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Horaires : Les nouveaux modèles de travail

 
29 février 2024 | Par Sophie Ginoux
Crédit photo: Canva

Réduction des heures d’ouverture, fermeture plusieurs jours par semaine ou saisonnière, vacances plus fréquentes : les horaires de travail sont devenus un casse-tête pour de nombreux gestionnaires en hôtellerie ou restauration, et un moyen d’innover pour d’autres, avec le bien-être, l’attractivité et la rétention de l’équipe en tête. Petit tour des nouveaux standards et d’initiatives d’une industrie en pleine réinvention.

Albin Gontard a grandi dans l’univers des restaurants. Adolescent, il servait déjà dans un étoilé Michelin, en France, tandis qu’il étudiait le métier. Il a ensuite cumulé les expériences en Europe comme au Canada, auprès de grandes comme de modestes tables. Jusqu’à ce qu’il dise stop à cette vie en 2016, quatre ans avant la pandémie, pour réorienter sa carrière dans le secteur de l’épicerie fine.

« J’ai toujours aimé la restauration, un milieu qui m’a formé et forgé, confesse-t-il. Mais j’en avais assez des heures de fou et de la pression constante que je vivais. Je ne faisais jamais du 40 heures, mais plutôt du 50, 60, voire du 80 heures chaque semaine. Et j’avais tellement été modelé dans cet univers que, quand j’ai commencé à travailler dans le commerce de détail, je me demandais vraiment ce que j’allais faire de tant de congés ! Je n’avais jamais connu ça avant. »

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Comme pour Albin Gontard, le caractère ingrat des horaires en restauration a eu raison de beaucoup de travailleurs expérimentés du milieu, en service comme en cuisine. Le chef François Blais, propriétaire du Bistro B et copropriétaire du ARVI à Québec, a vu bien des gens partir lors de la pandémie. « Quand j’avais signé en cuisine, je savais à quoi m’attendre en termes d’heures de travail, indique-t-il. Même prendre de temps un temps un samedi de congé, c’était compliqué. Mais les choses ont bien changé depuis. »

Changer d’heure

Dans le secteur de la restauration, tout comme dans celui de l’hôtellerie et, par extension, dans le domaine touristique en général, le manque de main-d’œuvre et l’arrivée sur le marché d’une nouvelle génération souhaitant une vie plus équilibrée ont forcé les établissements à changer de modèle, ou du moins à oublier celui de l’ouverture tous azimuts.

Comme en témoigne Martin Vézina, vice-président aux affaires publiques et gouvernementales de l’Association Restauration Québec (ARQ), « les restaurants qui ouvraient auparavant sept jours sur sept ne le font plus que quatre à cinq soirs par semaine. Quant aux repas du midi, ils ont presque disparu. » Les travailleurs du milieu jouissent effectivement souvent, à présent, de deux jours de congé consécutifs, en plus d’horaires stables de semaine en semaine. « Il est également de plus en plus courant de voir des cuisines fermer plus tôt, à la demande du personnel. Cela peut occasionner des coûts aux propriétaires, surtout dans les chaînes », remarque l’expert.

Ce qui prévaut dans les restaurants est tout autant valable dans les hôtels. Selon Statistique Canada, au troisième trimestre de 2023, le secteur du tourisme québécois comptait encore 25 270 postes vacants (contre 428 400 occupés) ; en novembre 2023, le nombre d’heures travaillées dans le secteur était de 8,5% inférieur à celui de la même période en 2019.

« En hôtellerie, on avait l’habitude d’avoir des heures entrecoupées, ou bien que les meilleurs horaires de travail soient attribués selon l’ancienneté, explique Xavier Gret, directeur général du Conseil québécois des ressources humaines en tourisme (CQRHT). Mais c’est de moins en moins le cas, puisque les employés ont désormais des horaires de jour ou de soir. » Le fin observateur du milieu a aussi remarqué qu’il y avait une meilleure rotation des travailleurs, ce qui leur permet d’avoir des jours de congé consécutifs. « Et maintenant, des hôtels ferment en basse saison – en novembre ou en janvier, par exemple –, ce qui aurait été impensable avant. »

Congés en famille

Même si certains propriétaires ou gestionnaires sont alarmistes, de nouvelles manières de travailler en restauration émergent et prouvent par l’exemple qu’elles sont fructueuses. On peut penser au restaurant Melba à Québec, ouvert uniquement en journée en semaine, et fermé lorsqu’arrivent les Fêtes de fin d’année. De son côté, le chef montréalais Simon Mathys a décidé d’ouvrir son Mastard seulement les soirs de semaine. Au regard d’une industrie qui est traditionnellement active quand les gens sont en congé, un tel choix peut surprendre.

