On ne peut pas dire que c’est le bonheur. De grands groupes ferment des dizaines de restaurants (casual dining), et des chaînes de renommée mondiale annoncent des faillites. Quand McDonald’s et Starbucks déclarent des ventes mondiales en baisse, on peut être certain que c’est le monde de la restauration tout entier qui souffre. Peu importe les raisons évoquées et les solutions promises, il faut se demander où s’en va l’industrie. Que se passe-t-il ? Est-il possible de survivre dans un secteur aussi incertain ?
Plusieurs pensent que oui. Tous les jours, de nouveaux restaurants ouvrent, et des concepts naissent. Le problème n’est pas dans les idées, la créativité, les recettes… mais plutôt dans la capacité de faire face à une nouvelle réalité. Naguère, la restauration avait de la marge pour survivre, du profit pour essayer des choses, du temps pour changer le modèle.
Maintenant, tout va très vite. Les marges sont anémiques, et la concurrence est de plus en plus spécialisée, aussi bien par segment de marché qu’en compétences de gestion. Il ne suffit plus d’une bonne idée et de travail acharné.
Au Québec, nous ne sommes pas si différents des autres régions, même si nous estimons être un peu distincts. Nos petites marges, notre système de taxation ou encore nos règlements administratifs nous empêchent de nous épanouir aussi rapidement que d’autres. Nos prix des matières premières, nos salaires plus élevés, les distances parfois grandes et notre culture culinaire sont des facteurs qui nous différencient des États-Unis. Si l’influence américaine nous pousse à copier certaines pratiques, celles-ci ne sont pas toujours gagnantes dans un contexte différent.
La restauration indépendante et les exploitants multi concepts forment la base de notre industrie. Il n’est plus possible de faire comme avant et de s’accrocher à nos vieux modèles. Que vous le vouliez ou non, la technologie, les paiements plus faciles, la concurrence de secteurs autres que la restauration sont là pour de bon.
S’adapter ou disparaître… Il y en a toujours un qui va prendre la place !
Le créneau de l’offre alimentaire destinée aux évènements peut être alléchant pour les services alimentaires qui cherchent à diversifier leurs sources de revenus. Toutefois, ne s’improvise pas traiteur qui veut et les restaurateurs qui espèrent se tailler une place dans ce marché très compétitif doivent faire preuve de beaucoup de débrouillardise et de flexibilité.
Depuis bientôt six ans, la chaîne de dépanneur Wawa qui opère dans le nord-est des États-Unis propose un service de « traiteur » fournissant des boîtes repas pour des groupes et évènements. Une offre qui a été rapidement imitée par de nombreux établissements de services rapides venant donner de nombreuses options pour rassasier les participants aux lunchs d’affaires et aux 5 à 7 de bureaux. Mais peut-on réellement parler de « traiteurs » pour décrire ses activités ?
Catherine Fraser, directrice des opérations de la Brigade volante, un traiteur qui dessert des clients de la région de Montréal depuis une quinzaine d’années, en doute. « C’est certain que “traiteur” est utilisé un peu librement par certains. Plusieurs s’essaient et réalisent que c’est finalement beaucoup de contraintes », remarque-t-elle.
D’ailleurs, s’il est vrai que la livraison de boîtes repas pour des petits évènements de cinq à vingt personnes forme une bonne part de ce marché, les buffets pour de plus grands groupes et les cocktails dînatoires sont souvent au centre du modèle d’affaires des traiteurs.
De nombreux contrats incluent aussi une dimension service sur place qui est fourni par le traiteur. Par contre, ce type d’entente se fait plus rare depuis la pandémie, alors que les clients cherchent à couper des coûts remarque Dominique Bessette, propriétaire de O Quotidien traiteur. « Ce n’est pas nécessairement mauvais, ça peut aussi permettre d’avoir des horaires plus faciles à gérer et ça met moins de pression sur le personnel. »
« Tellement que maintenant j’essaie d’éviter d’offrir le service à part pour quelques bons clients, ça nous permet de voir plus nos familles et toute l’équipe apprécie », souligne-t-elle.
Savoir livrer à temps
Les traiteurs rencontrent plusieurs défis particuliers qui découlent de la base même de leur modèle d’affaires : ce ne sont pas les clients qui viennent à eux, ce sont eux qui vont vers les clients.
« Au fond on fait de la livraison, mais contrairement à Amazon nous avons peu près pas de marges de manœuvre. Si ton livreur est malade, qu’il y a du trafic ou de la construction, tu ne peux pas te permettre de livrer quatre heures en retard, ça ne se fait juste pas dans le monde du traiteur », explique Catherine Fraser.
Pour cette raison, la plupart des services de traiteurs optent pour entretenir eux-mêmes une flotte de camions réfrigérés sur lesquels ils savent qu’ils pourront compter en tout temps. D’autres options sont toutefois disponibles pour les restaurants dont l’offre de traiteur n’est pas la vocation principale. C’est notamment le cas au bistro George V à Québec. « Nous avons un seul camion et on loue au besoin pour satisfaire à la demande. Et bon, il faut s’adapter. Ça m’arrive de temps en temps de sauter dans mon char pour livrer des boîtes à lunch, » confie Guy Michaud, propriétaire de l’établissement.
Aussi, peu importe le nombre de véhicules disponibles, une bonne planification des itinéraires peut faire une grande différence, remarque Catherine Fraser. « Idéalement tu as tous tes clients au centre-ville, mais c’est rarement comme ça que ça se passe. C’est vraiment une chose qu’il faut bien planifier si on ne veut pas se faire prendre », précise-t-elle.
