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Point de vue

Vous, les magiciens

 
22 juin 2021 | Par Robert Dion

Ce n’est pas en sortant un lapin d’un chapeau, en coupant votre assistant en deux ou en faisant disparaître un concurrent que vous avez été des prestidigitateurs. Hôteliers, institutions et restaurateurs, vous avez réalisé un grand numéro : vous avez opéré de la magie en étant innovants, travaillants et rassembleurs. Vous avez programmé des plateformes de livraison, cherché des emballages plus pratiques, créé des recettes et monté des offres spectaculaires, le tout en respectant de nombreuses règles de sécurité.

Nous voilà rendus à l’étape du retour à la normale. Mais quelle normale ? J’oserais plutôt parler de « la nouvelle normalité ». Celle où l’on fait plus avec moins, où l’on compose avec les nouvelles habitudes des clientèles. Celle où l’on repère ce qui va revenir et ce qui va rester des habitudes d’avant et de pendant la pandémie.

Servir, faire plaisir, performer : il n’a jamais été simple d’être un entrepreneur ou un employé des HRI. Mais ce sera encore plus difficile dans les semaines, mois et même années à venir. Une vague de clients empressés de sortir et de revivre va s’entasser dans vos établissements comme si rien ne s’était jamais passé ; or, il n’y a rien de plus faux.

Pendant cette crise, des milliers d’employés ont décroché, les salaires ont augmenté, les prix des aliments et ingrédients ont bondi, et les habitudes ont changé. Vous, cependant, devez faire comme avant ! Plusieurs clients comprendront, mais d’autres, non. Cette pandémie vous aura cependant — je l’espère — rendus encore plus forts !

J’admire votre capacité à vous adapter et je vous souhaite un bon été dans un retour à la normale !

Robert Dion, éditeur
[email protected]

 
 
Billet de la rédaction

Voyager dans l’histoire et le terroir

 
30 juin 2021 | Par Marie Pâris

Chers lecteurs,

Cet été, les voyages à l’étranger seront peut-être compliqués, voire impossibles, mais qu’à cela ne tienne : on a encore tellement à découvrir au Québec ! En cette période pandémique où tout se fait depuis la maison, du travail aux concerts en passant par les 5 à 7, on vous propose de nous accompagner en voyage(s) depuis chez vous. Et cette fois, pas besoin d’écran ou de séance Zoom : un magazine suffit.

On vous invite à partir en voyage dans notre terroir, à la rencontre d’une culture de chez nous mais encore trop méconnue : la culture autochtone. Cette culture qui prend de plus en plus sa place dans l’industrie des HRI se décline dans nos pages entre cuisine et savoir-faire.

À l’heure où le Québec se recentre sur ses produits locaux et son terroir, il est en effet grand temps d’apprendre à mieux connaître la cuisine des Premières Nations. Je crois fermement qu’on ne pourra pas pleinement définir la gastronomie québécoise ou l’identité culinaire de la province tant qu’on n’aura pas appris à connaître, à réutiliser et à mettre en valeur ces connaissances et saveurs purement d’ici.

Toujours dans cet esprit de voyage, nos pages vous invitent à vous promener dans le temps à la rencontre des semences ancestrales qui permettent de goûter aux saveurs d’autrefois. Ces légumes et fruits centenaires font d’ailleurs un retour remarqué dans les potagers et assiettes. Parlant d’histoire, on étudie également la façon dont l’héritage culinaire des Premières Nations a façonné la cuisine québécoise végétale au fil des siècles…

Bref, cet été, soyons un peu chauvins : c’est chez nous que ça se passe. Et il y a beaucoup à y apprendre.

Bons voyages,

Marie Pâris, rédactrice en chef
[email protected]

 
 
Personnalité HRI

FRANÇOIS-EMMANUEL NICOL

Cuisiner le Québec sauvage

 
6 juillet 2021 | Par Marie Pâris

François-Emmanuel Nicol vient juste de fêter ses 30 ans, mais il est déjà partenaire du restaurant Tanière³ et l’un des chefs en vue de la relève. Il ne se destinait pourtant pas à la restauration il y a quelques années. « La cuisine m’intéressait, mais je trouvais que c’était un métier très difficile sur le plan de la vie de famille et des conditions salariales… », confie le chef. Né à Gaspé de parents bretons, François-Emmanuel a grandi dans la capitale et se voyait plus tard membre de la Garde côtière. Puis, en travaillant dans un café, le jeune étudiant apprend les bases de la cuisine et y prend goût en préparant des déjeuners maison.

Après le cégep, il décide de s’inscrire à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ) plutôt qu’à l’université et opte pour le programme Gestion de la restauration. « Comme je voulais avoir mon restaurant plus tard, je me suis dit que je ne pourrais pas apprendre la gestion sur le tas — contrairement à la cuisine, que j’apprendrais en travaillant dans les bonnes maisons », raconte François-Emmanuel.

