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Le #Gelinaz2019 chez Colombe St-Pierre : Quand la planète s’invite au Bic

 
5 décembre 2019 | Par Héloïse Leclerc

Ce premier mardi de décembre, sous un ciel floconneux annonçant les rigueurs de l’hiver, j’ai pris la route vers Le Bic afin d’assister à la prestation de Colombe St-Pierre – récipiendaire du titre de meilleure chef québécoise au Gala des Lauriers 2018 – dans le cadre du The Grand Gelinaz ! Shuffle Stay In Tour.

Cette année, cette manifestation gastronomique internationale réunissait 148 chefs de 38 pays autour d’un concept aussi fou que rassembleur : chacun se voyait assigner au hasard le cahier de recettes 8 services d’un autre en ignorant jusqu’à son identité. Coût du billet : 150 euros par personne, avant les accords. Au Canada, seuls trois restaurants ont été invités à participer à la manifestation : Vin mon Lapin, Foxy et Chez Saint-Pierre, évidemment.

Je n’avais personnellement jamais entendu parler de Gelinaz avant que Marie-Claude Lortie communique avec moi pour sonder mon intérêt à couvrir la performance de Colombe. Celle-ci disait avoir eu des difficultés à trouver des journalistes prêts à se déplacer malgré la perspective, je cite, « d’un repas gratuit ». Depuis Québec, on parlait quand même d’au moins six heures de route.

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Six heures de route un mardi soir pour un repas, est-ce bien raisonnable ?

Ou 150 euros ?

Est-ce que ce genre d’événement en vaut la peine ?

Comme observatrice privilégiée de la participation de Colombe et de son équipe au #gelinaz2019, j’ai eu le goût de partager avec vous ces réflexions.

La fourmilière

Je suis arrivée Chez Saint-Pierre peu avant 16h30. Colombe et son partenaire dans la vie et en affaires n’étaient pas encore sur place. Par contre, le restaurant fourmillait déjà de l’énergie radieuse de leur jeune équipe, composée de plusieurs cuisiniers de talent, dont Laurent Matte-Boily, vice-champion de l’édition 2018 de l’émission Les Chefs !, et des deux sommelières de l’établissement, Élizabeth et Clémentine, qui ont offert un accord mets et vins exceptionnel, tant dans la sélection que dans la présentation fraîche, expressive et empathique.

Il n’y a pas de mots pour dire à quel point j’ai trouvé touchant de voir cette team à l’œuvre par un beau mardi soir au Bic pour interpréter le menu d’un chef mystère et rendre justice à la réputation de leur chef à eux. Chez eux. Fiers qu’on vienne à eux, pour une fois, et que leur choix de s’excentrer ne se solde pas par leur exclusion des vraies affaires.

Voyageuse et militante

Autodidacte, Colombe St-Pierre dit avoir assemblé une partie importante de sa culture culinaire lors de ses voyages de par le monde. De retour au Bic, son restaurant éponyme lui sert, depuis 2003, de porte-voix ; c’est en partie grâce à lui qu’elle exprime sa vision de ce que la fine cuisine contemporaine québécoise devrait être. Pour elle, #Gelinaz2019 se voulait d’abord et avant tout un exercice de collaboration aux antipodes de la compétitivité promue par la télé-réalité.

Grâce à l’exercice, elle aura continué à développer son répertoire tout en utilisant la plateforme pour porter certains de ses messages. Du menu du chef coréen Sung Anh, elle conservera un style de fermentation rapide et une façon de monter une sauce « surf and turf » à l’asiatique, à base de fruits de mer et de flanc de porc, beurre noisette et citron.

Mais au-delà des techniques, ce sont deux très importants enjeux par rapport à l’état de la planète et à la mondialisation incontrôlée de la production alimentaire que son travail comme chef aura permis de mettre le plus en exergue.

L’un des desserts qu’elle a conçus était une truffe congelée au milieu d’un bloc de glace. Déposée sur la table en début de repas, elle ne devait être prête qu’à la fin après une lente, discrète mais inexorable fonte. Ce que Colombe ne savait pas, c’est que son menu allait être interprété par le chef australien Dan Hunter. L’Australie traverse une période de sécheresse exceptionnelle, qui place tout le pays, en particulier les agriculteurs, dans un état de crise.

Pour sa propre performance, Colombe a dû substituer plusieurs protéines sélectionnées par Sung Anh. L’oursin est un excellent exemple. S’il se trouve, l’oursin cuisiné par le chef coréen provenait en fait des eaux du Canada, qui exporte parfois jusqu’à 100% des quotas de ses plus belles espèces en Asie, ne laissant rien au marché local. Les œufs de saumon ont été remplacés par ceux de hareng et le homard, par de la pieuvre (non pas locale, mais sauvage, un critère important aux yeux de la chef et avec lequel elle doit constamment jongler).

Loin d’être triviaux, ces deux exemples expliquent l’importance d’une manifestation comme Gelinaz, afin de faire émerger une conscience, un discours collectif autour de l’alimentation sur notre planète.

Se (re)connaître pour être reconnu

Colombe et sa brigade ont servi plusieurs plats splendides, bien réfléchis et bien exécutés. Mais à mes yeux, le plus beau moment de la soirée ne s’est pas déroulé dans mon assiette. Entre deux services, je me suis promenée avec mon kodak pour essayer de saisir l’essentiel. C’est ainsi que j’ai suivi la chef qui s’est glissée en salle pour servir deux assiettes. Le regard de sa mère s’est illuminé dès qu’elle s’est approchée. Pourtant pas timide pour deux cennes, Colombe a expliqué son plat les deux mains jointes contre son cœur.

Ça.

Qu’une mère puisse être témoin du succès de sa fille. Que sa fille ait été choisie pour représenter la gastronomique du Canada à l’international. Qu’elle se prête au jeu de donner forme à la créativité d’un Coréen.

Nous savons tous le véritable essor que la gastronomie québécoise a connu au cours des dernières années grâce au labeur d’un ensemble d’artisans (producteurs, transformateurs, chefs, cuisiniers, serveurs, sommeliers, mixologues et j’en passe...).

Ce travail a une valeur, il a une importance.

C’est une question d’identité nationale.

C’est un dossier de vitalité économique et touristique autant pour nos métropoles que pour les petits villages en région.

C’est une affaire de sécurité alimentaire.

Est-ce important de soutenir ça ? Si nous ne le faisons pas, qui le fera ? Personne. Alors, ce genre d’expérience gastronomique vaut-il temps et argent ? Ça dépend de la marge de manœuvre qu’on veut offrir à nos artisans-créateurs pour porter ces causes et pour les faire rayonner autant ici qu’à l’international. À chacun de choisir son camp !

(Crédit photo : Héloïse Leclerc)

Mots-clés: Événement
Restauration

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