Je côtoie des restaurateurs, hôteliers et acteurs des HRI depuis plus de 35 ans. Cela donne presque deux générations de gestionnaires, déjà ! Quand j’ai commencé, je parlais d’un secteur de passionnés, d’artistes et d’entrepreneurs dans une industrie encore en évolution. Mais qu’en est-il, aujourd’hui, après cette période d’apprentissage et de progression des façons de faire, de gérer et d’exploiter ?
Pour l’hôtellerie, on a vu le parc hôtelier bien évoluer, des motels en bord de route aux établissements dûment établis et dotés de standards définis et évolutifs. Du côté des services alimentaires, les personnes embauchées ont su dynamiser les RPA, les CHSLD et autres établissements de restauration et d’hébergement non commerciaux pour offrir de superbes expériences pour tous.
En restauration, la situation est beaucoup plus difficile, même si les chaînes ont mis en place des balises de gestion, de RH et d’exploitation assez contrôlées. Les indépendants, quant à eux, peinent à gérer la situation de façon professionnelle, de peur de perdre le côté artiste et familial, ou simplement par manque de temps et de ressources. On retrouve en effet encore beaucoup de lacunes en matière d’exploitation administrative et organisationnelle. Cette situation ne va pas aider l’industrie à être prise au sérieux par les diverses autorités qui nous gouvernent et nous financent.
Je persiste et signe : il n’y a pas trop de restaurants ; il y a trop de restaurateurs amateurs.
Pensez donc davantage en gestionnaires pour pouvoir garder aussi le côté artiste bien présent sur la scène des HRI !
Alors que le panonceau étoilé devant les établissements d’hébergement est en voie d’être supprimé par l’adoption imminente d’une nouvelle loi, un sondage réalisé par la firme Léger nous apprend que 87 % des Québécois veulent garder ce mode de classification.
Du côté de la restauration, les acteurs du milieu se plaignent souvent de l’objectivité de leurs distributeurs d’étoiles – les critiques culinaires –, surtout quand ils ne reçoivent pas le commentaire dithyrambique attendu. Si leur nombre chute radicalement (la faute en partie à la crise des médias), les blogueurs amateurs ont profité de la plateforme offerte par Internet pour occuper l’espace laissé vacant. Ils ne font cependant pas toujours l’unanimité, du fait notamment de leur manque d’expertise.
La clientèle prend aussi la plume de son côté, profitant des microtribunes qu’offrent les réseaux sociaux, Google Reviews ou encore Tripadvisor de ce monde. Là encore, si un joli commentaire offre un coup de pouce positif, certains internautes s’en donnent à cœur joie pour régler des comptes personnels au moyen de critiques incendiaires.
Alors, les étoiles et notes des établissements ont-elles toujours leur place et leur pertinence ? Sinon, sans les faire disparaître, faudrait-il peut-être modifier le système ? Car après tout, rien ne se perd, tout se transforme.
C’est le cas par exemple des motels, hébergements perçus il y a peu comme ringards et qui font leur grand retour entre les mains de jeunes couples d’urbains motivés. Ou encore des superbes édifices patrimoniaux que le gestionnaire immobilier Georges Coulombe remet aux normes en leur redonnant leur éclat d’antan, créant ainsi des hôtels ou cafés dotés d’un charme tout particulier. Ou enfin des influences culinaires autochtones ancestrales qui viennent enrichir les plats d’aujourd’hui.
Bref, tout est cyclique, et pour avancer il ne s’agit pas tant de rompre avec le passé que d’adapter le présent.
Propriétaire et gestionnaire immobilier depuis 1982, Georges Coulombe s’est donné pour mission de conserver des bâtiments du patrimoine québécois, auxquels il redonne une seconde vie bien ancrée dans le présent.