Il travaille au Bonne Entente et au Panache à Québec — aujourd’hui Chez Muffy. C’est Louis Pacquelin qui dirige alors la cuisine du restaurant de L’Auberge Saint-Antoine. « J’ai beaucoup appris là-bas, raconte le chef. C’était un environnement très dur, à l’ancienne, mais extrêmement formateur. »

Il enchaîne avec le concours Young Chef San Pellegrino et se retrouve en finale à Toronto. Ses professeurs de l’ITHQ lui conseillent alors de candidater à la bourse Les Grands chefs Relais & Châteaux. Son objectif : faire de la cuisine de haut niveau pendant un an. Grâce à la bourse, il se rend dans trois restaurants : Quay à Sydney, Arzak au Pays basque et Mirazur en France. « J’ai formé mon identité culinaire autour de ces expériences très différentes », souligne François-Emmanuel. De retour au Québec, il tente sa chance auprès de Frédéric Laplante du groupe La Tanière. Dès la rencontre, « ça clique » entre les deux cuisiniers.

Pousser la recherche sur la culture culinaire

François-Emmanuel commence comme commis garde-manger au Légende, puis y devient sous-chef et chef avant de s’associer dans le projet de Tanière³, un restaurant gastronomique construit autour de quatre voûtes ayant chacune leur univers. Le point d’orgue, c’est l’histoire, présente dans chaque recoin du restaurant et jusque dans l’assiette. « Je veux que chaque service raconte une histoire, souligne le chef propriétaire. Un plat parle du quartier, un autre d’un artisan, un autre encore raconte une tradition culinaire du Québec… » Son menu actuel est par exemple travaillé autour des arbres du Québec.

« Notre terroir sauvage a des produits uniques au monde et très méconnus, que j’essaie de transmettre dans ma cuisine, explique François-Emmanuel. Il y a de beaux produits aussi dans le terroir agricole, mais ils sont souvent inspirés des traditions européennes ; en explorant le côté sauvage, on a une identité plus forte du terroir naturel. Tanière³ m’a vraiment permis de m’exprimer là-dedans. » Le chef aime aussi surprendre constamment sa clientèle par des présentations ou des techniques auxquelles elle ne s’attend pas, mais toujours en gardant des assiettes lisibles. « On travaille avec des ingrédients rares, il faut donc qu’ils se sentent… »

Avant la pandémie, Tanière³ a connu une première année d’ouverture « exceptionnelle », qui a hissé l’établissement dans le top 100 des meilleurs restaurants au Canada. Ambitieux, le jeune chef vise maintenant une portée internationale, tout en développant les collaborations avec d’autres restaurants, en invitant des producteurs et, bien sûr, en continuant de pousser la recherche sur la culture culinaire du Québec.

Son projet de restaurant à lui ? Finalement, François-Emmanuel est trop bien dans sa Tanière. « Mes associés me font énormément confiance, et peu importe l’idée que j’amène, on y va tous ensemble, affirme le chef. Et je n’ai pas l’impression d’avoir besoin d’être en solo pour m’épanouir ; j’ai largement la place pour le faire dans la structure qu’on a actuellement… ».

 
 
Dossier

PREMIÈRES NATIONS

Préserver un patrimoine grâce au tourisme

 
12 juillet 2021 | Par Marie Pâris

15 à 20% : c’est le taux de croissance annuel des adhésions à l’organisme Tourisme Autochtone Québec, qui rassemble sous sa bannière des entreprises détenues par des Autochtones et développées en lien avec la culture de leur nation. Si la restauration et la gastronomie constituent une part importante de l’offre touristique autochtone au Québec, les secteurs de l’hébergement et de la culture ont connu une belle croissance, note Andrew Germain Gros-Louis, conseiller en marketing de l’organisme. « Le tourisme autochtone est un secteur d’activité économique très important qui est encore en développement, mais qui a beaucoup de potentiel quand on regarde d’autres provinces comme l’Alberta et la Colombie-Britannique. La découverte de la culture et des traditions autochtones fait partie des piliers forts de notre industrie touristique. Avant la pandémie, le tourisme autochtone vivait vraiment une croissance fulgurante. »

Du côté des restaurants, la redécouverte du terroir et le retour aux racines entraînent une curiosité accrue envers les saveurs et techniques autochtones. En sont pour preuve le festival Présence autochtone, qui rassemble de plus en plus de monde autour de chefs des Premières Nations, ou encore l’engouement médiatique autour du travail de Stéphane Modat, qui part régulièrement à la rencontre d’Autochtones pour cuisiner à leurs côtés. Pour Marlene Hale, alias Chef Maluh, originaire de la nation Wet’suwet’en en Colombie-Britannique et installée à Montréal, la définition de la cuisine autochtone est simple : « C’est une cuisine qui transmet la culture des Premières Nations, une cuisine qui se nourrit de la terre et qui en dépend, comme le faisaient nos ancêtres. On pêche, on chasse, on cueille des baies, et on apprend à produire tous nos aliments nous-mêmes. Il y a par exemple beaucoup de nourriture à trouver juste à partir d’un arbre… »

