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LE COMMERCE DE L’ALIMENTATION ET DE LA RESTAURATION ALIMENTAIRE

Est-ce qu’une création culinaire pourrait être considérée comme une invention et être protégée par un brevet d’invention ?

 
2 mars 2011 | Par Christian Latour | Chasseur de connaissances | Mérici Collégial Privé

EST-IL POSSIBLE DE PROTÉGER UNE RECETTE CULINAIRE ?

Dans un article récent au sujet de la protection des recettes de cuisine, nous avons conclu que la Loi canadienne sur le droit d’auteur ne protège pas l’auteur d’une recette.

Ceci dit, la question qui nous préoccupe maintenant est : existe-t-il d’autres moyens légaux par lesquels les chefs cuisiniers ou administrateurs de restaurants pourraient protéger leurs créations culinaires ? Par exemple, est-ce qu’une création culinaire pourrait être considérée comme une invention et être protégée par un brevet d’invention ?

La réponse à cette question est...

Premièrement, le but d’un brevet d’invention est de protéger une invention (par exemple une invention culinaire) contre la contrefaçon qui pourrait en être faite par des tiers sans que l’inventeur en soit avisé.

Deuxièmement, c’est dans l’article 2 de la Loi canadienne sur les brevets que sont énoncées les principales définitions qui s’appliquent à cette loi.

Voici par exemple quelques définitions que l’on retrouve dans cette article et qui sont pertinentes pour nous :

  • « brevet » Lettres patentes couvrant une invention…
  • « breveté » ou « titulaire d’un brevet » Le titulaire ayant pour le moment droit à l’avantage d’un brevet…
  • « invention » Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité…

Constat numéro 1

Ceux qui revendiquent la création de leurs recettes devront premièrement se faire prudents dans leurs propos. En effet, Ferran Adrià, que plusieurs considèrent comme le chef le plus créatif de la planète, affirme : « Créer, c’est inventer quelque chose qui n’a jamais été fait. [Or] Il faut de nombreuses heures d’expérimentation pour obtenir un résultat à la fois nouveau et intéressant [1]. »

De son propre aveu, lui-même n’a réalisé, jusqu’en 1987, que des variantes des formules codifiées par les grands chefs français. Ces recettes nouvelles qu’il a réalisées avant 1987 n’étaient donc pas des inventions culinaires, mais plutôt des déclinaisons culinaires (ses interprétations) des grands classiques de la cuisine française.

Selon la pensée développée par Ferran Adrià, les 5 000 formules codifiées que l’on trouve dans Le guide culinaire d’Auguste Escoffier sont l’« Adam et Ève » de la cuisine. Ils sont la source originelle dans laquelle de nombreux chefs ont puisé et de laquelle découlent les plus grands plats de la cuisine contemporaine.

Une recette nouvelle n’est donc pas de facto une invention culinaire

Selon mes observations, les recettes qui ont été présentées au cours de la dernière année, dans l’un ou l’autre des médias du Québec, sont au service de la mise en marché et du marketing des auteurs ou des établissements. Ces recettes ne sont pas des inventions culinaires. Si vous prenez le temps d’étudier attentivement ces recettes, vous constaterez certainement que, sauf pour les appellations et les présentations, les décorations et autres différents artifices, ces recettes sont souvent très semblables. Les auteurs jouent adroitement avec les combinaisons (ingrédients, quantités, vaisselles, accessoires, décors, etc.) afin de se distinguer. Souvent, les différences se situent davantage dans les présentations visuelles que dans les recettes elles-mêmes.

Donc, la plupart du temps, les nouvelles recettes sont des déclinaisons culinaires, c’est-à-dire des manières nouvelles d’assembler les ingrédients d’anciennes recettes. Elles ne sont donc pas des inventions culinaires.

