple a ainsi quitté la ville pour sauter dans ce nouveau projet de restauration et d’hébergement. « Mes parents ont un chalet ici depuis que je suis petite ; je connais donc bien le coin », explique Ève Poisson. Luc Pouliot, qui travaille en restauration depuis plusieurs années, a toujours rêvé d’avoir son propre restaurant. Entièrement rénové, Le Sainti, l’un des seuls restaurants du coin avec places assises, offre des produits du terroir.
« Pour le motel, on a décidé d’enlever complètement la réception, qui était auparavant dans le restaurant. On ne voulait pas être constamment sur appel, explique la jeune propriétaire. On a donc mis des poignées intelligentes aux portes et on donne un code aux clients quelques jours avant leur arrivée. Ils peuvent ainsi entrer dans les chambres à partir de 15h et quitter les lieux de la même manière à 11h, à la fin de leur séjour. Je suis disponible s’il y a quelque chose et je m’assure de répondre rapidement, mais ça nous décharge d’une grosse gestion, en plus de ne pas devoir engager quelqu’un à temps plein. Comme tout se fait en ligne, les clients n’ont même plus besoin de nous parler s’ils n’en ont pas envie. »
Autre transformation : les chambres du troisième étage du motel ont été transformées en condos locatifs. « On trouve que ça invite les gens à ne pas être que de passage. Il y a plein de choses à faire dans le coin, et si les clients ont plus d’espace et peuvent se faire à manger, ça les incite à rester plus qu’une nuit », affirme l’entrepreneure, qui ne loue d’ailleurs pas ce type d’hébergement pour moins de deux nuits consécutives. D’autres chambres trouveront probablement la même destinée. « Nous, quand on voyage, on ne va pas dans des motels ; on loue de petits appartements, d’où l’inspiration pour nos hébergements. »
Des lieux rassembleurs
« On n’avait plus d’endroit où se rencontrer depuis que le motel et son restaurant avaient fermé », raconte Marie-Ève Dubé, nouvellement propriétaire du Resto Pub Le Madub et de son motel adjacent d’une vingtaine de chambres. Cuisinière originaire de L’Isle-Verte (Bas Saint-Laurent), la jeune femme a fait le grand saut en achetant le restaurant et a réalisé son rêve de longue date en ayant son propre commerce. « Je voulais offrir un endroit convivial et chaleureux. Il y a beaucoup de nouveaux arrivants à L’Isle-Verte. Il y a maintenant un côté bar et un restaurant familial. Un endroit où socialiser manquait vraiment, confie-t-elle. J’ai aussi des projets pour le motel : je veux redécorer les chambres et en transformer certaines en petits appartements pour des séjours à l’année. Il y a de la demande pour de tels types d’hébergement, ici. J’ai un client qui occupe déjà une chambre à l’année. »
Guy St-Onge a pour sa part racheté il y a quelques années le motel L’Islet à L’Isle aux-Coudres, pour en faire le Havre Musical de L’Islet. « J’ai tout vendu : mon studio d’enregistrement à Saint-Calixte et ma maison à Saint-Lambert. On a tout refait quand on est arrivés, et surtout, on a donné une vocation musicale à notre hébergement », raconte-t-il. En séjournant dans l’une des 17 chambres, on peut également assister à des concerts en plein air les fins de semaine. « J’ai aussi enregistré 78 minutes de musique improvisée relaxante, disponible dans toutes les chambres par haut-parleurs », raconte le musicien et propriétaire.