Très présente, la nature dicte le menu en fonction des saisons de pêche, de trappe et de chasse. Pour le chef Manuel Kak’wa Kurtness, de la communauté innue de Mashteuiatsh, cette cuisine n’est « pas si élaborée que ça et rapide ». Elle dépend autant des ingrédients que des techniques, car elle part de la récolte et de la matière première immédiate. Pour les viandes, il faut ainsi maîtriser la partie boucherie — préparation, transformation, conservation, etc. — avant de cuisiner l’animal. « Tout est utilisé et transformé, les os comme les gras corporels, souligne le chef. Mais aujourd’hui on est assis chez nous à commander des pièces de viande pour faire ce qui n’est donc qu’une “interprétation” d’une cuisine autochtone. »

Manuel Kak’wa Kurtness s’échauffe sur la question. S’il reconnaît qu’elle s’inspire quand même de certains savoirs et pratiques, cette cuisine d’interprétation reste selon lui très moderne, d’autant plus qu’elle est servie dans un contexte et un décorum bien différents. « Si on mange autochtone, ça n’est pas sous la forme d’un potage en entrée, d’un plat principal chaud, d’un dessert, etc., estime le chef. La restauration est un acte commercial et non saisonnier ou culturel. Or, la cuisine autochtone ne pourra jamais être commerciale. » En attendant, il regrette que cette cuisine commerciale entretienne des mythes, comme la consommation de la banique, un « pain écossais » puisque très peu d’Autochtones faisaient pousser du blé au Canada.

Manuel Kak’wa Kurtness

« Aller à la rencontre des gens »

D’aucuns dénoncent en outre le fait qu’on entend surtout des non Autochtones s’exprimer sur la question, à l’image de Jean-Paul Grappe ou du chef Stéphane Modat pour la cuisine de gibier. Pour sa part, Andrew Germain Gros-Louis pense que le fait de reprendre des traditions autochtones ne constitue pas de l’appropriation culturelle en soi : « C’est le terroir. Stéphane Modat, par exemple, a vraiment à cœur de mettre en valeur la culture autochtone et les saveurs de notre terroir sans faire d’appropriation. Il va plutôt parler de l’histoire de la personne qu’il a rencontrée et qui lui a transmis ce savoir. Ce n’est pas un chef autochtone, mais c’est un chef qui travaille beaucoup avec les Autochtones. »

Pour François-Emmanuel Nicol, associé du restaurant Tanière³ à Québec, il s’agit en effet d’aller à la rencontre des Premières Nations avant de suivre ces traditions. S’il travaille au plus près du terroir boréal, le chef ne trouverait pas légitime d’essayer de reproduire lui-même des plats ou des recettes autochtones, car il n’en a pas les racines. Il se souvient d’un événement culinaire où il était allé à la rencontre de la nation de Kahnawake et avait appris à travailler une farine de maïs iroquois blanc : « Là, je me suis senti à l’aise de me coller sur cette tradition, parce que j’avais fait une recherche poussée avec des gens qui m’expliquaient ce qu’ils faisaient. » Cette culture, il la voit plutôt comme un bassin d’inspiration. « Je lis beaucoup là-dessus, mais j’ai un certain malaise à dire que je fais une cuisine autochtone si je n’ai pas les connaissances ou si je n’ai pas été à la rencontre des gens. »

Cette cuisine d’interprétation peut en outre servir à préserver et à transmettre un savoir qui a malheureusement tendance à disparaître. Ainsi, François-Emmanuel Nicol s’est inspiré d’une soupe crie à base de fémur d’original pour créer une recette, après avoir fait une recherche sur l’histoire de la soupe au Québec qui l’a amené à constater qu’elle a souvent été un élément de subsistance chez différentes nations. « Sans pour autant présenter un plat autochtone, car je n’ai pas assez de connaissances pour lui rendre honneur, j’ai pu parler de l’histoire de cette soupe en servant ma recette aux clients », explique le chef.

La transmission des saveurs autochtones ne peut pas être abordée sans parler de la viande des bois, dont la vente est interdite au Québec. Le bœuf, le poulet ou le porc ne sont pas des viandes courantes dans certaines communautés, note Manuel Kak’wa Kurtness. Or, de nombreux Autochtones ne peuvent pas mettre d’orignal sur la table. Et le gibier d’élevage (wapiti, cerf rouge, etc.) reste cher. « J’ai un jour reçu un appel d’une infirmière du Nord du Québec dont le patient, un Innu, n’avait pas pu manger de caribou depuis plus d’un an et demi, raconte Marlene Hale. C’est pourtant son alimentation, sa culture culinaire ! Je lui en ai fait livrer le lendemain. »

Hôtel-Musée des Premières Nations, Wendake

Une expérience éducative et culturelle

De nombreux Québécois ont encore une notion très limitée des cultures des Premières Nations, note-t-on à Tourisme Autochtone Québec. « Quand on leur demande combien de dialectes ou de communautés il existe, par exemple, ils ne le savent pas », mentionne Andrew Germain Gros-Louis. Par contre, ce dernier note une ouverture à apprendre : si l’organisme était auparavant plutôt tourné vers les marchés internationaux, la pandémie a recentré son mandat sur le Québec, et la réponse a été très positive. « Les gens recherchent plus qu’un lieu pour manger ou dormir. Dans des entreprises tenues par des Autochtones qui ont à cœur l’enseignement de leur culture, on sait qu’on a affaire à une expérience authentique, qui peut être d’hébergement ou de gastronomie, mais aussi éducative et culturelle. »

