Je côtoie le monde de l’alimentation depuis plus de 30 ans, et la grande famille des HRI depuis près de 25. J’en ai connu du monde au fil des décennies ! Certaines personnes sont encore actives, d’autres ont pris leur retraite, d’autres encore ont bifurqué vers une autre branche. Toutes à leur manière ont marqué l’évolution de notre industrie.
Ces personnes, nous veillons à les faire rayonner par l’entremise de HRImag et de son site web. Quand je consulte nos archives, je vois comme nous vous avons présenté au fil du temps des histoires inspirantes, qui nous ont motivés à nous dépasser nous aussi.
Encore une fois, notre choix s’est arrêté cette année sur des candidatures passionnantes. Je félicite ces personnalités de notre domaine d’avoir signé tant de réalisations ! Une chose est certaine : cette pandémie et sa gestion vont laisser des traces dans l’histoire de l’humanité et un avenir changé pour le secteur des HRI.
Dès le retour à la réalité, beaucoup des habitudes créées par la COVID-19 demeureront bien présentes. On a notamment appris à manger partout et à se faire livrer de tout… C’est pourquoi nous avons voulu dans notre dossier étudier plus en profondeur la question de la livraison et de son avenir en restauration.
Enfin, en ces premiers jours de 2021, je tiens à vous rendre hommage à toutes et tous pour votre résilience et la capacité d’adaptation dont vous avez fait preuve depuis mars dernier. Vous allez marquer l’histoire à jamais.
Sur ce, mon équipe et moi vous souhaitons une excellente nouvelle année !
La livraison, c’est très 2020. Surtout depuis l’invasion des plateformes comme Uber Eats (qui a avalé Postmates pour 2,7 G$ US en juillet dernier), SkipTheDishes, DoorDash (qui a fait une entrée fracassante de 3,4 G$ US en Bourse début décembre), foodora et les québécoises GOLO, À la Carte Entreprise (ALCE), Eva et RestoLoco. Quelques géants comme Grubhub, EatStreet, Takeaway.com (qui achetait Just Eat pour 7,8 G$ US en janvier), Deliveroo, Swiggy, Zomato, Foodpanda et delivery.com boudent le Québec. Toutes ces plateformes ont complètement chamboulé l’industrie, comme le confirment les chiffres : les revenus mondiaux à partir de commandes en ligne devraient atteindre 136 G$ US en 2020 (+17 % comparativement à 2019) et 1,2 milliard d’usagers, pour une croissance annuelle moyenne de 7,5 % entre 2020 et 2024, selon le portail Statista. La part des plateformes s’établit à 71 G$ US en 2021, la Chine prenant la tête avec 52 G$ US.
ResearchAndMarkets.com affiche plutôt un marché planétaire pour les plateformes, passé de 107 G$ US en 2019 à 111 G$ US en 2020 (+3,6 %), pour atteindre 154 G$ US en 2023. UBS envisage un marché planétaire de 365 G$ US en 2030 (+20 % annuellement). Morgan Stanley estime le marché américain à 325 G$ US en 2020 et à 470 G$ US en 2025 (+13 % par année). À elle seule, Uber Eats aura distribué 10 G$ US de nourriture en 2020, selon son patron Dara Khosrowshahi. Les investisseurs auront misé plus de 200 G$ US sur les plateformes d’ici la fin de 2025, selon Apptunix. Et le marché mondial passera de 500 M$ d’usagers en 2017 à 858 M$ en 2024. Par contre, le site Business Insider indiquait en mai dernier que Grubhub perdait jusqu’à 2,50 $ par livraison. En 2019, DoorDash a perdu 450 M$ US malgré des revenus de 900 M$ US provenant de 300 000 restaurants, rapporte The Motley Fool. DoorDash (50 % du marché américain) enregistrait des ventes de 1,9 G$ US aux 9 premiers mois de 2020 (+226 % comparativement à 2019)… et une perte nette de 149 G$ US.
Au Canada, le marché de la livraison totalisait 2,5 G$ US en 2020 selon Statista et il sera de 4,5 G$ US en 2024 (+8,6 %). La croissance sera de 25,3 % entre 2020 et 2027, selon ResearchAndMarkets. La pandémie a en fait exacerbé le marché du ramassage et de la livraison : 26 % des Canadiens y font appel de plus en plus souvent (29 % ont augmenté leur pourboire), selon un sondage de Paiements Canada.
UNE TENDANCE DE FOND
Mais les livreurs seront-ils aussi occupés après la pandémie ? « C’est une tendance de fond, qui était là bien avant la COVID-19, estime Christian Latour, professeur en gestion de la restauration au Collège Mérici. La chaîne Normandin vient de commencer la livraison de petits déjeuners, et c’est révélateur. Dans 10 ans, on décrétera impossible qu’un restaurant ne livre pas à sa clientèle. » Quand le professeur a quitté sa Joliette natale il y a 20 ans, une poignée de restaurants offraient la livraison ; aujourd’hui, on peut s’y faire livrer presque n’importe quoi. Mais le rythme actuel se maintiendra-t-il ? « Dès que les restaurants rouvriront leurs portes, les gens vont y retourner massivement, affirme Jean-François Ouellet, professeur agrégé au Département d’entrepreneuriat et innovation à HEC Montréal. Les gens sont tannés d’être enfermés, télétravail ou pas. Croire le contraire est un leurre. »
« Le portrait de la restauration a changé pour toujours, commente Jean Bédard, président et chef de la direction du Groupe Sportscene (La Cage, Brasserie sportive). La livraison représentera entre 10 % et 15 % de notre chiffre d’affaires post-COVID-19, contre 5 % avant la pandémie. On ne bâtira pas notre modèle d’affaires sur ça. C’est complémentaire. »
La livraison a toujours fait partie de l’industrie. Il y a un demi-siècle, St-Hubert faisait un tabac avec ses coccinelles Volkswagen. De nos jours, Hugues Philippin recrée ce buzz à l’échelle de sa pizzeria Chic Alors ! avec ses voitures électriques : « Je livre depuis 30 ans. Avec les plateformes, c’est irréversible parce que les gens sont plus branchés qu’avant. » Une étude récente de la banque Morgan Stanley confirme toutefois que les livraisons téléphoniques vont chuter annuellement de 3 % jusqu’en 2025, au profit du numérique.
De plus, une facture effectuée en ligne est en moyenne 20 % plus élevée que par téléphone, signale Axel Lespérance, président fondateur de la nouvelle application québécoise RestoLoco. La livraison se prête davantage à certains mets, mais l’offre s’est élargie. « On sert des restos comme Le Pois Penché ou le Mélisse, qui n’ont jamais fait de livraison », révèle Axel Lespérance. En mars, Eva, une coopérative québécoise lancée en 2017 pour concurrencer Uber, se diversifiait dans la restauration. « En quelques semaines, on a fait adhérer 300 restaurants à Montréal et en périphérie », explique Dardan Isufi, cofondateur et chef d’orchestre opérationnel, citant des dizaines d’adresses branchées ou prestigieuses. RestoLoco et Eva, qui collaborent à Québec et Saguenay, préparent leur expansion partout au Québec et même ailleurs au pays.
Après la pandémie, le nombre total de livraisons effectuées par l’industrie va augmenter. Paradoxalement, les livraisons par restaurant vont chuter, estime Peter Mammas, président de Foodtastic (Au Coq, Benny, La Belle & La Bœuf, Carlos & Pepes, Nickels, etc.). « En 2021, entre 2 % et 4 % de notre chiffre d’affaires viendra des livraisons, dit-il. De mars à mai 2020, c’était entre 20 % et 30 %. » La livraison sera rentable pour ses franchisés qui auront profité de la pandémie pour renégocier leurs baux à la baisse. « Même si nos ventes totales auront chuté de 2 % à 5 %, ils feront de meilleurs profits », ajoute l’homme d’affaires. Certaines chaînes (St-Hubert ou McDonald’s) réduisent la taille de leurs salles à manger pour maximiser la livraison. Peter Mammas va dans la direction inverse : « Tous nos nouveaux Benny auront 40 places en salle. La part de la livraison varie selon les perceptions du public envers chaque bannière. Mais elle représente 55 % du chiffre d’affaires de Foodtastic, ramassage compris. »
« JE CRAINS L’ÉPARPILLEMENT »
La livraison, ce n’est pas pour tous. « Ce n’est pas une priorité pour moi, explique Louis Desjardins, propriétaire du Spago de Sainte-Adèle. Je le fais pour dépanner, mais je me concentre sur l’expérience en salle. Je crains l’éparpillement. La livraison est un couteau à deux tranchants : si la qualité n’est pas au rendez-vous, tu ternis ta réputation. Je me vois mal livrer mon plat d’agneau dans des conditions optimales… » Comme bien des restaurateurs, Louis Desjardins doit aussi composer avec la pénurie de main-d’œuvre. Il a travaillé fort pour stabiliser ses équipes en salle et en cuisine. Il dit rejeter la livraison par respect pour son personnel. « Et si je livre à Sainte-Marguerite, ça représente un déplacement de 30 minutes, dit-il. Est-ce rentable ? »
« Sauf une minorité, les restaurants qui ne livreront pas vont disparaître », tranche Christian Latour, qui parle même de darwinisme. « C’est toutefois un défi de maintenir la ligne de chaud, de froid ou l’esthétique jusque chez le client, reprend-il. Il faut oublier l’improvisation. » Quelles sont les conditions de succès ? Un bon système de commandes, de facturation et d’encaissement est incontournable, que le restaurateur livre lui-même ou par l’entremise de plateformes, soutient-il. Ceux qui maîtrisent mal la technologie n’ont qu’à consulter des collègues expérimentés, les experts de l’Association Restauration Québec ou ceux d’une école hôtelière.