Comme aucune de ses chambres ne se trouve sur le bord de la route, que l’établissement regroupe plusieurs types d’hébergement (là encore, de petits chalets équipés sont disponibles), qu’on ne peut y stationner sa voiture à côté de la porte et parce que, en mettant les pieds dehors, c’est plutôt le fleuve et l’herbe fraîche que l’on foule et non du béton, le passionné de musique affiche maintenant sa propriété comme un hôtel. « J’ai fait des recherches pour savoir quelle était la différence entre un motel et un hôtel, confie-t-il. Je ne pense pas que "motel" soit péjoratif, mais ce n’est simplement pas ça qu’on est. »
S’y prendre en avance
« Contrairement à un hôtel, un motel n’a qu’un seul étage », décrit Xavier Gret, président et directeur général de l’Association Hôtellerie Québec (AHQ). Pour lui, les motels sont souvent associés à des arrêts spontanés sur la route : « On est en chemin vers sa destination et, pour couper la route en deux, on se dit qu’on arrêtera dans un motel quand on sera épuisé de rouler. » Or les places en motel, et dans la majorité des hébergements au Québec, sont de moins en moins disponibles sans réservation. « Surtout depuis la pandémie, car les Québécois prennent de plus en plus leurs vacances dans la province », observe Stéphanie Nadeau, qui a repris les rênes de l’Hôtel Motel Grande-Vallée (Gaspésie) avec son conjoint Mathieu Le Guerrier. Ce dernier abonde dans le même sens : « Les gens arrivent parfois sans réservation, et on n’a pas de place. Je tente de leur trouver une chambre dans les hébergements avoisinants, mais eux non plus n’ont pas de place… »
Comme Grande-Vallée accueille un célèbre festival de musique chaque été, cette période est déjà à toutes fins utiles réservée pour l’été prochain à l’Hôtel Motel Grande-Vallée. « Les gens s’y prennent un an d’avance, c’est tout dire », indique le copropriétaire. Les motels connaissent visiblement un engouement auprès de couples et d’entrepreneurs dans l’âme. Souvent pour les restaurants qui s’y trouvent, mais aussi pour les occasions de projets locatifs différents qu’ils offrent, peut-être plus à l’image des voyageurs d’aujourd’hui.
Tous les experts le disent : un cuisinier qui se respecte doit avoir dans son étui au moins trois couteaux, soit un premier de chef, un second d’office et le troisième au choix. « Au-delà de ça, c’est que tu as une addiction… », affirme à la blague Jean-Sébastien Michel, véritable toxicomane qui importe du Japon depuis 2011 d’innombrables outils tranchants faits à la main qu’il propose dans sa boutique montréalaise Alambika. Comment sélectionner ses couteaux ? Pleins feux sur l’accessoire indispensable des professionnels de la table.
Première astuce : ne jamais commander son couteau en ligne, sauf si l’on se procure un élément d’une gamme que l’on affectionne déjà. « Il est essentiel de se rendre en magasin pour tenir, soupeser, tester sur la planche à découper les différents modèles – pour trouver l’outil le plus ergonomique qui nous évitera blessures et inconfort », explique Guillaume Fleury, coordonnateur chez Doyon Després, un distributeur québécois de matériel culinaire. Celui qui a cumulé plus de 15 ans d’expérience dans une vingtaine d’établissements de restauration en sait quelque chose : il faut trouver couteau à sa main, comme on trouve chaussure à son pied. Autrement dit : mieux vaut s’abstenir de courir se procurer l’outil le plus populaire, vanté par blogueurs et collègues. « Le meilleur au monde peut ne pas être fait pour toi, pour ta prise, voire pour les gauchers », cite-t-il en exemple.
Conseil numéro deux, cette fois énoncé par Jean-Sébastien Michel : éviter les ensembles. « Tu vas payer 500 $ pour te servir de seulement deux couteaux sur six. Il est préférable d’investir cet argent – voire moins – dans deux modèles qui te seront vraiment utiles », explique l’entrepreneur. En guise de troisième conseil, il propose une image : choisir une voiture à l’allure peu clinquante, qui cache toutefois un moteur de fou sous le capot. « Deux couteaux ayant des lames identiques peuvent se vendre 400 $ ou 3000 $. De plus en plus d’importateurs ont saisi qu’il est difficile de retrouver l’origine d’une lame japonaise s’ils en changent la poigne. Ils les dotent de manche fancy et se permettent de les vendre quatre ou cinq fois le prix. L’esthétique, la parade, ça se paie… »
À Alambika, impossible de trouver une poignée en ivoire de mammouth, en dinosaure décongelé ou orné de pierres précieuses, comme l’indique avec une pointe de sarcasme son propriétaire. Il suggère d’investir entre 150 $ et 350 $ pour acheter un couteau. Sous ce prix, les aciers sont trop mous ; au-delà, on trouvera davantage des objets de luxe que l’on s’offre pour se faire plaisir.