Il cite en exemple l’Hôtel-Musée des Premières Nations de Wendake, dont les chambres sont décorées avec des objets traditionnels qu’il est possible d’acheter. Un modèle qui est de plus en plus reproduit dans les communautés, afin d’avoir une offre touristique permettant l’hébergement de même que la transmission du savoir, par un musée, des activités culturelles ou de la gastronomie. « L’hôtel de Wendake a été pionnier, mais aussi très formateur pour plusieurs autres membres, raconte Andrew Germain Gros-Louis. L’établissement sert d’école, et les communautés qui ont l’objectif d’offrir de l’hébergement y envoient leurs employés en formation pour apprendre. Notre objectif, c’est d’avoir plus d’un établissement de formation. »

En attendant, Tourisme Autochtone Québec travaille beaucoup avec les écoles Garneau et Mérici, qui offrent des formations en hôtellerie et en tourisme. Chaque année, l’organisme participe à un volet Tourisme autochtone pour sensibiliser les jeunes du domaine à l’offre autochtone. « Peu importe où ils vont travailler plus tard, ils vont être à proximité d’une nation et d’une offre touristique autochtones, note le conseiller en marketing. On offre donc des formations en commercialisation, en marketing, en représentation ou en développement de l’offre touristique. » La formation manque encore malheureusement en cuisine. Manuel Kak’wa Kurtness a pour sa part enseigné au Centre de formation professionnelle de Jonquière, mais c’était « en cuisine normale, parce que la cuisine autochtone n’existe pas dans les systèmes d’enseignement ».

« Ce champ de connaissances qui se seraient normalement transmises de génération en génération et partagées entre familles a été entravé », comme l’indiquait le chef George Lenser, issu des Premières Nations de Colombie-Britannique, lors du festival Présence autochtone. Mais tranquillement, il se reconstruit, notamment grâce à la restauration et à l’hôtellerie.

 
 
Dossier

SEMENCES ANCESTRALES

Redécouvrir un patrimoine

 
16 juillet 2021 | Par Delphine Jung

Difficile de donner une définition officielle des semences ancestrales. « Chacun a la sienne, mais il s’agit plus généralement de variétés potagères qui étaient cultivées avant la révolution verte des années 1950 », explique Bernard Lavallée, nutritionniste et auteur de Sauver la planète, une bouchée à la fois, qui vend aussi des semences en ligne. Pour être véritablement considérée comme une espèce ancestrale, par exemple, la tomate originale qui a donné naissance à des générations de graines doit être traçable depuis au moins 50 ans.

Cette fameuse révolution verte, qui a fait entrer l’agriculture dans l’ère industrielle, a aussi fait tomber ces semences en désuétude, « car elles ne répondaient plus aux critères du système industrialisé », poursuit le nutritionniste. À l’époque, on cultivait ces variétés pour leur couleur, leur goût et leur résistance aux maladies. Mais après les années 1950, les envies et les besoins des consommateurs se sont uniformisés. Tout le monde veut désormais une belle tomate ronde et rouge. Ou une pomme dodue et luisante. Et surtout, mondialisation oblige, il faut maintenant des variétés capables de supporter des voyages de plus de 5000 kilomètres. Au placard, donc, la betterave Crapaudine, la tomate Mémé de Beauce ou Plourde, et bienvenue à la tomate Celebrity et au concombre Burpless.

« La plus connue de ces espèces d’antan (du moins au Québec) est celle du melon de Montréal. Il se vendait un peu partout il y a une centaine d’années, mais on en a perdu la trace », raconte Bernard Lavallée. Puis, un beau jour, dans les années 1990, quelqu’un est tombé sur un sachet de semences de ce fameux melon dans une ferme en Iowa et, aujourd’hui, grâce à cette (re)découverte, il est possible d’en refaire pousser.

La principale différence entre les semences ancestrales et celles qui sont utilisées aujourd’hui réside dans leur mode de reproduction. « On est désormais dépendants de l’industrie des semences. Quand on les achète en quincaillerie, on les plante une saison, puis il faut en racheter l’année suivante. Les semences ancestrales, elles, sont à pollinisation libre, c’est-à-dire qu’il est possible de récupérer les semences chaque année et de les replanter », détaille le nutritionniste. La pollinisation libre a généralement lieu sans l’intervention humaine, car elle se fait grâce au vent et aux insectes. Ces semences-là s’adaptent aussi au territoire, avec le temps.

Un patrimoine perdu ?

Finalement, bien avisé celui qui pourrait dire avec précision combien de ces variétés ont été perdues. « Et on ne le saura probablement jamais, estime Bernard Lavallée. Dans la grande majorité, on ne les retrouvera sûrement jamais. On a perdu des saveurs, des goûts, un patrimoine génétique… » Patrice Fortier, fondateur de La société des plantes, une entreprise de Kamouraska qui vend des semences, indique quant à lui que l’humanité a perdu 75% de son patrimoine végétal. De là à dire qu’il y a une perte de diversité dans les fruits et légumes, il y a un immense pas à faire. Bernard Lavallée rappelle que des variétés ont disparu, certes, mais que d’autres ont été créées.