Constat numéro 2

De plus, au sens de la loi, une recette est une idée. Et selon maître Bouffard, l’idée, la notion ou la découverte désincarnée qui sous-tendent l’invention ou y conduisent ne sont pas, directement brevetables ; elles doivent d’abord être transformées en une invention, les réduisant à une forme pratique [par exemple une préparation culinaire nouvelle]. Une idée [une recette] ou une notion, si bien conçue ou structurée soit-elle dans l’esprit, est désincarnée et n’a pas la faculté d’interagir avec le monde matériel pour constituer la solution d’un problème concret.

Les tribunaux ont commenté la distinction entre l’idée désincarnée et l’invention. Dans l’arrêt Shell Oil Co. c. Commissaire des brevets, par exemple, la Cour suprême a noté ceci : « Une idée désincarnée n’est pas brevetable en soi. Mais elle le sera s’il existe une méthode pratique de l’appliquer ». Dans la décision Riello Canada inc. c. Lambert, la Cour a corroboré les observations de la décision du Royaume-Uni dans Reynolds v. Herbert Smith & Co., ltd., qui émettait un principe important, à savoir que l’idée [une recette] qui mène à l’invention [un plat nouveau]… ne fait pas partie de l’invention. On y indiquait aussi que « l’idée, ou la reconnaissance d’un besoin incite l’inventeur à faire quelque chose d’autre. C’est la fabrication de ce qui va au-delà qui est l’invention et, de la même façon, on y indiquait que la découverte enrichit la somme du savoir humain, mais elle le fait en levant le voile seulement et en divulguant ce qui n’avait pas été vu auparavant ou l’avait été vaguement. L’invention enrichit aussi le savoir humain d’une autre manière que par la divulgation de quelque chose. L’invention implique nécessairement la suggestion d’un acte à accomplir, et d’un acte qui doit donner naissance à un nouveau produit, à un nouveau résultat, à un nouveau procédé ou à une nouvelle combinaison en vue de réaliser un produit existant [réel] ou de produire un résultat existant [réel] ».

Ce qui en d’autres mots revient à dire qu’on ne peut pas obtenir un brevet pour une recette, mais plutôt pour son résultat... l’invention culinaire.

Constat numéro 3

Advenant qu’on en arrive (malgré les constats 1 et 2) à l’étape ou une nouvelle préparation culinaire est acceptée comme étant une invention alors « des coûts importants sont associés à la préparation et au dépôt d’une demande de brevet. Ces coûts incluent les taxes gouvernementales et les honoraires de l’agent de brevets. Une protection étendue par brevet peut comporter alors des coûts très élevés à court terme. Les coûts à long terme, associés à la poursuite de la demande, à la délivrance de l’éventuel brevet et au maintien du brevet, peuvent aussi s’avérer très élevés. » Selon maître Bouffard, « ces coûts élevés forcent souvent le demandeur à abandonner ses droits de propriété [même] dans des marchés pourtant prometteurs. »

Constat numéro 4

D’un point de vue pratique, le droit conféré par un brevet est un droit essentiellement négatif. La délivrance d’un brevet ne donne pas à son titulaire [le breveté] le droit d’utiliser l’invention, donc de fabriquer, d’employer, de vendre ou même d’importer l’invention, mais elle lui donne plutôt le droit d’empêcher des tiers d’exploiter cette même invention sans son autorisation. Encore faut-il, s’il y a lieu, faire les démarches légales nécessaires pour faire reconnaître ce droit ce qui évidemment peut entraîner des coûts relativement importants.

Conclusion

Il est théoriquement possible de protéger une invention culinaire (s’il s’agit véritablement d’une invention... ce qui est très rare) par un brevet. Toutefois, comme nous venons de le voir, la tâche peut s’avérer difficile et surtout très couteuse.

Dans un prochain article, nous examinerons, avec maître Bouffard, la possibilité de protéger la confidentialité des recettes culinaires par le biais des contrats de travail des employés, en y insérant, par exemple, des obligations de confidentialité.


MÉDIAGRAPHIE

Manuel de gestion-réflexion / Christian Latour


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Notes

[1Une journée à elBulli : à la découverte des idées, des méthodes et de la créativité de Ferran Adrià, Phaidon Press Limited, Paris, 2009.

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