La dureté de l’acier
Sur l’échelle de Rockwell qui mesure la dureté de l’acier, la lame d’un couteau acheté au Canadian Tire sera de 54-55, celle d’un accessoire fabriqué par une marque européenne plus haut de gamme (comme Victorinox ou Zwilling) arrivera à 56-58, et celle d’un accessoire nippon atteindra au moins 58 et 65 tout au plus. Vous l’aurez compris : plus l’indice est élevé, plus le couteau est dur comme du roc. Dans le but de commercialiser des articles aux propriétés intéressantes, les grandes marques ont développé des alliages. Elles ont par exemple enrichi leurs aciers, essentiellement composés de fer et de carbone, de manganèse, de cobalt ou de chrome, notamment pour apporter une résistance au lave-vaisselle et aux chocs. Or, « plus on ajoute des éléments chimiques, plus on obtient des lames molles qu’il faut aiguiser souvent, ce qui revient à les amincir et à réduire leur durée de vie », explique Jean-Sébastien Michel.
Tokyo et ses environs proposent ainsi les produits les plus solides sur le marché. Parmi les plus impressionnants, on trouve les couteaux faits d’acier à haute teneur en carbone, évalués à 62-63 sur l’échelle de Rockwell. Très tranchants, ils nécessitent peu d’aiguisage et battent des records de longévité. Peu flexibles et malléables, ils ont cependant tendance à se briser lorsqu’on les échappe affichent également un autre désavantage : ils noircissent au contact des aliments. Afin d’éviter ce changement de couleur peu apprécié des consommateurs occidentaux, les ouvriers asiatiques ont modifié leurs traditions ancestrales pour forger des lames faites d’aciers technologiques, dits de « métallurgie des poudres », bref « des machines de guerre pas tuables » qui présentent la dureté des aciers carbone sans s’oxyder.
Les lames issues de cette technique de fabrication coûteraient toutefois de 20 à 30 % plus cher sans être plus performantes, estime Olivier Caza Berthelet. Dans sa boutique Stay Sharp qui a ouvert ses portes à Montréal durant la pandémie, il vend, lui aussi, des couteaux nippons artisanaux. « J’aime faire prendre conscience à mes clients que tu en as plus pour ton argent en allant vers des articles qui sont oxydables », dit-il. Seule chose importante : essuyer ces derniers après chaque utilisation. Une manipulation que certains cuisiniers ne souhaitent cependant pas ajouter à leur chorégraphie…
L’artisanat japonais, à la fine pointe ?
Le chef propriétaire du restaurant Chez Victoire, Alexandre Gosselin, possède une quarantaine de couteaux. Sa collection beaucoup trop imposante – il l’avoue sans détour – compte quelques petits trésors dénichés au cours d’un voyage au pays du sashimi. Presque une décennie d’utilisation plus tard, ses trouvailles sont toujours intactes et affûtées. Il s’en étonne lui-même : « C’est incroyable si je les compare à mes Global, qui ne coupent plus du tout après une journée ! » Même son arme destinée à casser des carcasses ne présente aucune encoche.
« Ce qui est le fun quand tu achètes là-bas, c’est que tu sais que tu tiens une pièce unique et magnifique, moulée à la main », s’enthousiasme-t-il. Et une œuvre d’art chargée d’histoire, pourrait-on ajouter. En tant qu’invité spécial du gouvernement nippon qui cherchait à forger des échanges commerciaux avec le Canada, Jean-Sébastien a visité des villages où l’artisanat suit son cours parfois depuis plus de cinq générations. Moulage, aiguisage, confection du manche : chaque famille a son savoir-faire bien pointu, jadis développé dans un taylorisme parfait pour pourvoir les samouraïs de sabres fabuleux.
Mais Alexandre Gosselin nuance : on peut trouver un bon couteau dans chaque marque. Nul besoin de se tourner vers l’Asie. « Ça dépend de tes goûts, de ta main et de ton budget. »
Entretien : les trucs de pro
Olivier Caza Berthelet
On aiguise son couteau le moins souvent possible, seulement quand le besoin se fait sentir. La fréquence raisonnable : une ou deux fois par année. Entretemps, on le polit sans trop de frais avec une pièce de cuir ou une pierre de polissage très fine, dont le grain est de 6000 ou plus. Pour redonner à son outil un angle tranchant, on utilise une pierre de type splash’n’go, dont le grain se situe entre 800 et 1200 et qui est plus dure qu’une pierre de trempage. Cela permet non seulement de sentir le travail en cours, mais aussi de l’exécuter plus rapidement.