Et malgré le fait que beaucoup de semences ancestrales ont disparu, il existe tout de même des banques de semences privées ou publiques sur lesquelles on peut compter pour les préserver et assurer leur survie. Parfois, certains jardiniers tombent par hasard sur de vieux sachets, comme dans le cas du melon de Montréal, et d’autres variétés ont survécu car elles ont été transmises de jardinier en jardinier.

Crédit photo : Katya Konioukhova

Ressusciter le passé

Depuis quelques années, les experts observent un regain d’intérêt pour ces semences du passé. Appétence retrouvée pour le jardinage, nostalgie de ces aliments d’un autre temps, désir de préserver de ce qui reste de notre patrimoine végétal en perdition… Les raisons sont nombreuses. L’engouement s’est enraciné durant la pandémie, selon Bernard Lavallée, notamment parce que beaucoup de gens ont repris goût au jardinage. En outre, connaître l’histoire des semences ancestrales permet de créer un lien affectif avec ces fruits et légumes, croit-il. En veulent pour preuve ses chiffres de vente via son site web. « On n’arrive pas à fournir la demande. Je vends quatre fois plus qu’avant la pandémie », assure-t-il.

Patrice Fortier constate le même emballement. Pour lui, il s’agit de l’aboutissement d’un travail de plus de 20 ans amorcé pour faire connaître les semences ancestrales. La restauration y serait pour quelque chose. Jean-Philippe Matheussen, chef au restaurant montréalais Manitoba, collabore par exemple beaucoup avec des fermes qui produisent expressément des fruits et légumes ancestraux. Le chef, qui revient d’un séjour dans un restaurant américain, assure avoir choisi de travailler au Manitoba, car « c’est un établissement qui propose une cuisine très sauvage, basée sur la cueillette ». Selon lui, le regain d’intérêt de la population pour les semences ancestrales est aussi lié au goût. « Et surtout, plus il y a de chefs qui travaillent ces produits, plus les gens vont s’y intéresser », croit-il.

Une question de goût

Sur le plan du goût, justement, quelles différences ? Patrice Fortier rappelle que ce n’est pas parce que le légume ou le fruit est ancien que son goût sera forcément meilleur. « Il est plus subtil, croit plutôt Bernard Lavallée. Mais le vrai intérêt des fruits et légumes ancestraux, c’est la diversité ». Le nutritionniste évoque par exemple les centaines de sortes de tomates existantes. Selon lui, cette diversité est très importante en alimentation.

Le chef Matheussen va plus loin. Pour son palais fin, les légumes ancestraux sont bien plus goûteux : « Le goût des tomates ancestrales n’a rien à voir avec celui des tomates qu’on trouve en épicerie ; ça ne se compare même pas ! Beaucoup de ces tomates du commerce ont été cultivées hors sol ou en serre : cela affecte leur goût ». Son truc, c’est de cuisiner des « produits qui ont le plus grand intérêt nutritif », et selon lui, les fruits et légumes ancestraux remplissent largement cette fonction.

L’avantage de cultiver les semences ancestrales est aussi environnemental. La révolution verte a appauvri les terres en imposant les monocultures, rappelle Jean-Philippe Matheussen. Or, les maraîchers avec qui il travaille ont justement à cœur d’implanter une rotation des cultures sur leurs terres. « Ils font de la polyculture pour ne pas démolir les sols, car chaque chose qui pousse a besoin de minéraux différents », détaille-t-il. Comme les rendements sont aussi moins élevés, les produits sortis de terre coûtent évidemment plus chers à la consommation. « Mais en même temps, acheter des tomates en plein mois de janvier coûte tout aussi cher », lance-t-il.

Aussi, les experts s’accordent à dire que certaines de ces variétés ancestrales se sont mieux adaptées au terroir et pourraient même répondre d’une meilleure manière aux effets des changements climatiques. Pour le plaisir de leurs imperfections, leurs qualités gustatives et cette petite nostalgie qu’elles réveillent dans le cœur des jardiniers, les semences ancestrales devraient avoir encore une longue vie devant elles. Surtout, ce regain d’intérêt fait de tous les jardiniers en herbe de potentiels conservateurs insoupçonnés.

Crédit photo : Katya Konioukhova
 
 
Équipements

FUMAISON

La modernité au service des saveurs ancestrales

 
16 juillet 2021 | Par Laurence-Michèle Dufour

Avec l’été et le beau temps enfin à nos portes viennent le début des récoltes et l’abondance de nouveaux produits. Pendant que plusieurs s’en donnent à cœur joie et cuisinent au barbecue et au feu de bois, les chefs devant leurs fourneaux tentent de capter et de conserver les saveurs de l’été. Si la congélation est encore aujourd’hui la reine de la conservation, la fumaison gagne en popularité et n’est plus seulement synonyme de conservation, d’extérieur, de récipients en fonte et de cabane en bois rond : la tendance s’invite désormais directement dans les cuisines.