Jean Bédard mentionne que ses clients utilisent l’application Club Cage : « Certains de nos établissements ont leur propre service de livraison, d’autres utilisent les plateformes. L’implantation de ce nouveau canal de distribution a cependant compliqué notre vie : on a dû engager un gestionnaire et ajouté un chapitre complet au manuel d’opération. Nous aussi, on bâtit l’avion en plein vol. »
Alain Giguère, propriétaire de La Voie Maltée, une microbrasserie présente à Chicoutimi, Jonquière, Québec et Sainte-Foy, travaille avec des coops de taxis, qui connaissent le territoire, l’achalandage, les chemins les plus rapides… Le rendement de chaque commande est maximisé. Il a conservé SkipTheDishes, mais éliminé DoorDash, dont la plateforme, tout comme celle d’Uber Eats, ne permet pas d’interaction avec le client. Ses chauffeurs ont suivi une formation en livraison de nourriture et ils disposent de sacs thermiques. À Chicoutimi, on livre en moins de 10 minutes. Il a surtout implanté le système UEAT, une technologie de commande en ligne qui permet à la clientèle de consulter les menus affichés sur son site web. « On contrôle notre marque et notre image », dit-il.
Hugues Philippin a lui aussi UEAT. « Je me suis débarrassé de trois de mes cinq terminaux cellulaires de point de vente, qui coûtaient entre 50 $ et 60 $ par mois, dit-il. En raison de la pandémie, j’ai éliminé les commandes par téléphone et libéré deux postes à plein temps. Avec le web, tu peux servir 200 clients à la fois. Et le prépaiement accélère le service. » Avant la pandémie, 2 % des commandes étaient passées en ligne. Avec UEAT, elles ont grimpé à 10 %. Avec le confinement, le pourcentage est monté à 95 %. Les trois quarts des clients viennent ramasser leur repas et, selon lui, cette proportion demeurera après la pandémie. Dans les temps morts, les livreurs assemblent les boîtes de pizza et passent la serpillière… Des plongeurs sont aussi livreurs.
CUISINE FANTÔME
Chic Alors ! facture au client un coût fixe de 4,88 $. Du côté de Foodtastic, chaque commande coûte entre 6 $ et 12 $ (environ 18 % à 25 %), sans surcharge au client. Le client de La Voie Maltée paie pour le moment 4 $ à 6 $ selon le territoire, soit la moitié du coût de la livraison. Nombreux sont les restaurateurs qui estiment trop élevées les commissions des plateformes, soit de 20 % à 30 % selon la distance et l’achalandage. Le New York Times a calculé que ces frais pouvaient faire bondir de 25 % à 91 % le coût d’un repas. Certains s’en accommodent. D’autres préfèrent gérer livraison, véhicules, amortissement ou allocation au kilométrage, assurances, emballages thermiques… Hugues Philippin ne peut plus se passer de ses Mitsubishi Miev et Kia Soul : « C’est zéro entretien, ça coûte 10 % du prix de l’essence, on a des subventions pour la borne, et les clients trouvent ça sympa… »
Les plateformes abusent-elles de la crise ? En mai, le Washington Post parlait de rébellion des communautés et de capitalisme de prédation. Des villes comme San Francisco, Seattle, Boston, Los Angeles, New York, Jersey City et Toronto ont plafonné (et réduit) les commissions. Mais quand Washington D.C. a imposé 10 %, Uber a répliqué avec des frais de livraison de 3 $. RestoLoco facture aussi 3 $, plus une commission variant entre 15 % et 20 % du repas, soit environ la moitié d’Uber Eats. Et la transaction est effectuée par le restaurateur. « Il contrôle sa relation avec son client, explique Axel Lespérance, président fondateur de RestoLoco. On est plus abordables parce qu’on n’a pas à plaire aux financiers de la Silicon Valley. » Le 22 décembre, la Colombie-Britannique instaurait sa propre limite de 15 % à Uber Eats à cause de la COVID-19. La BC Restaurant & Food Services Association a loué le timing de cette mesure, qualifiée de « cadeau de Noël » par le milieu de la restauration sur la côte Ouest, où la livraison représente 50 % des revenus des restaurants depuis le début de la pandémie.
Les restaurateurs apprécient également Eva : « On facture zéro commission ; seulement des frais de livraison moyens de 8 $. En tant que coop de solidarité, on applique notre mission sociale, qui est d’améliorer la condition économique de nos membres et de nos partenaires. On aime affronter les multinationales car, à terme, on va prendre le dessus », affirme Dardan Isufi Eva, cofondateur d’Eva. Eva qui utilise une technologie blockchain, compte plus de 1000 chauffeurs membres et aura livré 9000 repas en décembre.
Des restaurateurs indépendants poussent plus loin la livraison en se dotant d’une « cuisine fantôme ». Le concept, connu des grandes bannières, permet d’importantes économies d’échelle. C’est qu’ont fait Annie Clavette et Stefan Jacob, propriétaires du Gras Dur au Central, de Mamm Bolduc et de Das Food Truck. Le couple s’est associé à leurs amis Kamal et Élise Chami, qui possèdent une cuisine centralisée à Saint-Eustache pour leurs bannières Nachos’s, Oui mon Colonel, Ailes et BBQ, SAJwich et Le Pain Saj Express. « Avec la pandémie, on roule à perte au Central, malgré les subventions salariales, explique Annie Clavette. On a triplé l’achalandage en déménageant la production chez Mamm Bolduc. On a poussé le concept plus loin en misant sur la cuisine fantôme. On peut servir 15 clients à la fois avec une équipe de cuisine réduite. On livre avec SkipTheDishes et Uber Eats. On a lancé ce projet sans dépenser une fortune. On bénéficie d’une cuisine industrielle inspectée par le MAPAQ et on se rapproche de marchés prometteurs : c’est le meilleur des mondes. » Annie Clavette juge les commissions des plateformes trop salées et demande à Pierre Fitzgibbon, ministre québécois de l’Économie, d’imposer un plafond de 15 %. Mais elle n’arrêtera jamais la livraison, qui lui a permis de survivre à la pandémie.
Personnalité HRI
Personnalités 2021
25 février 2021
| Par Sophie Suraniti, Laurence-Michèle Dufour, Marie Pâris, Pierre-Alain Belpaire, Alexandra Duchaine
Le contexte : vous travaillez en cuisine. Le problème : la friteuse prend feu. La question : que faites-vous ? Bienvenue dans un module de formation en réalité augmentée sur la prévention des risques au restaurant ! Dans une formation signée Happy Réalité, l’employé se frotte à des situations réelles tout en restant sur son lieu de travail, avec des lunettes connectées comme simple équipement. En appliquant la réalité augmentée à la formation, la fondatrice de Happy Réalité, Isabelle Leblond, met le doigt sur un besoin criant et plus que pertinent à l’heure actuelle dans de multiples secteurs professionnels.
L’aventure a commencé à l’automne 2018, quand elle a fait un retour aux études dans le programme de Hautes Études en gestion hôtelière internationale de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ). À la première session, elle découvre la réalité augmentée dans le cours sur les technologies de l’information et de la communication des établissements hôteliers. Gros coup de cœur pour ce procédé, qui permet l’intégration d’éléments virtuels en 3D au sein d’un environnement réel. « En réalité augmentée, les lunettes ne sont pas à 100 % opaques. L’environnement reste réel, mais certains éléments en 3D sont ajoutés », mentionne l’entrepreneure. À la session suivante, le cours sur la gestion de l’accueil sera pour elle l’occasion de trouver une application directe pour cette technologie de réalité augmentée.
L’exercice demandé par le professeur est le suivant : les étudiants doivent proposer une technologie qui n’existe pas encore dans le milieu hôtelier pour améliorer l’accueil de la clientèle. L’étudiante décide de prendre le contrepied des directives : « Selon moi, si tu améliores l’expérience employée, tu améliores l’expérience client. Quand on a un personnel bien formé, on a un impact direct sur la clientèle. »
Elle en sait quelque chose. Pendant plus de 10 ans, elle a travaillé dans le milieu de la restauration comme serveuse et barmaid. Le personnel incompétent qui forme les nouveaux, elle connaît ! « Je l’ai vécu sur le terrain. Des gens qui doivent vous montrer le travail mais qui ne savent pas faire, parce qu’ils ont été eux-mêmes mal formés. » Or, en matière d’attraction et de rétention de la main-d’œuvre, tout se joue dans les premières semaines. Pour la future conceptrice d’outils virtuels, il ne faut donc pas s’étonner que les taux d’engagement dans l’industrie touristique soient si bas.
APPRENDRE SANS SUBIR LES HUMEURS DU FORMATEUR
À partir de ses expériences et de ce qu’elle apprend en cours, elle commence à travailler un prototype de module de formation en réalité augmentée. Direction le MT Lab. Cet incubateur de jeunes pousses consacré au tourisme, à la culture et au divertissement a été mis sur pied en 2017 par l’Université du Québec à Montréal et Tourisme Montréal. Isabelle Leblond y rencontre l’équipe d’Ohrizon, alors installée dans l’espace de travail collaboratif de l’organisme incubateur. Cette jeune entreprise est notamment spécialisée en création de contenus de réalité augmentée pour le domaine culturel. Isabelle Leblond pose des questions, se fait aider quand un aspect lui échappe et relie très vite tous ces champs du possible.
« En réponse à la problématique du cours, j’ai présenté un prototype de réalité augmentée dont le sujet était Comment bien plier les serviettes ? » Ce prototype a pour décor une petite salle de bain. Lorsqu’on met les lunettes connectées, on peut voir le lavabo en 3D, les serviettes et un employé virtuel qui montre comment bien les plier. L’apprenant peut le faire en même temps. Le professeur d’Isabelle est soufflé par ce qu’il voit : son étudiante tient là une intéressante occasion d’affaires.