« J’ai toujours rêvé d’un Vieux-Montréal rénové et prospère. Même si on n’est pas encore au niveau que j’aimerais, on a fait un grand pas. » Si Georges Coulombe est un passionné d’édifices patrimoniaux, son amour des vieilles pierres est né de son intérêt pour la culture. Alors jeune graphiste à Alcan, il commence à acheter des peintures puis voyage pendant cinq ans. « J’ai remarqué que les vieux quartiers étaient très prospères, surtout en Europe, note l’homme d’affaires. Quand je suis rentré, j’ai vu un Vieux-Montréal désert et j’ai trouvé ça incompréhensible. »
C’est à cette époque qu’il achète son premier immeuble à rénover. Puis un autre, et encore un autre. « J’étais addict. D’aucuns diront que je suis malade ! C’est comme des coups de foudre : je ne sais pas d’où ça vient. Ma seule condition pour acheter : tomber en amour, confie-t-il. Je sauve des bâtiments de la destruction ; en général, les gens veulent les démolir pour faire des stationnements… » Il s’intéresse ensuite aux vieilles usines du sud-ouest de la métropole, puis à des édifices de La Petite-Patrie et HoMa, pour les transformer en bureaux ou ateliers.
Le gestionnaire a également racheté des bâtiments à Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson et à Saint-Jean-sur-Richelieu. À Montréal, sa société vient de terminer la rénovation de l’Immeuble Rodier et de la Tour France Film, dans le Quartier des spectacles. Chaque fois, le défi est de conserver les bâtiments en les adaptant aux besoins actuels, « de garder l’idée de l’architecte tout en étant capable d’y vivre », résume l’homme d’affaires, qui collabore notamment avec Héritage Montréal. Pour lui, la préservation du passé architectural passe par la restauration intelligente et la mise aux normes des édifices.
Un hôtel qui se démarque
Georges Coulombe compte parmi ses locataires quelques restaurants et hôtels, dont le Crew Collective & Café, installé dans une ancienne banque du Vieux-Montréal, et le nouveau Manoir StoneHaven, dans les Laurentides. Cette superbe adresse aménagée dans le premier sanatorium du Québec propose un cadre victorien et intimiste. « L’hôtel, c’est un autre monde que j’ai découvert avec le StoneHaven. On m’a présenté cet édifice et je suis tombé en amour, se rappelle l’acheteur. Je ne suis pas tellement pour parquer les vieux dans des bâtiments, donc c’était naturel d’y faire un hôtel ; et un hôtel qui se démarque des autres. » Fasciné par les hôtels du début du siècle où les gens revenaient chaque année passer deux semaines au bord de la mer, Georges Coulombe se laisse guider par cette idée. Le StoneHaven ne mise donc pas sur les activités ou le jeu, mais plutôt sur le repos, la lecture ou encore les promenades en forêt.
Les pièces de l’hôtel ont été aménagées avec des meubles de la collection de Georges Coulombe, qui achète directement ses meubles en Amérique du Nord et en France. « Je vais chercher chaque pièce, car on n’en trouve pas beaucoup de ce type à Montréal, et je les fais restaurer, explique-t-il. Au Québec, les beaux meubles ne se trouvent presque que dans les musées ! » On croise ainsi à l’espace bar un Steinway avec système d’eau ou encore des lampes Tiffany’s dans la salle à manger. « On ne peut pas mettre des toiles de 50 000 $ dans les chambres, mais on essaie de dénicher le tableau qui va convenir pour créer une atmosphère dans chaque pièce, ajoute Georges Coulombe. Tout le monde apprécie ce qui est beau, même sans éducation. Un beau meuble bien placé amène le respect... »
Le gestionnaire suit les grandes étapes d’aménagement de l’hôtel, sans pour autant se mêler de l’administration quotidienne. Pour cela, il fait confiance à la solide équipe qu’il a mise sur pied (Marie-Josée Denis de l’Hôtel Rive Gauche à la direction ; le chef de L’Atelier de Joël Robuchon Éric Gonzalez à la cuisine ; etc.) Saguenéen d’origine – et chevalier de l’Ordre du Bleuet –, Georges Coulombe a ainsi restauré plus de 30 bâtiments anciens. On lui demande donc où il trouve le temps de faire ses escapades chez les antiquaires au milieu de tout ça : « On a le temps qu’on veut ! Les fins de semaine, je cours les encans, et c’est un plaisir. Je ne suis pas un gars de bateau ou de vacances, conclut-il. La pandémie nous a interrompus, mais on va recommencer les affaires. D’ailleurs, on est en discussion pour acquérir un autre hôtel… »
Alors que Québec s’apprête à abolir le système de panonceau étoilé qui classe les établissements hôteliers, une partie du milieu le considère encore comme bouclier efficace contre le chaos des avis en ligne sur Google et TripAdvisor. Pendant ce temps, dans le secteur de la restauration, les étoiles octroyées par la clientèle sur ces sites font regretter la présence d’une presse gastronomique compétente, en voie de disparition. État des lieux.