Si l’on s’inspire depuis des millénaires des méthodes culinaires de nos ancêtres, celles-ci dérivent souvent de techniques qui servaient plus à la conservation qu’à la cuisson. « L’histoire de la cuisine au Québec, c’est juste un travail saisonnier, raconte Elisabeth Cardin, coautrice de L’érable et la perdrix : l’histoire culinaire du Québec à travers ses aliments et propriétaire du restaurant montréalais Manitoba. S’il y a une histoire de la cuisine au Québec, c’est parce qu’il y a un hiver. Ce serait moins fort s’il faisait beau tout le temps. C’est la peur d’en manquer, la célébration de chacune des récoltes puis la manière de les garder. On utilise les saisons : le froid pour congeler, le soleil pour sécher… »

Bien sûr, jerky et autres charcuteries nécessitent des procédés de salaison et de déshydratation qui permettent une conservation très longue, mais la fumaison simplement pour le plaisir de ses arômes ne prolonge la survie des aliments que de quelques jours. « De prime abord, il faut apprendre à cuisiner sans les outils. C’est là que tu arrives à voir si le matériel a une vraie incidence sur qui tu es en tant que cuisinier. Il faut marcher avant de courir », indique Stéphane Modat, questionné sur le rapport entre la tradition et nos cuisines modernes. L’ancien chef du restaurant Champlain au Château Frontenac, réputé pour son amour de la chasse et du gibier, est d’avis que l’on n’est pas toujours obligé d’acheter du matériel à fort prix, car la fumaison est accessible à toutes les bourses.

Crédit photo : Restaurant Manitoba

Fumage à chaud et à froid

Que l’on soit à l’intérieur ou à l’extérieur et quel que soit l’équipement utilisé, le principe demeure le même : on doit diffuser une quantité de fumée dans un espace clos pour aromatiser les aliments qui s’y trouvent. Pour ce faire, il suffit de placer des copeaux ou de la sciure de bois dans un contenant muni d’un couvercle perforé. Un élément électrique ou toute autre source de chaleur permettra de réchauffer ce bois très sec qui se consumera lentement.

« Au chalet d’un ami, on utilise un gros dock de ventilation, une porte en bois et un rond électrique sur lequel on met une pan avec de la sciure, confie le chef. On fait ça l’hiver, et c’est comme ça qu’on prépare notre saumon fumé pour l’année. Une case de vestiaire en fer blanc, ça marche aussi : il faut juste ajouter des grilles de four là-dedans. » Pour faire des essais à petite échelle, il est toujours possible de s’amuser dans un four standard avant de se tourner vers de plus gros investissements. À noter que l’odeur de fumée peut y persister et altérer le goût des cuissons suivantes.

Le fumage à chaud combine la cuisson à la fumaison et doit se faire à des températures plutôt basses, variant entre 105 °C et 135 °C (220 °F à 275 °F). Le temps de cuisson dépend évidemment des aliments. Il faut privilégier les copeaux qui sont plus lents à se consumer pour ce type de fumaison qui s’apparente à celui des barbecues et fumoirs extérieurs. Le fumage à froid est quant à lui utilisé simplement pour fumer les aliments que l’on ne souhaite pas cuire. « L’idéal serait d’avoir un fumoir en hauteur avec une source de chaleur 20 pieds plus bas dans la terre, détaille Elisabeth Cardin. Tu mets un grand tuyau et tu pars ta “truie” en bas. La fumée refroidit bien avant d’arriver dans le fumoir. Mais pour un restaurant à Montréal, par exemple, ce serait plus compliqué… » Pour conserver une basse température, soit entre 15 °C et 25 °C (60 °F et 77 °F), il est possible d’ajouter simplement un cul-de-poule rempli de glaçons dans la cavité du four ou même du barbecue. La sciure de bois sera à privilégier pour ce type de fumaison, car elle se consume plus lentement.

Le four multifonction

Selon Stéphane Modat, les cuisiniers qui travaillent avec les saisons savent se débrouiller avec ce qu’ils ont sous la main. Admettant que, en milieu professionnel, il peut être préférable de se tourner vers un matériel moins bricolé, il avoue avoir un penchant pour les fours combinés vapeur et convection qui se multiplient dans les cuisines. Souvent appelé « Rational » en référence à la marque allemande qui possède plus de 50 % des parts du marché mondial des fours combinés, le four combiné vapeur et convection s’est taillé une place de choix dans le cœur de plusieurs chefs. « Quand je fais des plans de cuisine commerciale, je ne demande plus au client s’il en veut un ; j’évalue plutôt combien il lui en faut », affirme Jean Laviolette, consultant senior en services alimentaires chez Doyon Després.

Selon le spécialiste, plus de 80 % des préparations de tous styles de restaurants pourraient facilement s’y faire. Cet outil serait souvent même utilisé à seulement 50 % de sa capacité. Il est possible d’ajouter l’option fumoir à tous les modèles de fours combinés. Le petit réceptacle à fumaison peut aussi être acheté séparément et ajouté à un four, à condition de posséder un modèle pas trop vieillot. L’avantage, dans le cas précis de la fumaison, c’est que ce dernier est autonettoyant. Son système de lavage automatique qui utilise détergent, eau et produit aseptisant permet d’éliminer les traces et odeurs de fumaison. Ces fours coûtent entre 12 000 et 60 000 $.