« Je réalise que mon idée est encore plus pertinente lorsque je me rends en France au printemps 2019 pour effectuer mon stage de gouvernante dans un grand hôtel », souligne Isabelle. Là-bas, les employés de première ligne sont fatigués physiquement et mentalement. En plus d’accomplir leurs tâches quotidiennes, ils doivent former les nouveaux venus, sans aucune reconnaissance pour ce travail, formelle ou financière. « Je suis quelqu’un qui a besoin de voir et de faire en même temps pour apprendre. Or, le stress et la fatigue font perdre patience aux gens. »
Apprendre sans subir les humeurs du formateur est l’une des grandes plus-values de la solution de formation en réalité augmentée qu’imagine Isabelle. Les émotions sont mises de côté, on se concentre sur les gestes. Une constance est aussi assurée dans la formation. De retour au Québec en octobre 2019, l’étudiante peaufine son plan d’affaires. Sa compagnie voit officiellement le jour en janvier 2020 : Happy Hotels. Mais entretemps, un autre projet va germer dans sa tête…
UN NOUVEAU CONCOURS AU QUÉBEC
Alors qu’elle représente l’ITHQ dans le cadre d’un concours international d’hôtellerie organisé aux Pays-Bas (le Smart Hospitality Challenge, ou Genio), la conceptrice revient avec l’idée de créer un événement similaire au Québec ; elle monte rapidement une équipe. « J’ai eu envie de faire connaître ici ce que j’ai vu et vécu à Amsterdam. Mais avant de présenter mon idée à la direction des études de l’ITHQ, je me suis rapprochée de futurs partenaires et commanditaires afin de ne pas me faire dire non. » Ce qui ne devait être au départ qu’un petit projet prend de l’ampleur. Étudiants et direction de l’ITHQ, jeunes entreprises incubées du MT Lab, groupes hôteliers… Isabelle parvient à connecter tout ce beau monde. Le projet est présenté, bien ficelé, il arrive à un moment opportun pour la notoriété de l’école. Et avec l’arrivée de la COVID-19, il devient même prioritaire.
Ce nouveau concours international baptisé MTLHC (pour Most Talented Leaders Hospitality Challenge ou Compétition hôtelière pour les meilleurs talents en leadership) met au défi des étudiants en hôtellerie de niveau universitaire. En tout, 10 équipes de 3 à 4 étudiants issus de partout (Belgique, France, Inde, Luxembourg…) doivent analyser deux études de cas réels soumis par le groupe ÉPIK Collection et le Fairmont Le Château Frontenac. Entièrement gratuit et en ligne, le concours a commencé en novembre pour se terminer à la mi-janvier. Lorsqu’elle se remémore la cérémonie d’ouverture, Isabelle a les yeux qui brillent, très émue : « Ce fut au-delà des attentes de tout le monde. C’était vraiment magique. »
« Le concours international, je l’associe à mon développement personnel, à du temps donné aux autres, du bénévolat. Happy Hotels, c’est mon développement professionnel. La formation ITHQ, c’est réalisé, c’est terminé. » Le questionnement sur l’après ne reste pas longtemps en suspens pour la jeune diplômée : entretemps, le MT Lab a retenu sa candidature parmi les 119 dossiers reçus pour l’année 2020-2021 ! Elle se joint donc à la quatrième cohorte de jeunes pousses innovantes (15 en tout) avec sa compagnie Happy Hotels.
L’évaluation de sa stratégie d’entreprise à mi-parcours du processus d’incubation l’encourage fortement à appliquer sa solution à d’autres secteurs. Happy Hotels devient ainsi une branche sectorielle de la maison-mère nouvellement créée, Happy Réalité. Un associé au solide profil financier vient de se joindre à l’entreprise, et le premier développeur en interne a été embauché. « Je vise le créneau de la relève, conclut la femme d’affaires. Les ressources humaines en tourisme ou dans les épiceries sont très jeunes : il faut savoir les garder. »
Français d’origine, Aymeric Halbmeyer fait d’abord ses classes en cuisine sur le Vieux Continent auprès de chefs de renom tels qu’Alain Ducasse et Michel Trama. Séduit par le Québec, le Vendéen décide d’y immigrer en 2009. « J’avais besoin de voir autre chose et je m’y suis plu aussitôt, se rappelle le jeune chef. La scène gastronomique montréalaise n’était pas encore si développée, mais en 10 ans, ça a beaucoup évolué. » Après avoir travaillé en tant que chef pâtissier, enseignant et chef cuisinier, il est épuisé par le rythme effréné du milieu. Comme il est à la recherche d’une certaine stabilité et d’une meilleure qualité de vie, il se joint en 2017 à l’équipe de Sodexo, l’un des plus grands fournisseurs du secteur des services de restauration, à titre de chef exécutif pour le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM).
Photographe à ses heures, Aymeric Halbmeyer se définit comme un amateur de belles choses ; il apprécie l’art et l’esthétisme de la gastronomie. Il déplore d’ailleurs que son employeur soit parfois perçu comme une référence en matière de nourriture de cafétéria : « C’est une vision un peu péjorative et réductrice de tout ce qu’on peut accomplir. Le sandwich-pas-de-croûte ? Pas trop mon domaine ! » Même si on lui demande d’avoir un menu accessible pour rejoindre le plus grand public au restaurant du MBAM et quelques sandwichs abordables pour celui du bistro, le chef préférera le canard au poulet par exemple. Pour lui, privilégier l’achat local, encourager des entreprises familiales et soutenir des pratiques alimentaires durables vont de soi. « Mettre un visage et une histoire derrière un produit facilite le respect envers ce dernier. Et après tout, la famille de la restauration, ce sont aussi les producteurs ! »
Ses étés passés lorsqu’il était enfant à la ferme de son grand-père agriculteur, là où aucune nourriture ne se perdait, lui ont rapidement inculqué la valeur des aliments. « Aujourd’hui, il y a une déconnexion complète entre ce que ça prend comme ressources pour produire un aliment et le fait que l’on puisse se le procurer si facilement, déplore le jeune chef. On est dans une société de consommation où l’on n’a plus conscience du temps que ça prend pour avoir de la viande ou des légumes. En fait, toute cette nourriture que l’on peut avoir à profusion sur les tablettes du supermarché nous déconnecte complètement de nos racines. » Aymeric Halbmeyer se donne ainsi pour mission d’utiliser au maximum chacun de ses produits. Une grosse quantité de trognons de pomme, qui contiennent naturellement de la pectine, peut ainsi servir à faire une délicieuse gelée. Ou encore, il va déshydrater les framboises flétries pour en faire une poudre au goût concentré qui pourra enjoliver les desserts. « On ne réinvente pas la roue : on ne fait que respecter le produit », précise-t-il.
TOUS AU FRONT !
Si la pandémie a forcé Sodexo à se restructurer et à réaffecter certains de ses acteurs, ce n’est que temporairement que le chef se retrouve à la direction générale des cuisines pour l’entreprise Desjardins. Il travaille activement à la mise en place des menus et bons de commande afin d’en bâtir le modèle. « Dans les mois qui viennent, on va déterminer le programme complet comprenant toutes les recettes en fonction des saisons, se réjouit Aymeric Halbmeyer. Notre objectif est d’avoir un maximum de recettes approuvées par Aliments du Québec. » Il profite aussi de cette période pour faire l’essai dans l’une de ses cafétérias de gobelets à café et de contenants à emporter réutilisables et consignés.
Et cela ne s’arrête pas aux cafétérias de l’entreprise Desjardins. Si le chef salue le travail et les solutions souvent apportées par ses confrères aux fourneaux de tables d’exception, comme Normand Laprise, il considère avoir la chance de faire bouger les choses à plus grande échelle. « Une compagnie comme la nôtre a cette responsabilité de pousser pour que le changement s’opère, indique-t-il. C’est à nous, les gros acteurs de ce monde, de prendre position ; c’est pour cette raison que c’est devenu l’une de nos priorités. Sodexo cherche à ne s’approvisionner que de produits locaux dans les années à venir. »
Selon le chef, il est important de prendre des mesures plus radicales pour faire bouger les choses et, surtout, arrêter de croire que « ça va bien aller ». « Si on est capable de faire mieux, pourquoi on ne le ferait pas, tout simplement ? » Le mantra d’Aymeric Halbmeyer : « Ça ne sert à rien de suivre la tendance : il faut être la tendance. »
La Presse lui consacrait en avril un portrait dans sa série À la recherche du bonheur. Et on comprend vite pourquoi : Kaitlin Doucette rit toutes les deux phrases et déborde d’optimisme, même si la discussion porte surtout sur le secteur sinistré de la restauration. La sommelière du restaurant montréalais Foxy a d’ailleurs perdu son emploi en mars. « Je pensais à mes collègues qui seraient vulnérables dans la crise, se rappelle-t-elle. Beaucoup de mes amis étaient en panique totale, sans job, sans argent, à un moment où le gouvernement n’annonçait encore rien… »
Dès les premières semaines de la pandémie, la jeune femme de 31 ans met donc sur pied le Fonds de secours aux travailleurs de restauration de Montréal, un organisme qui récolte de l’argent pour les acteurs de l’industrie en difficulté financière. Une façon pour Kaitlin Doucette, qui s’affirme « très à gauche », de faire le lien entre son milieu professionnel et ses valeurs sociales. L’organisme fonctionne sur le principe du premier arrivé, premier servi : « On ne voulait pas que pour toucher l’aide les gens aient à trop se justifier, à dire comment ils allaient utiliser l’argent, explique-t-elle. Les travailleurs de la restauration sont déjà dans un moment difficile, alors on voulait que ce fonds soit le plus accessible et le moins stigmatisant possible. »
Si l’objectif de départ était d’amasser 10 000 $, le Fonds a récolté à ce jour 200 000 $ et aidé presque 1000 travailleurs. Et il continue de rouler avec de nouvelles initiatives et divers partenariats pour stimuler les dons. Une clinique juridique va notamment être lancée pour aider les travailleurs à naviguer dans les réglementations. « Entre le MAPAQ, les programmes gouvernementaux, le chômage et tout le reste, ce n’est pas toujours facile à comprendre », estime Kaitlin Doucette.