Pour lui rendre sa géométrie initiale, on se sert d’une pierre dont le grain se trouve entre 120 et 800. Il est important de conserver cette dernière dans un bon état et de prendre soin de la garder bien droite, sans quoi le résultat sera inégal. Pour ce faire, on s’équipe d’une pierre d’aplatissage, idéalement en diamant. Il se peut que, avec les années, une lame nécessite un amincissement pour retrouver sa forme d’origine. De la matière doit alors être retirée sur une plus grande surface des deux côtés. Au besoin, il peut être intéressant de consulter un professionnel, d’autant plus qu’un ensemble complet de polissage, aiguisage et profilage peut représenter un investissement de 1000 $.
Guillaume Fleury
Les manches en bois naturel ont besoin d’amour. Quand ils commencent à être secs et rudes, on applique une huile ou de la cire d’abeille. Il est important de ne jamais les submerger dans l’eau pour éviter qu’ils restent imbibés, qu’ils ne se fendent et que se crée une entaille qui pourrait laisser place à la moisissure ; on opte plutôt pour un nettoyage rapide avec un désinfectant. Aucun couteau ne va au lave-vaisselle.
Les hôtels, restaurants et institutions sont de plus en plus nombreux à aménager des potagers sur leurs toits. La production n’est pas forcément rentable sur le plan économique, mais elle apporte une valeur ajoutée à l’établissement, qui l’utilise pour sa propre table ou la redistribue dans la collectivité (ou les deux !). Et si l’accès au public est limité, le temps est à la sensibilisation de la clientèle et aux enjeux locaux et environnementaux.
L’Hôtel du Vieux-Québec reconnaît que voyager peut être dommageable pour l’environnement ; il veut donc assurer un séjour le plus vert possible. Lorsque les propriétaires actuels Justin Keating et sa femme ont pris la relève, l’entreprise familiale a opté en 2008 pour deux toits verts d’une superficie totale de 232 m2. « Il a fallu installer une membrane protectrice, relate la directrice de réception, Peggy Ann Comeau, qui fait partie des trois personnes responsables de l’entretien des toits verts. Il y a aussi des roches blanches pour refléter la chaleur et des sentiers en bois pour marcher. Des ingénieurs nous ont dit où disposer les pots en géotextile afin de répartir le poids sur le toit, et la ferme urbaine Les Urbainculteurs a offert un accompagnement personnalisé. »
L’Hôtel du Vieux-Québec
L’aménagement permet de conserver la fraîcheur dans une partie de l’hôtel durant l’été, de réduire la consommation d’énergie et les émissions de carbone et de capter l’eau de pluie. Aux confitures de bleuets, mûres et cassis que l’établissement sert au déjeuner ou met en vente sur place s’ajoutent les pots de miel. Quatre ruches se trouvent en effet sur le toit, et douze autres ont été installées sur une terre privée de l’île d’Orléans. L’Hôtel du Vieux-Québec a en plus commencé à produire son propre maïs pour offrir du maïs soufflé maison à sa clientèle.
« Les années précédentes, on a produit beaucoup de légumes et fruits, mais on a constaté que c’était un peu compliqué en matière de quantités, indique pour sa part le codirecteur de la restauration du Labo culinaire de la Société des arts technologiques (SAT) à Montréal, Rocco Chouinard Gomes. Cette année, je me suis concentré sur les fleurs comestibles : des calendulas à l’agastache, en passant par la pimprenelle. C’est plus facile à intégrer dans les plats, ça ne demande pas nécessairement une réflexion de la part du chef pour agencer les saveurs, ça apporte de la couleur, et c’est un clin d’œil à notre jardin. »
Labo culinaire de la Société des arts technologiques
Des enjeux climatiques
Le Labo culinaire prône l’approvisionnement de la ferme à la table ; la proximité ne pouvait pas être plus grande avec le jardin sur le toit, visible depuis la terrasse du restaurant. L’établissement a aussi voulu poser un geste écologique en faisant la lutte aux îlots de chaleur. Rocco Chouinard Gomes s’occupe de l’entretien de ce jardin qui a mis deux ans à prendre forme. Il a contacté plusieurs organismes communautaires pour l’aider à se lancer, dont Santropol Roulant et Alternatives. Le projet inclut aujourd’hui trois bacs de 2,8 m2 de long, où sont notamment plantées des espèces indigènes du Québec ou d’Amérique du Nord. « Ça a été un travail extrêmement difficile parce qu’il y a beaucoup de plantes que l’on croit autochtones et qui sont en fait importées d’Europe, comme la centaurée », explique Rocco Chouinard Gomes.