Pour un restaurateur qui désire faire beaucoup de fumaison, il peut valoir la peine de se tourner vers un four-fumoir qui y serait entièrement consacré. Ces fours se vendent entre 7 000 et 9 000 $ environ, mais ne possèdent pas de système de nettoyage. La cavité plus grande permet de suspendre les pièces à fumer à des crochets, et la chaleur diffusée par les parois latérales assure une fumaison très égale. « Ce que j’ai découvert il y a quelques années et recommandé à des clients spécialisés en burgers, c’est un gril au gaz qui fume la viande pendant la cuisson. Il y a en dessous plusieurs petites boîtes dans lesquelles mettre des copeaux », décrit Jean Laviolette. Ce genre de gril à fumoir intégré se détaille à près de 8000 $ (format de 3 pieds), soit près du double du prix d’un gril ordinaire.

  • Fumée liquide
    Il suffit d’ajouter la quantité désirée de cette préparation simple à base d’alcool ou d’eau, aussi appelée par son nom anglais « liquid smoke », aux ingrédients de la recette pour lui conférer un goût de fumée.
  • Dôme fumant - pipe fumoir
    Pour fumer délicatement l’ensemble d’une assiette une fois qu’elle est montée, la pipe fumoir électrique est dotée d’un embout qui se branche à une cloche à fumée. Un compartiment reçoit la sciure de bois et l’hélice motorisée qui servent à la fumaison. Certains modèles professionnels possèdent même un réceptacle dans lequel on peut ajouter des huiles essentielles.

 
 
Les défis de...

MAIN-D’OEUVRE

Puiser la relève à l’étranger

LA PÉNURIE DE MAIN-D’ŒUVRE SE FAISAIT DÉJÀ BIEN SENTIR AU QUÉBEC DANS LES ÉCOSYSTÈMES DE LA RESTAURATION ET DE L’HÔTELLERIE. LA PANDÉMIE N’A FAIT QUE RENFORCER LA TENDANCE : L’INDUSTRIE EST L’UNE DES PLUS FRAGILISÉES PAR LA CRISE, ET SES PROFESSIONNELS SE RECONVERTISSENT EN MASSE. DE PLUS, LE GOUVERNEMENT RESSERRE L’ÉTAU EN ADOPTANT UNE LÉGISLATION D’IMMIGRATION PLUS ROBUSTE QUI REND ENCORE PLUS ARDUE LA VENUE DE TRAVAILLEURS ÉTRANGERS. TOUR D’HORIZON.

 
23 août 2021 | Par Charlotte Mercille

Cet été, plus de 21000 postes sont à combler dans le secteur de l’hôtellerie, selon les prévisions de l’Association Hôtellerie Québec (AHQ). Le Conseil québécois des ressources humaines en tourisme documente actuellement l’impact économique de cette pénurie sur la productivité du secteur : depuis le début de la pandémie, 15 % des travailleurs songent à quitter définitivement le milieu, et 42 % prévoient se réorienter s’ils perdent leur emploi de manière permanente. Le taux d’inscription aux formations en tourisme a également chuté. Les techniques de tourisme ont accueilli 40 % d’élèves en moins cette année, tandis que les programmes de gestion hôtelière ont vu fondre leurs cohortes de 26 %.

« Ce sont des statistiques inquiétantes, parce qu’il faut retenir et perfectionner notre main-d’œuvre pendant qu’elle n’est pas au travail. Si la tendance se maintient, quand la pandémie va s’essouffler, la reprise sera très forte, mais nous n’aurons pas les effectifs nécessaires », alerte Xavier Gret, président de l’AHQ. Même constat à l’Association Restauration Québec : « C’était déjà l’enjeu numéro un avant la crise et ce l’est encore plus cette année », déclare son président François Meunier.

Les gestionnaires d’établissements confirment la problématique vécue sur le terrain. « Les candidatures entrent au compte-gouttes », déplore Constant Mentzas, chef et propriétaire du restaurant Ikanos à Montréal. L’été dernier, des restaurants ont notamment réduit leurs heures d’ouverture non pas pour réduire leurs coûts d’exploitation, mais simplement par manque de personnel. « Parfois, certains propriétaires sont tellement mal pris qu’ils se voient obligés d’embaucher des personnes qui ne sont pas du tout qualifiées pour le poste », observe le chef. François Meunier s’inquiète aussi de l’expertise engloutie dans cet exode : « C’est notre produit touristique qui va en souffrir », prédit-il.

Pourquoi les travailleurs boudent-ils ces domaines pourtant en grande demande ? Le vieillissement de la population serait un facteur important, étant donné que de 40 à 50% des emplois en restauration sont occupés par des personnes de 25 ans ou moins, une proportion qui s’amplifie pendant la période estivale. Les horaires atypiques propres à cette industrie, qui exige souvent qu’on travaille le soir, les fins de semaine et les jours fériés, ne font pas l’unanimité. « Il y a un grand contraste entre les attentes transmises à l’école et la réalité sur le terrain. C’est un mode de vie avant tout qui ne convient pas à tout le monde, notamment à ceux qui ont une famille », ajoute Constant Mentzas.