COALITION FÉDÉRALE
Après quelques mois en Outaouais chez sa mère, elle est revenue à Montréal et a changé d’appartement. « Cette fois, on a un balcon, et on a adopté un chien ! raconte-t-elle, ravie. Ça aide beaucoup avec le confinement, car ma vie sociale me manque vraiment. » Heureusement, la communauté de sommeliers est tissée serré, et Kaitlin Doucette participe à des discussions, des événements autour du vin ou des dégustations en ligne. « J’en ai une cet après-midi sur le saké et j’ai très hâte. J’adore lire sur le vin, mais c’est vraiment en dégustant et en échangeant que ça m’allume ! »
Elle s’estime chanceuse d’avoir pu faire quelques économies avant la pandémie. D’autant plus que son conjoint, un ancien chef, s’est également retrouvé sans emploi en mars. « Tout ce qui s’est passé dans l’industrie l’a vraiment déstabilisé, confie la jeune femme. Maintenant, il a changé de carrière : il travaille en construction. » Même si le Fonds l’occupe déjà beaucoup, elle a lancé une autre initiative en collaboration avec un organisme de Toronto : la Coalition canadienne des travailleur.se.s de la restauration, qui vise à faire du lobbying auprès du gouvernement fédéral.
« On veut des solutions plus adaptées à notre industrie. La restauration est quand même le quatrième employeur au Canada ! indique-t-elle. La PCU a permis à des gens de survivre, maintenant, c’est le temps de mettre en place des stratégies de long terme. En mars prochain, beaucoup de travailleurs auront été au chômage depuis un an et la majorité va se retrouver sans débouchés… » Elle déplore notamment que la plupart des stratégies du gouvernement soient orientées vers les entreprises plutôt que vers les travailleurs, dénonçant au passage certains patrons. « La majorité des restaurateurs sont passionnés et prennent soin de leur personnel, mais ce n’est pas le cas de tout le monde. »
La sommelière hyperactive a aussi commencé à enseigner à temps partiel dans une école hôtelière d’Ottawa, en plus de suivre en ligne des cours en engagement communautaire et travail social à l’Université Ryerson de Toronto. Déjà titulaire d’un baccalauréat en communication, elle a aussi approché un média anglophone spécialisé en restauration. « Écrire est toujours dans un coin de ma tête, confie la jeune femme. Aujourd’hui, ça pourrait être un bon défi pour moi. » La pandémie a en effet un peu remis en question sa vocation en exposant des fragilités qui minaient déjà l’industrie avant la crise.
Elle dit malgré tout garder une passion pour la restauration, le vin et l’aspect social du métier. « J’aimerais y retourner un jour, mais peut-être que là c’est le temps de repenser ma carrière, confie-t-elle. Je reste optimiste : c’est peut-être plus une question d’années que de mois, mais la situation finira par s’arranger. En attendant, c’est le moment de trouver des solutions créatives pour s’adapter à la situation. »
Mathieu Samuel a sa région tatouée sur le cœur. Ce « gars de nature » de 22 ans a grandi à Rivière-au-Renard, à la pointe de la Gaspésie, où il est retourné il y a deux ans. « J’aime passer du temps en forêt et au chalet, et la région a beaucoup à offrir : pêche, plein air, randonnée, chasse, motoneige… J’adore la vibe et le rythme de vie, moins stressant qu’en ville. La Gaspésie est un magnifique attrait du Québec — et pas mal moins coûteux qu’un voyage à l’étranger ! »
Le jeune homme a toujours voulu se diriger en tourisme. À 18 ans, il commence à travailler à La Révolte, le restaurant de l’auberge Le Caribou. Dans son village d’environ 3000 habitants, peu d’entreprises touristiques sont ouvertes à l’année, et il se verrait bien reprendre celle-ci… « Le Caribou existe depuis 1930 ; plusieurs générations sont passées par là, explique-t-il. L’entreprise m’intéressait. J’ai donc dit au propriétaire de venir me voir lorsqu’il voudrait vendre. Mais ça a vraiment été plus rapide que prévu… »
Alors que le futur entrepreneur pensait avoir encore plusieurs années devant lui, le propriétaire de l’auberge lui propose l’établissement au bout de quelques mois. L’étudiant accepte malgré tout. « Ce n’était pas le plan, mais finalement je suis dans le tourisme et c’est ce que je voulais, résume-t-il. Mon but était d’avoir mon entreprise. » Le voilà ainsi directeur des opérations au printemps 2019, avant de devenir officiellement propriétaire en janvier 2020. Soit deux mois et demi seulement avant qu’une pandémie ne vienne chambouler la planète…
UN BAPTÊME DU FEU
« J’avais fait beaucoup de scénarios dans mon plan d’affaires, mais ça, je ne l’avais pas vu venir… » Un vrai baptême du feu pour Mathieu Samuel, alors que l’auberge-restaurant doit rapidement s’adapter aux nouveaux règlements sanitaires. « Mais je suis chanceux, car j’ai une grande surface de restaurant, note le jeune homme. Le “2 mètres” a été facile à respecter. Et les serveurs avaient hâte de revenir travailler, donc quand ça a rouvert, ils ont tout fait pour que ça marche bien. »
Finalement, la Gaspésie devient la destination touristique de l’été, et le fort achalandage est une autre surprise qu’il n’avait pas prévue : il n’a pas embauché suffisamment de personnel au printemps. « On a servi les clients comme on a pu, raconte le jeune homme. Mais je suis très content d’avoir eu un été comme on a eu. Ça nous a permis de rester à flot. »
Dans son équipe d’une trentaine d’employés, certains sont dans l’entreprise depuis avant sa naissance. Le nouveau gestionnaire assure ses fonctions avec beaucoup d’humilité et de respect. « Comme ils travaillent là depuis une trentaine d’années, ils savent mieux que moi ce qu’ils font. Je les écoute. Et je ne suis pas du genre à prendre une décision tout seul ; je vais donc souvent leur demander conseil. » Mais il n’a pas pour autant peur de prendre des décisions : « Parfois, ça marche, parfois, ça ne marche pas… Mais j’aime développer l’entreprise ; c’est un peu ça qui me drive. »
S’IMPLIQUER DANS LA RÉGION
Il ne compte pas ses heures depuis qu’il est seul maître à bord, restant parfois à dormir sur place lorsqu’il finit tard. Le quotidien du nouveau restaurateur-aubergiste est d’autant plus exigeant qu’il poursuit à distance des études en administration des affaires. À l’âge où d’autres enchaînent les soirées et les voyages, lui tient sa liste de tâches avec application et respecte « de saines habitudes de vie ». Il se garde notamment du temps pour s’entraîner. « Je suis très sportif, explique-t-il. L’hiver, je fais du hockey, l’été, je joue au golf, mais il faut que je me lève à 5 heures pour y aller, car je n’ai pas le temps dans la journée… »
Ce Gaspésien convaincu a aussi l’intention de s’impliquer localement. Pas en politique pour l’instant — « j’ai de l’expérience à prendre » —, mais il se voit bien dans des conseils d’administration : « Il y a beaucoup de festivals grâce auxquels je pourrais aider à promouvoir la région pendant l’hiver. » En attendant, il essaie au quotidien d’apporter une touche de jeunesse à La Révolte, notamment dans les menus, et d’attirer la clientèle de son âge en suivant les tendances (« Je lis beaucoup HRImag pour ça ! »).
Le patron ne se cache pas d’avoir de grandes ambitions pour son entreprise : « Je veux que tout le monde connaisse l’établissement comme un incontournable où s’arrêter. Je veux que les touristes viennent profiter de ce qu’on a à offrir. » Comme de la vue qu’il a depuis son auberge, au bord du golfe et à deux minutes de la plage.
Depuis son arrivée à la compagnie A&W Canada en 1992, Susan Senecal a occupé plusieurs postes, géré bien des crises et piloté plus d’une réforme. Pourtant, celle qui a pris en février 2018 les rênes du dynamique géant en est persuadée : rien n’aurait pu la préparer à affronter l’ouragan qui a ravagé la planète au cours des derniers mois. « Pour une rare fois, on n’avait pas la possibilité de voir comment on s’en était sortis la fois précédente… », relève-t-elle. Pour aider le paquebot A&W à naviguer dans cette terrible tempête, la dirigeante, plutôt que de s’en remettre à son instinct ou de céder à la panique, a préféré faire ce qu’elle fait de mieux : écouter.
« On a cherché à comprendre ce que désiraient nos clients en ces temps de COVID-19, ce qu’ils voulaient, ce dont ils avaient le plus besoin. On les a écoutés, on les a regardés. Et on les a compris », résume-t-elle. Alors que, au cœur de la pandémie, certains restaurateurs choisissaient de repenser leur offre et leurs services et que d’autres repartaient carrément de zéro pour se réinventer, les équipes d’A&W Canada ont gardé le cap et misé sur leurs points forts : un réseau pancanadien de près de 1000 succursales et riche de franchisés « très impliqués », une relation de confiance avec fournisseurs et artisans et des produits de qualité, plébiscités par les consommateurs et salués par les experts de l’industrie.
« Pour tout notre secteur, 2020 restera comme un très grand choc ; pour nous aussi, la COVID-19 a eu un gros impact, souligne la présidente et chef de la direction. Mais, à mes yeux, on avait une responsabilité à honorer : en plus d’assurer la santé et la sécurité de nos équipes, on se devait de fournir un service aux infirmiers, aux médecins et à tous les travailleurs essentiels qui avaient besoin de nous. Dans cette période d’incertitude, notre job, c’était d’être là pour eux. »
Déjà habituée à s’adapter aux règles et aux directives propres à chaque province canadienne, A&W a pu rapidement se positionner et accompagner les gestionnaires de ses divers restaurants, les encourageant notamment à miser sur la livraison ou le service à l’auto. Et les incitant même à innover : tandis que certains concurrents peinaient à se relever et à reprendre leur souffle, les troupes de Susan Senecal annonçaient, par exemple, au cœur de l’automne dernier, qu’elles serviraient désormais exclusivement du bœuf 100 % canadien nourri à l’herbe.