Avoir de l’espace, un atout indéniable
Une fois sur place, il faut s’adapter aux réalités des salles où le repas sera servi. « Est-ce qu’il y a une cuisine ou pas ? Le client a-t-il accès à de la vaisselle ? Quel est l’espace et combien de temps ai-je besoin pour faire de la mise en place ? Il y a plein de petites choses qui vont influencer ce que l’on peut faire et le matériel dont on va avoir besoin pour y arriver », remarque Catherine Fraser.
Elle note toutefois que les grands clients corporatifs sont de mieux en mieux équipés pour accueillir des services des traiteurs. « De notre côté on essaie de faire autant que
possible le plus de travail en amont, mais pour ceux qui ont de plus petites cuisines où qui débutent, pouvoir faire une partie du travail sur place ça peut faciliter les choses », explique-t-elle.
Le rapport à l’espace des traiteurs est d’ailleurs bien différent de ceux d’un restaurant traditionnel. Nul besoin d’être situé au coin de rue achalandé d’un quartier huppé pour réussir, mais le choix d’un local approprié peut faire une grande différence dans la bonne marche des opérations, confie Dominique Bessette.
« Pour que les choses aillent bien, ça prend pas mal d’espace en cuisine. Si tu fais des boîtes à lunch pour une dizaine de personnes ça peut ne pas être si pire, mais quand tu commences à faire des évènements pour 30, 300, voire 3000 personnes la gestion de l’espace devient tout un enjeu, » ajoute Catherine Fraser.
Et ce n’est pas simplement la cuisine qui a besoin de l’espace, poursuit Dominique Bessette. « Si tu veux pouvoir te préparer pour les périodes où tu sais que tu vas avoir beaucoup de demandes, c’est évident que ça te prend aussi de grandes chambres froides », rappelle l’entrepreneuse.
En fait, plus l’offre de service est diversifiée, plus il faut d’espace. « Si tu fais des cocktails dînatoires où tu sers de l’alcool, ça te prend de l’espace pour entreposer l’alcool et de la verrerie, pour les buffets il y a les décors pour les stations, les plateaux, ta vaisselle et tout le reste, ce n’est pas long que ça prenne beaucoup de place », pense t-elle.
Des solutions peuvent tout de même exister pour pallier au manque de place. « C’est toujours possible de louer des espaces en fonction de la demande, des entrepôts où même des remorques réfrigérées si l’on manque de place », explique Guy Michaud.
Les emballages à l’ère du développement durable
Traditionnellement, les traiteurs s’appuient sur beaucoup d’emballages et de consommables jetables pour acheminer leurs produits vers les clients et pour les servir une fois sur place. Une réalité qui pourrait être appelée à changer même si ça représente tout un défi, remarque Dominique Bessette.
« Les clients nous le demandent de plus en plus, mais
réutiliser les emballages, c’est malheureusement rarement réalisable », évoque Dominique Bessette. En effet, non seulement il y a des enjeux de contamination reliés à la réutilisation du matériel, mais puisque les traiteurs ne sont pas sur place lors du service de la majorité des évènements qu’ils desservent, la réutilisation impliquerait de retourner chercher le matériel sur place entraînant des enjeux de logistique et des dépenses supplémentaires.
Du côté de l’Université de Montréal, qui a pourtant adopté une politique de zéro déchet pour le reste de ses services alimentaires, on a dû faire des concessions du côté de leur service de traiteur qui opère depuis 2018 sur les campus de l’Université ainsi que pour des évènements privés, explique le directeur des services alimentaires de l’Université, Pascal Prouteau.
« À un certain point, il faut être réaliste », remarque-t-il. « Quand tu livres une dizaine de boîtes à lunch à quelques kilomètres, qu’est-ce qui est le plus écologique : envoyer un camion les chercher ou utiliser du matériel en plastique recyclable ? » souligne-t-il.
Après plusieurs essais-erreurs et la disparition d’une partie de sa vaisselle, il a finalement opté pour une formule mixte, où il utilise de la vaisselle consignée en partie et des produits recyclables et compostables pour certains éléments comme les boîtes repas.
« Il faut amener les gens à voir autrement. Par exemple, on a gardé les verres à café en carton, mais on ne donne plus de couvercles en plastique. Au début, les clients bougonnent un peu, mais ils réalisent rapidement qu’ils peuvent faire sans », illustre-t-il.
Un changement de mentalité qui s’opère toutefois relativement rapidement selon Catherine Fraser qui privilégie de la vaisselle en porcelaine dès que la situation le permet.
Une expérience particulière
Les traiteurs doivent également faire preuve de beaucoup de flexibilité au niveau de leurs menus pour s’assurer de pouvoir répondre aux contraintes changeantes de leurs différents contrats. C’est d’ailleurs pourquoi Pascal Prouteau a rapidement décidé d’embaucher une cheffe exécutif dédiée pour son équipe de traiteur.
« Ce qu’il faut comprendre c’est que les gens n’appellent pas un traiteur pour les mêmes raisons qu’ils vont au restaurant », remarque Dominique Bessette. « Au restaurant on veut se gâter, mais ce n’est pas la même chose avec un lunch d’affaires ou même un cinq à sept, ils recherchent une toute autre expérience », constate-elle.
La conception d’un bon menu traiteur passe par la compréhension de la réalité du client et des contraintes liées à l’événement qu’il dessert, conclut Catherine Fraser. « Ce n’est pas toujours facile, mais de toute évidence, quand les clients rappellent et quand tu commences à avoir fait plusieurs évènements au même endroit, ça devient beaucoup plus facile à gérer. » •
HRImag est un média francophone (site Web et magazine papier) qui offre de l'information de pointe sur l'industrie des HRI (hôtels, restaurants et institutions).