« Je dois avouer que je ne me suis pas vraiment arrêté à l’enjeu financier, admet le chef propriétaire. Au début, on offrait des brunchs le samedi, mais je n’aimais pas ça. Alors, un jour, j’ai appelé ma blonde et je lui ai annoncé spontanément qu’on fermerait dorénavant toute la fin de semaine ! »

Une telle décision aurait pu, il n’y a pas si longtemps que cela, être lourde de conséquences et de critiques. Mais cela n’a pas été le cas. « Notre clientèle a été un peu surprise, mais elle s’est bien adaptée à cet horaire, note Simon Mathys. Et de mon côté, je vois que ça apporte beaucoup aux membres de mon équipe, qui disposent ainsi des mêmes congés que leur famille et leurs amis. » Ce bien-être se reflète concrètement dans la rétention du personnel, puisque le Mastard a réussi à garder la même brigade en cuisine depuis son ouverture.

Au Bistro B, le chef François Blais avait pour sa part mis en place la semaine de quatre jours pour ses employés avant même que la pandémie ne frappe. « Il était devenu de plus en plus compliqué de bâtir des horaires de travail, en cuisine comme en service, avec des employés qui ne voulaient plus faire du back to back [une soirée et le lendemain matin] et réclamaient plus de sommeil, de congés et de temps pour avoir une vie sociale », raconte-t-il.

Ces discussions incessantes l’ont poussé à remettre en question sa façon de voir et à décider de concentrer les horaires de ses équipes sur quatre jours. Puis, une fois la pandémie passée, à fermer carrément son restaurant les dimanches, lundis et mardis. « En faisant les comptes, j’ai vu que je payais ces jours-là des heures supplémentaires qui n’étaient pas compensées par les revenus du restaurant, analyse-t-il. Cette décision a aussi beaucoup allégé ma charge de travail administratif et le stress associé, car je n’ai plus de conflits à gérer : les horaires sont maintenant stables de semaine en semaine. Je peux moi aussi profiter de ma famille et, au final, les profits sont encore au rendez-vous. »

Pour se faciliter d’ailleurs encore plus la vie, François Blais a également décidé de fermer le Bistro B pendant les deux semaines de la construction, en été. « La gestion des heures supplémentaires des uns pendant que les autres partaient en vacances, c’était exigeant, dit-il. Grâce à ce choix, la qualité de vie de tout le monde s’enrichit… et c’est un bon argument d’embauche ! »

Trouver sa formule

Certains changements porteurs touchent un pan plus large du milieu des HRI. Par exemple, des outils technologiques permettent maintenant aux employés de s’échanger directement des horaires, sans faire intervenir leur direction.

Le CQRHT se penche aussi sur un projet de partage de main-d’œuvre. « C’est pratique pour compléter les heures d’employés dès qu’il y a un creux, confirme Xavier Gret. En suivant ce principe, une personne qui n’a pas de travail en été dans une station de ski peut être placée dans un hôtel. Ou bien une autre peut faire trois jours dans un premier établissement, puis deux dans un second. » En contexte de pénurie de personnel, cette solution s’avère profitable pour les employeurs qui souhaitent des équipes complètes, comme pour les employés qui veulent une assise stable.

Finalement, ce qu’il faut retenir de toutes ces initiatives, c’est que l’industrie est perfectible. « Mais on ne peut pas non plus réinventer la roue », ajoute M. Gret, qui ne croit pas par exemple que tous les établissements doivent fermer en fin de semaine ou les soirs, au même titre que les épiceries, les quincailleries et autres commerces de détail.

Martin Vézina abonde dans le même sens : « Les gens ne changeront pas tous leurs habitudes en matière de sorties. De plus, ils consommeront sans doute moins au resto un mardi ou un mercredi soir s’ils travaillent le lendemain ». Il ne pense donc pas que des modèles d’affaires comme celui du Mastard et du Bistro B soient viables partout. « Et je suis du même avis que lui, affirme Simon Mathys. Chaque établissement a sa propre réalité et ses propres contraintes. Je souhaite donc plutôt que mes collègues trouvent le modèle qui leur convienne, avec des conditions horaires qui satisferont tout le monde. Et j’espère qu’ils ne fermeront pas tous le samedi, parce que moi je vais au resto cette journée-là ! »

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