LES APPRENTISSAGES UTILES
Depuis bientôt une décennie, A&W Canada a fait de l’innovation l’un de ses principaux moteurs. Et on ne compte plus les fois où l’enseigne a fait figure de véritable pionnière : en 2013, elle décidait de proposer du bœuf sans hormones ni stéroïdes ; quelques mois plus tard, c’était au tour des poulets et des porcs de recevoir ce respectable traitement. La bannière fut l’une des premières à proposer du café équitable et à bannir les pailles en plastique. « L’innovation, c’est un peu notre deuxième nature, assure la présidente. Et ce ne sont pas des changements que nous imposons au consommateur : non, ce sont des réponses que nous apportons à ses attentes, à ses choix à lui. »
Le coup le plus audacieux de Susan Senecal (et certainement aussi le plus médiatisé) fut l’introduction dans ses restaurants, en 2018, de la désormais célèbre galette végétale Beyond Meat. Or, une fois encore, cette décision ne devait rien au hasard ni à la chance : dès 2013, se souvient la responsable, la direction d’A&W Canada avait décidé de tout mettre en œuvre pour proposer un burger végé qui soit « véritablement bon ».
« On a essayé des tas de galettes, aux goûts et aux textures diverses, on a testé, on a comparé. Ce n’étaient pas tous des échecs, loin de là, mais pas ce qu’on recherchait, non plus. C’étaient des deuxième ou troisième choix. Et donc ça ne nous suffisait pas. Puis, après plus de trois ans de recherches, on a goûté le Beyond Meat. Et c’était ça. Tout simplement. » À peine quelques mois plus tard, la galette s’invitait sur les menus, au grand plaisir des végétariens et de nombreux autres gourmands. « Les longs mois d’essais qui ont précédé la mise en marché de Beyond Meat ne doivent surtout pas être vus comme des échecs : ce sont des apprentissages utiles », philosophe la patronne.
Novatrice, la chaîne entend bien le rester. Elle devrait ainsi, au cours des prochains exercices, favoriser l’agriculture régénératrice, les ingrédients locaux et naturels et la protection de l’environnement. Elle mettra aussi un point d’honneur à se rapprocher encore davantage des producteurs, promet Susan Senecal. « On ne peut évidemment pas tout faire, c’est sûr, mais on veut toujours mieux faire. Chaque trimestre, on regarde les progrès accomplis, on analyse toutes nos actions. Et si on constate qu’on peut faire mieux, on s’adapte. »
« SUR LA BONNE VOIE »
Alors qu’elle célébrera cette année son 65e anniversaire, la section canadienne de A&W n’a jamais semblé aussi fringante. Elle a notamment pu, grâce aux ajustements effectués au cours de la dernière décennie, séduire une nouvelle clientèle, (bien) plus jeune mais aussi (beaucoup) plus exigeante. « On est nés en 1956 : on a donc grandi avec les baby-boomers, on était leur choix numéro 1, explique la présidente. Mais quand on a vu débarquer la nouvelle génération, on a compris qu’on ne pourrait pas jouer la carte de la nostalgie. Cependant, on connectait pleinement avec elle en matière de valeurs, de qualité des aliments, de défense de l’environnement, etc. »
Qu’ils aient les tempes grisonnantes ou qu’ils fréquentent depuis peu les A&W du pays, les fidèles de l’enseigne semblent particulièrement satisfaits des changements apportés, des valeurs partagées et des produits offerts. En 2018, un rapport publié par Technomic, une firme de consultants de Chicago spécialisée dans l’industrie de la restauration, indiquait que la bannière s’en sortait bien mieux que ses concurrents directs sur des plans aussi variés que la responsabilité sociale, la qualité des aliments et l’écologie.
Dans un article paru peu après dans le Globe and Mail, l’analyste Robert Byrne relevait notamment que 81 % des consommateurs saluaient les efforts mis en place par les troupes de Susan Senecal pour offrir des ingrédients naturels, biologiques et durables, un score largement supérieur à la moyenne des autres restaurants à service rapide présents au Canada (65 %). « De tels résultats, ça me rend particulièrement fière, se félicite la dirigeante. L’écoute du consommateur est source de réussite. Nous, au fil des ans, on a changé beaucoup de choses, on a apporté de nombreuses réponses qui semblent plaire au public. C’est un long voyage, on est encore loin d’être arrivés à destination, mais nous sommes sur la bonne voie. »
Après une année 2020 chahutée et en tous points exceptionnelle, Susan Senecal en est convaincue : dans l’univers de la restauration canadienne, les courbes repartiront bientôt à la hausse. « Ça dépendra bien sûr du reste de l’économie. Ce sera peut-être timide au début, ça ne se fera pas du jour au lendemain, mais ça va redémarrer », glisse-t-elle. Et d’ajouter, après un rare instant de silence : « Quand le Canada va bien, A&W va bien. »
Maryse Côté est directrice de l’école Louis-de-France, en banlieue de Trois-Rivières, depuis maintenant 10 ans. Cette année sera sa dernière en poste. D’abord enseignante en mathématiques et en éducation physique, celle que les élèves appellent « Madame Maryse » n’entend pourtant pas chômer. « Je vais laisser la direction d’école, mais je suis certaine qu’il va m’arriver quelque chose, s’exclame-t-elle joyeusement. J’ai déjà pensé être superviseure de stages universitaires pour les futurs enseignants. J’ai plein d’idées en tête, mais si j’ai la possibilité de travailler à ce que mon projet prenne vie partout, ce sera évidemment ma priorité. »
Son projet, c’est un tout nouveau programme d’enseignement, L’agroalimentaire s’invite à l’école, qu’elle a mis sur pied malgré son emploi du temps déjà bien chargé. D’abord réalisé pour les 432 élèves de sa petite école de quartier, le modèle attire rapidement l’attention du ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ), André Lamontagne. Au mois de mai dernier, ce dernier est en effet venu remettre à l’école un chèque de 649 000 $ pour assurer la pérennité du projet.
La création de l’organisme à but non lucratif AgrÉcoles s’ensuit alors afin de mieux gérer la rondelette somme et permettre à l’organisme de créer des outils clés en main pour faciliter la mise en place du projet dans les autres écoles primaires de la province. « Ça permettra d’éviter que les autres directions d’école aient à faire tout le chemin que j’ai dû faire pour en arriver là et d’alourdir la tâche du personnel enseignant », se réjouit Maryse Côté.
Éternelle optimiste, la directrice laisse son cœur la guider et aime de toute évidence être entourée d’enfants. « C’est vraiment ma passion, lance-t-elle. Ils sont spontanés, drôles, et on apprend beaucoup d’eux. Il faut parfois les écouter plus qu’on parle. » C’est d’ailleurs lors d’une conversation avec un écolier de maternelle que germe en elle l’idée qui mènera à AgrÉcoles. Le bambin lui affirmait alors que les carottes poussent dans les épiceries ; le soir venu, la directrice discute de la situation avec son mari et s’inquiète du sort de ses élèves, toujours plus rivés à leurs écrans qu’au monde réel. « C’est spécial, constate-t-elle. Il y a des écoles de sport, de musique, de toutes sortes d’intérêts, mais on dirait qu’on oublie l’essentiel : on mange tous trois repas par jour. »
LE GOÛT DE LA CAROTTE
Le programme sur lequel elle se penche depuis quatre ans déjà consiste à reconnecter les enfants à la terre, mais il va bien au-delà du jardinage. À travers une multitude d’ateliers pédagogiques qui peuvent s’intégrer aux différentes matières scolaires en classe, les élèves en apprennent plus sur l’origine des aliments, les procédés de transformation et les métiers de l’agriculture. « Les enfants sont des éponges à cet âge-là. Ils aiment ça, alors il faut en profiter ! rit la directrice. Ils se rendent compte que, pour manger une carotte, on a investi beaucoup de temps, de patience, de persévérance et de travail. En fin de compte, la carotte n’a ensuite plus le même goût. Les parents me disent à quel point ils voient la différence : les enfants sont moins portés à gaspiller. C’est comme une toile d’araignée qui peut juste s’agrandir dans toutes les directions… »
L’école est entourée de 23 jardins, et chacune des classes possède le sien. Des activités différentes pour tous les niveaux sont au programme de la maternelle à la 6e année, et chaque année possède sa propre thématique. « Pour les 4e, ce sont les épices et pour les 5e, les céréales, énumère Maryse Côté. Nos élèves de 5e année nous font du bon pain chaud ! » Grâce à la subvention, une cuisine, une chambre froide ainsi qu’une serre ont en effet pu être aménagées. « Tout ça sera opérationnel 12 mois par année ; ça va être extraordinaire ! » Une partie du budget est évidemment consacrée à la rédaction et à la mise en page des ateliers afin de faciliter concrètement l’intégration du projet dans le cursus scolaire, sans ajouter à la charge de travail du personnel enseignant. « Mais tout peut s’adapter à la réalité, au contexte et à l’environnement de chacune des écoles », assure la directrice.