« Cultiver sur un toit, c’est en plus avoir un climat presque méditerranéen, ce qui n’est pas les conditions dans lesquelles grandissent les plantes autochtones », ajoute-t-il. Les fraises des bois sont le seul exemple testé qui survit au fil des ans sur son toit. La problématique est bien connue du Laboratoire d’agriculture urbaine, qui a repris la gestion du toit du Palais des congrès de Montréal en 2016 et en a fait une ferme expérimentale de 2000 m2 pour tester différentes techniques et technologies. Il estime que les températures peuvent atteindre les 80°C sur la membrane de toit, ce qui a des répercussions sur l’évaporation et la croissance. Des cultivars adaptés aux grandes chaleurs sont ainsi privilégiés, comme les kiwis et les pêches.
Marie-Josée Vézina, coordonnatrice recherche et accompagnement agronomique, au Laboratoire d’agriculture urbaine, parle aussi de pluviométrie : « On peut connaître de longues périodes sans pluie et soudain il y a des déluges. On essaye de gérer l’eau de façon raisonnable, mais comme on est hors sol, on n’a pas de terre agricole qui sert de réservoir d’eau. Ça demande une grande précision et un matériel technologique pour s’assurer de ne pas perdre toute la production. On a des sondes reliées à des stations météorologiques et à nos ordinateurs. C’est ça l’agriculture urbaine : une agriculture de précision ! »
Quant à l’Hôtel Vieux-Québec, il évoque plutôt les courants d’air. « La difficulté qu’on a sur une partie de notre toit, c’est le vent, précise Peggy Ann Comeau. Donc on opte pour des plantes basses à cet endroit-là ; et du côté de notre cage d’ascenseur, où il y a une meilleure protection, on fait pousser des plantes hautes comme le maïs. On réfléchit à la possibilité d’installer un brisevent, mais il faut qu’il soit temporaire, démontable et adapté aux réglementations de la Ville. »
La deuxième étape des jardins
Le toit du Palais des congrès sera refait l’an prochain. Ce sera la fin du projet actuel, qui a permis de documenter une dizaine de tests, y compris le temps de travail et les rendements, pour pouvoir créer des fiches traitant de production agricole sur toit. Le Laboratoire d’agriculture urbaine reviendra avec une nouvelle version de la ferme du futur, qui devrait notamment aborder la question de la production à l’année et prendre différentes formes. La ferme hybride représenterait l’avenir avec du plein sol, du bac et du vertical, qui permettent d’avoir un taux de production très élevé dans un tout petit espace.
L’Hôtel du Vieux-Québec
« Il y a vraiment une abondance de toits qui seraient aptes à recevoir des installations comme les nôtres ou des fermes commerciales, soutient Marie-Josée Vézina. C’est sûr qu’il y a des critères particuliers – la superficie, l’accès, la portante –, mais Montréal a plusieurs quartiers dotés de toits plats ; on pense donc qu’il y a vraiment du potentiel. On voit depuis les deux dernières années que les promoteurs ou propriétaires d’immeubles s’intéressent à l’agriculture urbaine et viennent vers nous pour faire des études de faisabilité parce qu’ils veulent des installations vertes sur leur toit. » En bas de 2500 m2, elle estime qu’il est très difficile d’atteindre une rentabilité – et même avec cette superficie, la production doit être optimale. Pour augmenter les revenus, des services complémentaires peuvent être offerts : visites scolaires, dîners, cours de yoga ou encore vente de produits transformés. Parallèlement, une autre mesure est en train d’être prise en considération : les services écosystémiques, qui représentent les bénéfices offerts aux sociétés humaines par les écosystèmes.
Quant au Labo culinaire, il a déjà vu plus grand. « Avec le jardin, l’espace est limité ; on a donc pensé à une ferme, s’enthousiasme Rocco Chouinard Gomes. Avec des amis, on a créé une coopérative de solidarité à Saint-Armand, appelée De fil en légumes ; elle fournit pour la première année le restaurant. C’est la deuxième étape du jardin sur le toit : un jardin en terre de 0,75 hectare, qui peut avoir une récolte significative et quasiment garantir une autonomie au restaurant face à différents fournisseurs. Mais on ne veut pas faire perdre des revenus à des fermiers qui travaillent avec nous depuis le début ; il faut jouer avec prudence… » Le toit a donc été un tremplin, et il garde toute son importance puisque les plantations qui s’y retrouvent sont complémentaires à celles de la ferme. Et l’attrait pour la clientèle est grand !