L’attrait des agences de placement

À l’instar de nombreux autres gestionnaires, le chef Mentzas s’est donc tourné vers des salariés étrangers. En espérant alléger les tâches administratives qu’une telle démarche implique, il a engagé un recruteur en restauration ainsi qu’un avocat en immigration. Grâce à cette aide, son volume de candidatures a considérablement gonflé. Bien avant la crise, Karen Therrien, copropriétaire du groupe La Tanière, peinait également à garnir son équipe en cuisine à Québec. Elle a donc embauché du personnel de l’étranger grâce à une firme spécialisée en immigration en 2019. À l’aube de la pandémie, elle a dû suspendre l’arrivée de cuisiniers venant de l’international.

Karen Therrien a depuis repris le processus afin de boucler les saisons estivale et automnale, une partie de son personnel en salle à manger et en cuisine ayant décidé de retourner aux études. « Les propriétaires de restaurant sont déjà bombardés par la bureaucratie. Quand c’est une question de loi d’immigration, je préfère faire affaire avec des professionnels et payer les coûts pour gagner du temps », confie la restauratrice. L’agence prend en charge la responsabilité souvent lourde de remplir les documents gouvernementaux et s’occupe aussi de l’intégration du nouvel arrivant — de la location d’un appartement à l’obtention du permis de conduire, en passant par l’orientation dans la nouvelle ville.

L’ajout d’un intermédiaire dans le processus peut toutefois semer la confusion sur l’emploi. Après quelques malentendus, Constant Mentzas a pris l’habitude de remettre les pendules à l’heure avec les candidats retenus, et ce, avant leur grand départ. Le chef conserve un souvenir mitigé de son expérience avec la main-d’œuvre étrangère : parmi la dizaine d’employés qu’il a recrutés, il a vécu autant de belles rencontres que de collaborations désastreuses.

L’embauche à l’international peut en effet s’avérer un pari risqué. « Deux ou trois entrevues Zoom, ce n’est souvent pas suffisant pour savoir si la personne pourra bien se greffer à l’établissement », indique-t-il. Congédier une personne qui a traversé l’océan pour venir s’installer ici, c’est aussi plus délicat que de licencier un « local » qui n’a pas dû faire les mêmes sacrifices. « Après deux ou trois quarts de travail, je les aurais remerciés, mais ce n’est pas aussi simple vu tout le processus d’immigration que cela engendre », souligne le restaurateur.

En revanche, les travailleurs étrangers font davantage preuve de fidélité, une denrée rare dans un milieu où le taux de roulement est important. « Les salariés qui viennent de recevoir un permis de travail se sentent plus tenus de donner une chance réelle. L’engagement et la longévité en poste de l’employé sont plus grands, et les compromis se réalisent plus facilement, observe Constant Mentzas. Chez les candidats locaux, par contre, la pénurie leur donne l’embarras du choix. On voit beaucoup plus d’éternels insatisfaits qui cherchent perpétuellement de meilleures conditions ailleurs. »

Le gouvernement resserre la vis

Par ailleurs, les nouvelles politiques d’immigration du gouvernement provincial ont grandement complexifié l’arrivée de renforts d’outremer. Les métiers de la restauration (cuisinier, chef, boulanger et pâtissier...) ont été récemment retirés de la liste des professions admissibles au traitement simplifié du Programme des travailleurs étrangers temporaires. Les emplois liés au domaine de l’hôtellerie, dont celui de préposé à l’entretien ménager, ont connu le même sort. La décision complique considérablement le futur recrutement de ces travailleurs.

« Cette nouvelle mesure a un impact majeur sur notre accès à des programmes d’aide gouvernementale, puisque nos métiers sont considérés comme en équilibre ou en surplus, alors que c’est loin d’être le cas », déplore Xavier Gret. « Les nouvelles normes se traduisent par environ 5000 $ et six mois de plus afin de faire venir un travailleur ici », estime François Meunier. Selon lui, une partie de la recette gagnante pour résoudre la pénurie réside dans une pluralité de formations. Il propose d’instaurer davantage de programmes d’alternance travail-études et d’encourager l’apprentissage en entreprise. « Il y a énormément de gens qui seraient intéressés par le milieu de la restauration, mais qui ne veulent pas nécessairement être assis pendant des centaines d’heures sur les bancs de l’école », indique-t-il.

Constant Mentzas est du même avis : « Je crois sincèrement qu’on devrait instaurer un système d’apprentis. C’est une excellente industrie pour les gens décrocheurs ou qui ont de la difficulté à l’école. On pourrait payer ces étudiants un peu moins pendant leur formation tout en leur permettant de récolter de l’expérience ». Karen Therrien souhaiterait quant à elle plus de subventions pour faciliter le processus d’immigration.

Le reste devra passer par une importante campagne de valorisation des métiers du tourisme menée par le gouvernement. « Quand les préposés aux bénéficiaires se voient offrir des emplois à 25 $ de l’heure, comment fait-on pour compétitionner ? » demande François Meunier. Mais l’avenir de l’industrie s’annonce peut-être moins sombre qu’on le croit, espère Xavier Gret : « La crise sanitaire a conscientisé la population au fait que l’écosystème touristique repose sur un équilibre fragile, et c’est peut-être cette nouvelle sensibilité qui va nous aider à nous remettre sur pied… »

 
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