D’ici la retraite, « Madame Maryse » va s’assurer que la personne qui lui succédera aura un intérêt marqué pour l’agroalimentaire. « La gestion d’une partie du projet fait partie intégrante du projet éducatif, insiste-t-elle. Mais là, tout est en place : les infrastructures sont montées. Ce sera plus facile. » Et celle qui a créé le projet AgrÉcoles bénévolement pourra toujours venir aider au comptoir à salade, aux récoltes ou dans la serre l’an prochain. « À moins que le Ministère ne m’engage pour le propager partout. Si ça m’était offert, ce serait évidemment une avenue fort intéressante pour moi, confie Maryse Côté. Mais sinon, je vais déjà m’assurer que le projet continue de vivre - et bien - à mon école. »
Daniel Noiseux nous ouvre les portes de son diner à l’angle de la rue Saint-Denis et du boulevard Saint-Joseph, à Montréal. La voiture-restaurant importée de Boston en 1993 est cernée de clôtures et à vendre depuis octobre 2020. « J’ai le bourdon d’être dans ce lieu vide et fermé. Je ne le vends pas cher, pour le sauver d’un point de vue patrimonial. »
Il n’y a pas que cette succursale Pizzaiolle du Plateau-Mont-Royal qui est à sauver. En cette période de fortes turbulences, son créateur se questionne sur son métier de restaurateur, et la pandémie agit sur lui comme un accélérateur de pensées. Que sera le restaurant Pizzaiolle post-COVID ? Un comptoir de quartier qui offre des plats cuisinés sur place, prêts à emporter ? La pizza napolitaine, plat signature du groupe depuis 40 ans, sera-t-elle encore d’actualité dans les assiettes ?
La pizza, c’est un peu la madeleine de Proust de notre interlocuteur. « Quand j’étais pensionnaire, ma grande récompense était d’aller manger une pizza Chez Vito, dans Côte-des-Neiges… » La pizza, c’est aussi le souvenir de sympathiques marches avenue Van Horne à Outremont, en compagnie de son grand-père, pour aller acheter une pointe chez Pendeli’s Pizza. De 1972 à 1980, il essaie de suivre des études en architecture, puis arrête pour des raisons financières. Mais gagner sa vie comme vendeur automobile le déprime — tellement que ça lui cause un ulcère à l’estomac à 27 ans ! Pour ce Montréalais pure laine, il est temps de changer radicalement de voie, tout en rendant hommage à son grand-père : il ouvrira une pizzéria.
Outremont, rue Hutchison, 1981. Le concept de Daniel Noiseux est simple, mais novateur pour l’époque : amener un plat traditionnel connoté « malbouffe » à un autre niveau. Exit cette pizza en format jumbo, hyperhuileuse et garnie d’ingrédients bas de gamme, que l’on dévore devant une game de hockey ! Il va la faire comme en Europe : une pizza de style napolitain cuite dans un four à bois construit par un maçon italo-montréalais. C’est du jamais vu ! Tout comme le décor : la cuisine est entièrement ouverte. « Quand vont-ils mettre les rideaux ? » s’interroge alors la clientèle. « Beaucoup de cuisiniers refusaient de venir y travailler ! Je voulais un cadre chic pour un mets populaire, avec une carte des vins soignée, pantalon noir et chemise blanche pour les serveurs… Je me suis toujours vu comme un consommateur, et non comme un entrepreneur. »
PIZZA POST-COVID
Le concept plaît et sera vite plagié. En deux ans à peine, une vingtaine de fours à bois apparaîtront d’ailleurs dans des restaurants montréalais. « Les 10 premières années de Pizzaiolle, il fallait compter un bon 45 minutes d’attente avant d’avoir une table. C’était fou ! » Après Outremont, l’homme tentera sa chance sur la rue Crescent, puis sur le boulevard Saint-Laurent. À ces trois succursales s’ajouteront des conteneurs maritimes recyclés en petits restaurants saisonniers au design écoresponsable dans le Vieux-Port de Montréal. Plus tard, en 2009, il lance ce concept de restauration mobile — baptisé Muvbox, bien avant que la cuisine de rue s’organise à Montréal. En cette fin d’année 2020, seul le Pizzaiolle de Ville Mont-Royal reste toutefois en activité.
Pizzaiolle propose une pizza napolitaine montréalaise. Mais d’autres types de pizzas existent sur le marché, dont une particulièrement en vogue : la pizza romaine ou al taglio (qui signifie « à la coupe », en italien). Préparée avec des ingrédients choisis avec le plus grand soin (simples, naturels, saisonniers) et surtout avec une pâte dont la fabrication exige un long temps de repos, cette pizza cuit sur de grandes plaques. On obtient ainsi une pâte à la fois moelleuse et épaisse, que l’on coupe en grands carrés ou rectangles : le support parfait pour le prêt-à-emporter.
« Ce n’est pas la fin de la pizza napolitaine, mais c’est le concept post-COVID de Pizzaiolle. Je pense que la clientèle va revenir timidement, mais que le budget restaurant des gens va changer. Ça va être long et progressif. Nous avons également réussi à faire une pizza surgelée de très grande qualité, mise sous vide. Elle passe directement du froid au four : le résultat est extraordinaire. » Comme le souligne le restaurateur, tout ça reste de la pizza, mais le processus pour l’améliorer continue. « Il faut sortir de sa zone de confort, même si à 68 ans on aspire à plus de tranquillité ! On va faire moins, mais on va le faire mieux. Sinon, je ne serais pas encore là… »
Jean Brouillard a la réputation d’être un grand communicateur, et ce ne sont pas des ragots. Son histoire, ce n’est pas la première fois qu’il la raconte : en quelques minutes et avec une grande précision, il parvient à résumer 40 années de carrière. Bien qu’il exerce le métier de communicateur-conseil, de relationniste et d’attaché de presse depuis 1988, c’est d’abord comme journaliste qu’il fait ses armes. Il obtient son premier poste à la radio au début des années 1980, pendant qu’il termine son baccalauréat en communication à l’Université Laval. Dans les premières années de sa carrière, il évolue comme journaliste, animateur, chroniqueur et recherchiste à la radio, à la télévision et dans divers médias de la presse écrite.
À cette époque, plusieurs de ses amis d’université travaillent dans des agences de publicité et lui demandent d’organiser des conférences de presse, bien que ce ne soit pas son métier. « Ils avaient besoin d’un relationniste, et il n’y en avait pas beaucoup à Québec. Alors j’ai sauté dans le bain et je suis parti à mon compte, ne sachant pas trop où je m’en allais. » En 1988, époque où le répondeur est encore récent et où le télécopieur n’est pas encore très présent dans les entreprises, il dresse une liste de quelque 250 personnalités d’affaires croisées au cours des dernières années, et leur annonce ainsi « la bonne nouvelle » par lettre. « “Jean Brouillard vient de créer Jean Brouillard Communications et relations publiques”, s’amuse-t-il à raconter. Ce qui n’était pas tout à fait vrai, car je n’avais pas créé grand-chose à part des cartes d’affaires ! » Les premiers contrats ne tardent pas à arriver ; l’homme d’affaires ne se rendra jamais à la fin de cette fameuse liste.
DES LETTRES AUX RÉSEAUX SOCIAUX
La firme spécialisée en communication, relations publiques et relations de presse est alors rapidement reconnue comme « l’ouvre-boîte de Québec ». Elle organise bon nombre d’évènements et ouvertures officielles de restaurants, qui constituent encore à ce jour la majorité de sa clientèle. « À l’époque, les invitations se faisaient par la poste. On faisait des photocopies, on les pliait en trois, on mettait ça dans des enveloppes, et ensuite il fallait se rendre au bureau de poste pour louer une machine à timbres. À un moment donné, je me suis dit : “Mon Jean, pourquoi tu ne ferais pas des cartes postales ?” » s’exclame-t-il, pas peu fier de cette petite révolution qui réduit alors considérablement le nombre d’étapes et qui sera la norme pour une bonne dizaine d’années ensuite. « Si ma fille m’entendait, elle me traiterait de dinosaure ! Avec les logiciels qu’ils utilisent maintenant, tout se fait automatiquement. On est rendus ailleurs. On est beaucoup plus efficaces maintenant , mais les attentes sont plus grandes. »
Jean Brouillard est un visionnaire qui a toujours fait ce qu’il devait pour avancer. Il n’est pas réfractaire au changement et l’accueille naturellement. L’entreprise vient d’ailleurs de faire l’acquisition d’un tout nouveau logiciel européen qui permet de mesurer l’impact et le nombre de gens que peuvent rejoindre les influenceurs. Une coquette somme qu’il aurait, de son propre aveu, remise en question plus longuement il y a quelques années. Désormais, pas loin de la moitié de son temps est consacré aux influenceurs, qu’ils considèrent comme des médias traditionnels. « On est rendus là. Pour joindre les gens, il n’y a pas que la radio, les magazines, la télé et les journaux. Il y a ces grands réseaux sociaux qui atteignent les populations qui consomment. C’est tout un charabia à gérer ! Les plus jeunes employés sont vraiment des spécialistes en la matière, des ceintures noires. J’ai été obligé de comprendre que la nouvelle génération allait plus vite que la nôtre. »
Il est moins présent dans les affaires courantes, et travaille dorénavant de son chalet six jours sur sept. Il demeure pour le moment le patron de Brouillard Communication et le principal responsable du développement des affaires. « Je me tourne vers l’avenir, mais je ne suis pas encore à la retraite ! » rit Jean Brouillard. Il sait aussi qu’il peut s’appuyer sur son équipe. Si sa fille Florence a suivi ses traces, le fier papa admet que c’est lui qui doit désormais la suivre. Un virage déjà entrepris depuis un an et qui continuera sa progression, « afin de passer la puck sur la palette, comme on dit ! »
Diplômée en histoire, sciences politiques et gestion des associations, Susie Grynol est, depuis quatre ans maintenant, la nouvelle voix des hôteliers canadiens. Comptant plus de 10 ans d’expérience en gestion des affaires politiques, des relations publiques, des communications et des événements, la nouvelle présidente et directrice générale de l’Association des hôtels du Canada (AHC) avait déjà tous les outils en main pour affronter les défis qui l’attendaient. Les premières années de son mandat lui ont permis de se familiariser avec son nouveau secteur et d’en connaître toutes les coutures.