Laboratoire d’agriculture urbaine au Palais des congrès de Montréal
Ces dernières années, la pénurie de main-d’œuvre est devenue un problème majeur au sein des entreprises. La situation s’envenime, et le contexte pandémique a considérablement accentué la crise. Des postes affichés depuis des mois n’attirent aucune candidature. La situation est un frein pour le développement des entreprises, mais aussi pour la santé mentale des patrons et du personnel.
Des solutions insoupçonnées
La perpétuelle dotation d’employés a causé au fil du temps un important effet de halo. L’éblouissement est tel que cette recherche monopolise le temps et les ressources des entreprises. L’énergie déployée est focalisée sur la conséquence plutôt que sur le problème. Et si on se questionnait sur la cause principale de la perpétuelle recherche de main-d’oeuvre ? La majorité des emplois affichés est liée à des départs. La rétention devrait donc se trouver au cœur de la solution. En conservant 75 % des employés que vous avez eus au cours des deux dernières années, auriez-vous un manque de personnel ? Soyons clairs : le problème de pénurie est omniprésent au Québec. Toutefois, les employeurs ayant une grande capacité de rétention du personnel en ressentent beaucoup moins les conséquences et minimisent les impacts de cette crise.
Cependant, l’hôtellerie a la particularité d’offrir de nombreux postes saisonniers. Il est donc naturel d’avoir régulièrement des périodes d’embauche. Il faut considérer cette réalité qui représente un défi de taille. Pour pallier ce problème, quelques établissements ont eu la brillante idée de moduler les heures des employés à temps plein selon la saison : ceux qui travaillaient 40 heures par semaine en font maintenant 32 en basse saison. Ainsi, il faut 20 % plus d’employés permanents pour combler le même nombre d’heures disponibles. L’été, ces mêmes employés obtiennent 40 heures par semaine. Cette stratégie permet de réduire les embauches saisonnières de 20 %, en plus d’avoir une équipe plus fiable et constante à l’année. Autre avantage : il devient facile d’offrir la semaine de quatre jours à votre équipe — une proposition alléchante en matière de conciliation travail-famille.
Une entreprise attractive
Le pouvoir d’attraction facilite l’embauche et favorise la rétention des employés en place. Il est important de vous démarquer non seulement auprès de votre clientèle, mais comme employeur de choix. Désormais, c’est d’ailleurs une priorité absolue pour tous les hôtels désirant exceller, se démarquer et perdurer au fil du temps. La concurrence salariale est importante : elle est non négligeable. Cependant, les avantages sociaux et la conciliation travail-famille sont des enjeux cruciaux. L’important est de se différencier par des offres concurrentielles qui attireront les candidatures. Une pluralité de bénéfices peut changer la donne : le remboursement des abonnements au gym, des soins oculaires ou dentaires ou encore de cours de langues secondes ne sont que quelques exemples.
La créativité doit être mise de l’avant pour offrir des solutions sur mesure et répondre aux besoins de votre équipe. Ne sous-estimez pas le coût du statu quo ! Plusieurs n’osent pas offrir de conditions alléchantes par souci d’économie. Or, ils subissent des dépenses encore plus importantes en dotation d’employés et en formation, sans parler du coût de la perte d’efficacité. D’autres éléments sont à considérer. Être attractif, c’est aussi une question de reconnaissance et d’esprit d’équipe. Possédez-vous une salle de pause conviviale favorisant les échanges et les interactions ? Avez-vous un système de bonis d’équipe quand vous atteignez des objectifs communs ? Un bon employeur doit établir un esprit de communauté et d’unité, et tous les moyens sont bons pour y parvenir.
La perle rare
On dit que le gazon est toujours plus vert chez le voisin. Et si la perle rare se trouvait déjà parmi vous ? Il est parfois plus difficile de faire du recrutement lorsque certaines fonctions nécessitent un diplôme en particulier. Pour conserver l’intérêt et la motivation d’une équipe, la possibilité d’avancement est un élément clé. Le succès de l’opération réside dans la connaissance des forces de vos employés. L’idée est donc d’offrir un emploi spécialisé à un membre actuel fiable et doté de grandes capacités. Si les connaissances théoriques ne sont pas suffisantes, on peut offrir la formation, en interne ou à l’externe. Vous avez l’occasion d’exploiter une mine d’or qui se trouve juste là : pourquoi vous en passer ?
La conjoncture est ardue, en pleine redéfinition du marché du travail. Il faut prendre le taureau par les cornes avant d’être une victime de ces changements. À vous de jouer !
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