Faut-il faire la guerre aux étoiles, ou accepter pleinement leur présence et les utiliser comme outils marketing à part entière ? Pas si simple de répondre à cette question dans un monde où l’opinion populaire tend à les faire revenir en force et à les rendre incontournables, même si leur usage décline dans les médias de masse et au sein des organes de classification officiels. Si les étoiles n’ont plus la même valeur, elles persistent durablement.
Pour sa part, l’attestation de classification de la Corporation de l’industrie touristique du Québec (CITQ) vit peut-être ses derniers jours. Elle est « dépassée », si l’on en croit la ministre du Tourisme Caroline Proulx, qui a entamé le chantier du projet de loi visant à abolir le système de classification obligatoire. Or, il semble que malgré ses limites et malgré l’imposante réforme qui s’impose pour que les étoiles répondent vraiment aux besoins actuels, le système soit encore chéri par une partie de l’industrie. « On a été surpris de constater que nos membres sont finalement très attachés à ce système, assure Eve Paré, présidente-directrice générale de l’Association des hôtels du Grand Montréal (AHGM). La classification assure aux hôtels un meilleur sentiment de légitimité que les systèmes de classification informelle par les clients. Elle sert aussi à maintenir la qualité et à se positionner dans le marché en fonction d’un standard clair. Les propriétaires hôteliers considèrent que ça les élève vers le haut, que ça les pousse au dépassement. »
On semble penser tout le contraire des avis sur Google, Tripadvisor et autres plateformes des GAFA, perçus comme un mal nécessaire avec lequel il faut composer. S’ils servent parfois aux hôteliers à entrer rapidement en conversation avec un client mécontent pour ajuster le tir et améliorer certaines pratiques – les établissements ont rapidement intégré cette habitude de dialogue qui porte parfois ses fruits –, les avis Google ont le défaut de leurs qualités et se basent trop souvent sur des perceptions erronées ou des critères déraisonnables, pense Eve Paré. « Le client s’appuie sur son expérience personnelle du monde hôtelier, parfois limitée ou peu représentative de l’industrie, ou sur son bagage culturel, très variable d’une personne à l’autre. C’est difficile d’y faire de l’ordre. Et on sait bien que certains avis sont rédigés par des robots ou par des concurrents qui s’amusent à donner de mauvaises notes à leurs compétiteurs… »
N’empêche, ces avis sont peut-être le reflet de ce que croit réellement la clientèle, estime Marc-Olivier Côté, copropriétaire de l’Hôtel Clarendon à Québec. « On est dans une société démocratique où l’on donne le micro à tout le monde. Ça vient avec un risque de dérapage, mais aussi avec des avis favorables et mesurés. Selon notre expérience au Clarendon, les trolls et les commentateurs déraisonnables sont une minorité. Il y a une majorité de gens de bonne foi. Sur Tripadvisor, on trouve tout simplement un reflet du monde dans lequel on vit. Il faut vivre avec. » D’autant que, pour le copropriétaire de cet hôtel attirant une clientèle largement internationale, « on n’a pas le choix d’accepter que ces plateformes soient les seules à être désormais visibles et considérées par notre clientèle en provenance de l’étranger ». Les clients de Madrid ou de New York ne connaissent en effet pas le système de la CITQ et ne font pas les recherches nécessaires pour trouver cette information en ligne.