Dès le début de son mandat, la présidente s’est entourée de l’équipe nécessaire pour faire bouger les choses. Un travail de fond sur deux années a permis à l’AHC de convaincre tous les partis politiques de percevoir l’impôt sur le revenu et les taxes applicables aux locations à court terme auprès des géants numériques, comme Airbnb. En vigueur dès juillet, ce nouveau règlement permettra de rétablir l’équité fiscale et de réajuster l’écart dans ce secteur qui dénonce l’injustice depuis plusieurs années déjà.
Pour pallier la pénurie de main-d’œuvre qui sévit dans l’industrie, l’AHC travaille également à mettre en place le programme Destination Emploi. Financé par le gouvernement, ce projet pilote vise à aider les nouveaux Canadiens à occuper les emplois disponibles dans les hôtels. « On était en train de conclure ce dossier quand la crise a éclaté. Ce projet sera fort utile lorsqu’il sera le temps d’aider l’industrie à se relever. Il faudra trouver de bons candidats pour reconstruire les équipes. » À ce jour, environ 80 % du personnel du secteur hôtelier a été mis à pied. Une partie de ces employés se voient contraints de se réorienter vers d’autres secteurs.
L’avancement de ces dossiers met donc l’Association dans une bonne posture pour affronter la crise. « Nous avons pu prouver que nous étions capables d’obtenir des résultats, ce qui nous a permis d’avoir l’industrie derrière nous. C’est essentiel pour disposer de plus de ressources et pouvoir mieux représenter les enjeux de l’industrie, pour relever les problèmes prioritaires. » De 41 membres entreprises, l’association est d’ailleurs passée à 1150 en moins d’un an.
GESTION DE CRISE 101
Au Canada, le tourisme et l’hôtellerie ont eu le vent dans les voiles jusqu’au printemps dernier. Le pays se retrouve alors dans le palmarès des 10 destinations internationales les plus prisées, et le secteur hôtelier connaît en 2019 une année record en nombre d’arrivées et de nuitées. Le concept même de cette industrie est de rassembler les gens ; or, les mariages, congrès et autres conférences représentent soudainement tout ce que la Santé publique doit proscrire pour éviter la propagation. Les cahiers de réservations des hôteliers se vident en quelques jours. « Notre produit, on ne peut pas le mettre dans une boîte et le vendre en ligne, illustre la présidente. Il expire à la fin de chaque journée. »
Partout au pays, plusieurs hôtels ont déjà fermé définitivement leurs portes. Qu’ils soient situés dans les grands centres ou les régions plus éloignées, de Vancouver à Gaspé, tous sont dans la même situation : ils ont besoin de liquidités pour survivre jusqu’à la reprise possible des activités. Devant des taux d’occupation à moins de 5 %, leurs pertes de revenus varient de 50 à 100 %, mais les frais fixes demeurent. « Le temps presse, souligne la présidente. Un sondage maison indique que 70 % des hôtels ne se rendront pas à l’été. »
Pour traverser une telle crise, il n’y a pas de recette miracle, selon Susie Grynol. Il faut constater l’étendue du problème, établir les objectifs, s’assurer d’avoir les ressources nécessaires et, finalement, faire le travail. « C’est laborieux, mais au final il faut le voir comme une gestion de projet, tout simplement, précise-t-elle. On doit d’abord s’attaquer aux problèmes que l’on a le plus de chances de régler et qui auront le plus grand impact. »
PRÉPARER LA REPRISE
Si une grande partie du travail s’effectue en coulisse, il est également primordial d’éduquer et d’informer le grand public sur les enjeux du secteur pour en gagner la sympathie. « Les gens présument immédiatement que nous ne sommes pas dignes de recevoir l’argent des contribuables. Ils s’imaginent que les hôtels sont des multinationales appartenant à des propriétaires étrangers qui possèdent beaucoup d’argent. » Et pourtant, près de 80 % de ces hôtels sont de petites entreprises locales, très souvent dirigées par des familles. La nouvelle coalition Hardest Hit Businesses, qui représente les secteurs les plus touchés au Canada — le tourisme, les arts, la culture, l’événementiel et l’hôtellerie —, s’est d’ailleurs constituée cet automne pour mobiliser le public et demander au gouvernement de prolonger les programmes de soutien et de protéger les emplois.
L’AHC peut s’appuyer sur quelques belles victoires pour entreprendre la suite. Les programmes de prêts sans intérêt et d’allègement des frais fixes ainsi que le programme Subvention salariale d’urgence du Canada (SSUC) ont été de réelles bouées de sauvetage, mais le retrait progressif de ces programmes risque de se faire trop rapidement. « Ça va certainement demander beaucoup de travail pour garder ces mesures en place. Le gouvernement va vouloir les retirer aussitôt la situation rétablie. Or, ces aides financières seront nécessaires pour rebâtir et mettre en place les équipes afin d’être prêts à accueillir à nouveau la clientèle. Les hôteliers devront payer les employés avant de profiter du revenu qu’ils vont engendrer… »
Lorsqu’on la questionne sur la conciliation famille et travail pendant une pareille crise, la maman de trois jeunes enfants affirme que ce n’est évidemment pas de tout repos. « Mon conjoint est médecin. Nos secteurs respectifs sont extrêmement touchés : nous sommes frappés de tous les côtés ! s’exclame-t-elle. Malgré tout, nous faisons partie des privilégiés. Nos enfants sont résilients et, avec un peu d’aide, nous trouvons le moyen de passer du temps avec eux. Nous avons la chance de toujours avoir nos emplois et, surtout, de pouvoir faire une différence dans la vie des gens. » Sa détermination et son optimisme sont perceptibles, même à l’autre bout du fil.
Optimiste, car à ce jour les plus grands dossiers ont été remportés. Pour entreprendre la nouvelle année, il lui faudra s’assurer que les programmes continuent de s’ajuster aux besoins réels des secteurs les plus touchés. « Ma motivation, c’est de trouver la façon de faire traverser cette épreuve à l’industrie : sauver ses employés, garder les emplois intacts… Parce que les gens vont vouloir voyager après la pandémie. Tout ça va revenir, et on doit s’assurer d’avoir encore une industrie de tourisme quand le cours normal des choses reprendra enfin. Sans aide adéquate, l’industrie risque de s’effondrer, mais aussi l’écosystème qui gravite autour. »
« Ils ont eu une ouverture incroyable et une semaine à tout casser ! » Jean-Michel Paquet est sur le chemin du retour, en provenance de Québec, où il est allé voir sa nouvelle succursale Küto — Comptoirs à tartares. « Québec est un nouveau marché pour nous. On s’est demandé si ça allait être tranquille, et finalement c’est super occupé ! » À 39 ans, Jean-Michel Paquet est à la tête d’une entreprise en pleine expansion : cette adresse est la vingtième de sa franchise de « fast food haut de gamme », comme il aime l’appeler.
L’ancien busboy a commencé à travailler dès 14 ans dans un restaurant, milieu dans lequel il a « tout de suite trippé ». Il a ensuite gravi les échelons, passant du poste de débarrasseur à celui de plongeur puis à serveur. « J’ai ramassé mon argent et à 29 ans j’ai ouvert mon premier établissement, raconte le trentenaire. C’est un rêve que je traînais depuis longtemps. » S’ensuivent un deuxième, puis un troisième, et il lance à 35 ans Küto, un concept de tartares à emporter. Dans tous ses établissements, qu’il s’agisse d’un bistro ou d’un steakhouse, le tartare avait toujours été un plat fort : « Je suis un fan de tartares. Donc quand j’ai vu qu’il y avait un trou dans le marché, j’y suis allé ! »
Chez Küto, le plat se décline à toutes les sauces, du tartare de saumon mexicain à celui des Caraïbes avec sauce à la mangue. « Chaque tartare est un concept. On n’a pas peur de sortir du classique de boeuf ou de saumon ! » explique Jean-Michel Paquet. Chaque année, la chaîne sort un nouveau menu qui suit les tendances du marché et les demandes de la clientèle. « On a ajouté un tartare végétarien il y a deux ans, car ça faisait un moment qu’on se le faisait demander. Là, il y a de plus en plus de demandes pour des options keto ; on regarde ça aussi… »
« ON A L’AIR D’ALLER VITE, MAIS NON ! »
Un an après le lancement de Küto, Jean-Michel Paquet démarre les franchises. À l’ouverture de sa troisième succursale, il fait construire une cuisine de production de 1500 pi2, afin d’offrir toujours le même produit peu importe le restaurant. « Les gens me disaient que j’étais fou, se souvient-il. Mais on visait 10, 20, 50 restaurants, et il fallait standardiser le produit dès le jour 1. » Aujourd’hui, il reçoit chaque semaine des demandes d’information sur sa franchise, et certains franchisés ouvrent une deuxième ou troisième succursale. Sept franchises devraient ouvrir en 2021 dans différentes villes. « On a beaucoup de demandes pour sortir du Québec aussi ; on explore cette avenue. Ça fait trois fois que je dis non à des gens de Toronto ; mais on va probablement sortir de la province en 2021 », confie Jean-Michel Paquet.
Le marché hors Québec et anglophone, l’entrepreneur l’a dans sa ligne de mire depuis le début. « On prend notre temps. Si j’avais ouvert toutes les succursales qu’on m’a proposées, on serait peut-être rendus à 50 aujourd’hui. Mais on refuse beaucoup de gens, car on veut s’assurer de travailler avec les bonnes personnes. On a l’air d’aller vite, mais non ! On veut prendre notre temps pour travailler intelligemment. » En effet, comme Küto livre tous les produits transformés de la chaîne par camions réfrigérés, il faut changer les trajets de distribution à chaque nouvelle ouverture, en plus d’ajouter des camions et des livreurs. « Ça rend la tâche plus compliquée, mais ça nous assure une standardisation du produit. »
Le concept, déjà orienté vers la formule à emporter, ne connaît pas la crise. Vingt succursales en quatre ans, « c’est un très bon chiffre », estime Jean-Michel Paquet. « Quand on lance un restaurant, c’est dur d’imaginer qu’on va avoir ce succès-là ! » Pour développer sa franchise, le concepteur s’est entouré d’une équipe provenant de sièges sociaux d’autres chaînes. Aujourd’hui, l’ancien busboy travaille au développement des nouvelles adresses, à la gestion des chantiers et à la négociation avec les fournisseurs.
Multientrepreneur, Jean-Michel Paquet a également ouvert en 2019 le bistro Québécium, et travaille actuellement sur la création d’une chaîne de poutines à Paris, dont les premières adresses sont attendues pour 2021. « On sera les seuls à avoir du vrai fromage à poutine du Québec ! » s’exclame fièrement l’entrepreneur, qui a conclu une entente avec la fromagerie Saint-Guillaume. Aux entrepreneurs qui hésitent à se lancer, il conseille simplement de foncer. « Le problème de l’entrepreneuriat au Québec, c’est que les gens ont peur de sauter. Faut juste se lancer ! Le reste, on le “figure” en chemin… »
Environ 80 % des Canadiens ont un lien direct avec l’industrie de la restauration, pour avoir déjà travaillé dans un bar ou via un membre de la famille qui a déjà possédé un restaurant. David Lefebvre, lui, fait partie du 20 % restant. S’il est « friand de restaurants, un peu comme tout le monde », c’est plutôt pour son expertise en affaires gouvernementales qu’il est engagé comme vice-président Affaires fédérales et Québec de Restaurants Canada en 2017. Sa carrière politique démarre en 2001, un peu par hasard. Venant tout juste de terminer sa maîtrise en sciences politiques, il découvre dans le journal qu’un de ses anciens camarades de classe se présente aux élections municipales sur le Plateau Mont-Royal. « Je l’ai appelé, et il m’a invité à venir à leur prochaine réunion ; en sortant de cette réunion, j’étais son responsable des communications ! Il a gagné son élection et m’a proposé de travailler pour lui. » David Lefebvre fait par la suite différents mandats pour le Bloc Québécois.
Au bout de 10 ans, il décide de recentrer davantage sa carrière vers les affaires gouvernementales. Il travaille alors comme lobbyiste contre les compagnies de tabac, puis devient directeur de l’Association pétrolière et gazière du Québec, avant d’entrer à Restaurants Canada, « une occasion de faire du lobbying au fédéral et de travailler pour une association nationale ». Le Montréalais, qui constate à quel point les ouvertures et fermetures de restaurants se font à un rythme incessant dans sa ville, est attiré par le dynamisme du secteur. Il décrit les restaurateurs comme « des gens très exigeants et extrêmement reconnaissants », avec qui il aime beaucoup travailler.
Si les dossiers sont variés entre les multiples réglementations autour de l’alcool, des inspections ou encore des taxes, la pandémie a plongé l’équipe de Restaurants Canada dans un seul sujet du jour au lendemain : les impacts de la COVID-19. Les semaines du dirigeant, désormais installé à Gatineau, passent alors de 45 à 90 heures. « Il y avait tellement de choses à faire au printemps que j’ai plus ou moins senti le confinement, raconte-t-il. Le plus dur était de voir nos membres en difficulté. Mais je me suis senti chanceux d’être dans cette position pour pouvoir les aider au mieux. » Son rôle est composé à 80 % de relations gouvernementales, 15 % de relations avec les membres et communication interne et 5 % d’administration. « Ma fonction est nettement gouvernementale, et c’est pour ça que la pandémie a représenté beaucoup plus de travail : c’était le type de soutien dont nos membres avaient le plus besoin. »
RECENTRER LA MISSION
Durant les premiers mois, les besoins étaient assez similaires entre les différentes provinces : il fallait notamment s’assurer que les frontières restent ouvertes pour l’approvisionnement et faire reconnaître les commandes à emporter et les livraisons comme services essentiels. Puis, les conditions sanitaires variant d’une province à l’autre, des différences ont commencé à s’installer, nécessitant alors des solutions plus personnalisées. Le Québec, dont il est responsable, a été plus rapide que d’autres à fermer les salles à manger, et c’est l’une des provinces qui ont connu le plus de jours de fermeture au printemps et à l’automne.
Dans le bilan de la crise, David Lefebvre retient le recentrage de la mission de Restaurants Canada vers les représentations gouvernementales — ce qui était d’ailleurs le but de la création de l’association en 1944. « 2021 ? Ça va encore être beaucoup la COVID : le maintien des programmes gouvernementaux fédéraux, le défi du protocole de réouverture à l’échelle provinciale… Le travail va être de continuer à accompagner les membres à travers cette période difficile, de voir comment et dans quelles conditions ils vont pouvoir relancer leurs opérations. Il n’est pas impossible qu’on se ramasse l’été prochain avec environ un établissement sur quatre en moins. »
Dans cette crise, Restaurants Canada s’est aussi fait connaître au-delà de l’industrie en passant régulièrement dans les médias. « Si vous googlez mon nom, vous trouverez des dizaines d’articles ! Cette crise, ça a été l’occasion de positionner l’association sur l’échiquier médiatique et de défendre nos membres en public. » Et la relance ? Elle passera certes par un vaccin, mais sera aussi tributaire de la capacité des restaurateurs à s’adapter à de nouvelles conditions, comme l’augmentation des commandes à emporter, de la livraison et du service traiteur. « Il va falloir avoir un modèle d’affaires avec d’autres sources de revenus, conclut David Lefebvre. Mais la relance va aussi dépendre de la responsabilité partagée qu’ont les restaurateurs et les gouvernements de rétablir une confiance pour que les gens reviennent, enfin, en salle à manger. »
« J’espère que ma deuxième année à la tête de l’Association sera plus paisible que la première. Remarquez, ce ne devrait pas être trop difficile… » Au bout du fil, et malgré la situation, Gilber Paquette garde son calme et son sourire. Deux qualités dont il a grandement eu besoin depuis qu’il a repris les rênes de l’Association des professionnels des congrès du Québec, rebaptisée Tourisme d’Affaires Québec dans les dernières semaines de 2020. « Je suis entré en fonction le 10 février dernier, à un moment où l’on parlait très peu du virus », se remémore-t-il. Le marché que cet homme issu du monde des hebdomadaires rejoint se porte alors très bien : au cours des derniers exercices, il enregistrait une croissance annuelle de près de 5 % et profitait notamment d’une hausse du nombre d’événements et de l’intérêt grandissant du milieu hôtelier.
Dès la semaine de relâche, Gilber Paquette s’inquiète toutefois des effets que pourrait avoir ce mystérieux virus sur le tourisme d’affaires québécois. « J’ai compris que si ça devait frapper lourdement la province, on serait sans doute l’une des industries les plus touchées. On entrevoyait le danger, mais on ne voulait pas y croire. Pas encore. » Pourtant, la multiplication des cas et les annonces gouvernementales de la mi-mars confirment ses craintes. « Du 13 mars jusqu’à la fin du mois de juin et l’adoption du plan de sécurité sanitaire, on a été complètement paralysés. Zéro événement. Le calme plat. » Résultat : durant la première vague seulement, le secteur enregistrait des pertes de 202 millions de dollars. « Une catastrophe ! »
Malgré une inspirante et intéressante reprise estivale, le directeur général ne s’en cache pas : la pente à remonter sera abrupte, et le chemin bien long avant de retrouver une pleine normalité. Surtout, au-delà de ces chiffres alarmants et de leurs lourdes conséquences économiques et humaines, le responsable regrette le manque de considération témoigné envers son secteur par les décideurs politiques. « Le gouvernement n’a jamais évoqué le tourisme d’affaires dans ses points de presse. Et on ne se reconnaissait pas dans les mesures qu’il annonçait. » La situation est d’autant plus étonnante que cette industrie générait, en 2018, plus de 600 millions de dollars en dépenses directes et que quelque 27 000 Québécois travaillaient, avant la pandémie, à l’organisation de plus de 2000 événements annuels. « Et malgré cela, ils nous ont oubliés… »
REPARTIR DE ZÉRO
Réaliste, Gilber Paquette n’en reste pas moins un véritable optimiste. Et si, au cours des derniers mois, le virtuel s’est encore un peu plus invité dans nos vies, le dirigeant en est persuadé : employeurs, employés, clients, collaborateurs et partenaires ressentiront très vite le besoin de se réunir à nouveau et de se côtoyer autrement que par écrans interposés. Et ce même si les mesures sanitaires (distanciation physique, limitation du nombre de participants, etc.) devaient être prolongées durant encore plusieurs mois. « Je ne crois pas que , dans notre industrie, la formule virtuelle restera populaire. L’aspect social d’un congrès, le réseautage, les discussions durant les repas ou le cocktail, tout ce côté festif, le virtuel ne peut pas pour l’heure le remplacer. »
Pour aider au mieux les professionnels du tourisme d’affaires, Gilber Paquette entend poursuivre au cours des prochains mois la mue de son association. Après un symbolique changement d’identité (« Avec ce nouveau nom, on rassemble désormais l’ensemble de l’écosystème sous un même toit »), il entend également optimiser le fonctionnement de l’OBNL, repenser la structure, les mécanismes d’embauche, le modèle de gestion, etc. « Le marché a beaucoup évolué. Nous, on a opéré un premier virage, mais c’est loin d’être suffisant. Pour que l’organisation puisse continuer à vivre, il faut réfléchir comme s’il s’agissait d’une start-up et repartir de zéro… pendant l’année du 40e anniversaire. »
Fort de près de 150 membres (principalement des hôtels et des centres de congrès, mais aussi des destinations touristiques, des municipalités, etc.), Tourisme d’Affaires Québec a profité de la pandémie pour mieux communiquer avec ceux-ci, souligne le directeur général. « On les a écoutés : ils veulent qu’on génère des occasions d’affaires, mais ils attendent aussi de nous qu’on ait un poids politique plus important, qu’on se rapproche des milieux économiques. Bref, ils veulent qu’on se fasse entendre. Eh bien, on est prêts à donner de la voix ! »
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