Réformer au lieu d’abolir
Reste que, dans son histoire, le Clarendon a souvent utilisé le système de classification pour se comparer aux autres et améliorer ses infrastructures et pratiques en fonction d’un standard d’excellence reconnu par le milieu. « On peut supposer que les propriétaires hôteliers font tous pareil, dit Marc-Olivier Côté. Mais pour que cet usage continue, il va sans dire qu’une réforme s’impose. La grille des critères mentionne encore le lecteur VHS parmi la liste des outils technologiques que les hôtels peuvent ou doivent compter dans chaque chambre ! »
Voilà où le bât blesse : après avoir sondé ses membres, l’AHGM a accouché d’une liste d’éléments à améliorer pour rendre la classification vraiment performante. En tête de lice, les propriétaires hôteliers réclament que le processus de mise à jour de la grille de classement soit réalisé en continu pour capter les innovations et nouvelles tendances. « Un comité d’experts composé de membres de l’industrie pourrait se charger de formuler périodiquement des recommandations d’ajustement à la grille, explique Eve Paré. Tout change très vite en hôtellerie. Il est important que les critères de classification ne soient pas un frein à l’innovation ; au contraire, ils doivent être un incitatif. Pour ça, il faut un système qui réagit plus vite et qui reste toujours en phase avec les tendances du monde entier. »
Et, pour contrer le fait que la population et la clientèle internationale connaissent mal le système de la CITQ, rien de mieux qu’une bonne campagne promotionnelle, affirme Eve Paré. « On a échoué à valoriser ce système et à le faire connaître. Rectifions le tir. »
Le Far West au resto
Retournons en mai 2021. Danny St-Pierre vient d’ouvrir Le Pontiac, son nouveau restaurant du Plateau-Mont-Royal. Tout à coup, de très mauvaises critiques apparaissent en ligne. Le chef soupçonne qu’elles ont été rédigées par de prétendus clients qui n’auraient même pas mis les pieds au restaurant. « Aucune vérification de présence n’est effectuée par ces plateformes, alors qu’il est désormais si simple de le faire en utilisant les technologies de géolocalisation, explique-t-il. Et ces critiques font mal. On peut s’imaginer que les gens n’y accordent pas d’importance, mais la réalité est qu’une seule mauvaise note a un impact négatif direct. Ces critiques-là ont un poids gigantesque. »
Le chef a vite contre-attaqué, enjoignant sa clientèle et sa communauté Facebook à répliquer par un assaut massif de critiques positives sur les mêmes plateformes. « Et ça a vraiment bien marché ! » confirme-t-il. Échappé belle. « Je m’en suis sorti cette fois, analyse-t-il. Mais jusqu’où va-t-on devoir aller pour éviter l’hécatombe des avis négatifs arbitraires ? Pour contrer une seule critique négative sans fondement, il faut une affluence incroyable de notes positives. Devrais-je offrir un verre de vin gratuit à chaque client en échange d’un avis favorable ? Rien ne l’empêche. C’est le Far West sur ces plateformes ; on peut manipuler ces médias comme on veut, y’a pas de règles ! Certains restaurateurs ne se privent pas d’adopter des pratiques douteuses. »
Pour contrer le phénomène, le secteur de la restauration ne peut plus compter sur la santé de la critique médiatique, puisque les grands médias font progressivement disparaître la profession. « Quand Marie-Claude Lortie ou Jean-Philippe Tastet publient leurs avis, le milieu applaudit leur rigueur et encaisse même les critiques négatives, appuyées sur une vraie connaissance de la restauration et sur des critères raisonnables. Mais leur présence dans les médias est en déclin », se désole le chef.
Et le milieu de la restauration ne dispose pas, lui, de système de classification officiel ou de label de qualité, un outil que Danny St-Pierre souhaite voir apparaître dans notre paysage. « Ça permettrait à chaque restaurateur de s’aligner sur un standard commun, dit-il. On pourrait aussi en profiter pour créer une grille claire départageant les différentes catégories de restaurants et les normes attendues pour chacun. Au Québec, on n’a pas de nomenclature claire, on pose parfois le même regard sur les cafés que sur les restos à nappes blanches. La confusion règne. » Pas de doute : qu’elles soient ou non le sceau officiel d’une instance reconnue, les étoiles devraient donc continuer de faire partie du paysage.
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