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Il semble déjà loin le temps des thermomètres à aiguille qui servaient à vérifier la cuisson des aliments. Pourtant, quels que soient les outils utilisés en cuisine professionnelle, le principe de cuire adéquatement des aliments et de contrôler leur température demeure. Selon le chef et enseignant à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ) Pasquale Vari, cet apprentissage est incontournable avant même de penser à jouer avec des techniques et technologies plus modernes.
Ces premiers pas commencent, selon lui, avec l’utilisation d’un thermomètre de poche ou d’épaule : « Après les couteaux, le thermomètre, idéalement numérique, est indispensable à tout cuisinier pour contrôler la cuisson des viandes, poissons et sauces. » D’une longueur de 15 cm, cet outil est souvent associé, pour des liquides (bouillons, sauces, friture, etc.) dont on veut contrôler et maintenir la température, à un thermomètre à confiserie, aussi nommé « thermomètre à bonbon », de 20 à 24 cm de long. « Son avantage, c’est qu’on peut le laisser au bord du récipient tout en continuant à travailler à côté », précise Guillaume Fleury, ancien chef propriétaire et conseiller commercial chez Doyon Després depuis quatre ans.
En cette ère de productivité jumelée très souvent à un manque de main-d’œuvre, le thermomètre doit être à la fois le plus précis, autonome et polyvalent possible. Alors, en plus du thermomètre de poche individuel que possèdent la majorité des cuisiniers, de nombreuses cuisines professionnelles s’équipent de thermomètres à sonde, dotés de petits panneaux de contrôle à distance avec minuterie, sonnerie et programmation permettant de choisir la température des ingrédients à cuire. Comme le précise Guillaume Fleury, « il s’agit le plus souvent de viandes, car ce type de thermomètre ne peut pas être submergé ».
Technologie oblige, cet outil se présente aussi, à un prix supérieur, sans fil, voire accompagné d’une application infonuagique accessible par cellulaire. Il est souvent doté d’ajouts appréciables, comme des indicateurs de températures interne et externe (résiduelle) ou encore des temps de repos adaptés aux ingrédients, pour obtenir une cuisson parfaite au moment du dressage et du service. « C’est un bon investissement pour les cuisiniers qui travaillent avec un tournebroche ou sur du charbon, qui sont moins faciles à contrôler », convient le conseiller. Beaucoup de cuisines de restaurant disposent également d’un fusil infrarouge, qui lit de manière instantanée la température des aliments sur une table chaude (et non celle de la table elle-même) ou de ceux qu’on place dans un frigo ou une chambre froide.
La cuisson sous-vide : pratique et technique
Les adeptes de la cuisson sous vide ont accès à des thermomètres à aiguille conçus pour ce type de cuisson et qui assurent que la température du thermocirculateur n’est pas inférieure à 65°C. Développée initialement pour l’industrie pharmaceutique, cette technologie a pris beaucoup d’ampleur depuis une dizaine d’années dans les cuisines, car elle permet d’obtenir des cuissons précises, uniformes et garantissant peu ou pas de pertes. Une installation commerciale comprend une machine sous vide et un thermocirculateur d’une capacité de 15 à 40 litres, ce qui équivaut à la cuisson de 12 à 50 portions d’un même produit.
Selon Guillaume Fleury, la plupart des cuisiniers réservent la cuisson sous vide à certains éléments de leur menu, comme les viandes. Mais ce n’est pas le cas du chef Roland Bambach, propriétaire du traiteur maskoutain Calibré Cuisine. « En 2013, mon service de chef à domicile était si sollicité que, faute de pouvoir me dupliquer, j’ai dû trouver un moyen de réaliser du prêt-à-manger qui soit le plus près possible de l’expérience que j’aurais offerte en personne, raconte-t-il. Et c’est ce que la cuisson sous vide m’a permis de faire. »
Après une longue série de tests et de calibrages, le cuisinier n’a jamais cessé d’utiliser cette technologie pour les viandes rouges, les volailles, l’agneau, les poissons, les fruits de mer et certains légumes. « Pour des cuissons de moins de 24 heures, je saisis tout d’abord l’ingrédient pour obtenir une réaction de Maillard qui se poursuivra une fois qu’on l’aura plongé dans le thermocirculateur. Et pour des cuissons de plus de 24 heures, j’ajoute une post-cuisson à la précuisson. Je combine donc toujours la cuisson sous vide avec une cuisson plus traditionnelle pour donner un aspect "vrai", plus agréable à mon plat. »
La cuisson sous vide est donc très séduisante… Mais Pasquale Vari met en garde les cuisiniers contre la fausse information qui circule à son sujet. « Il faut vraiment en respecter les techniques spécifiques pour éviter des empoisonnements alimentaires, dit-il. Une cuisson à une température trop basse ne tue pas les bactéries présentes dans les viandes, par exemple. » Suivre un cours spécialisé est, selon l’enseignant, une bonne manière de profiter de cette technologie et non d’en pâtir.
Des fours pour tous les besoins
« Si j’ouvrais un restaurant demain, je m’assurerais d’avoir un four combiné (polycuiseur), un four haute vitesse et une cellule de refroidissement », énumère le chef Vari. Dans les faits, beaucoup de restaurants, d’hôtels et d’institutions s’équipent du premier appareil, qui combine chaleurs sèche et humide en plus d’offrir un vaste spectre d’applications : déshydratation, cuisson lente et rapide, cuisson sous vide, gril, etc.
Les fours combinés sont également parfaits pour cuire de multiples éléments requérant différentes méthodes de cuisson au sein d’un seul appareil, sans avoir à s’en occuper puisqu’ils disposent de programmations variées. Quand on pense à ce genre d’équipement, la marque Rational vient immédiatement en tête. Pasquale Vari recommande tout de même de procéder à des tests avec deux autres marques de fours combis plus prisées en Europe, soit Alto-Shaam et Convotherm. Cette dernière est d’ailleurs utilisée au concours du Bocuse d’Or. « Quand on investit de 15 000 à 30 000 $ dans un appareil de ce type, il vaut mieux en tester plusieurs pour savoir celui qui conviendra le mieux à nos besoins », précise le chef.
Et qu’en est-il du four haute vitesse ? Utilisé à l’origine par l’armée, et déjà populaire depuis un moment dans des chaînes comme Subway et Second Cup, mais aussi au Ritz de Toronto, chez Alain Ducasse et au restaurant montréalais Damas, cet appareil qui marie la cuisson à convection, à micro-ondes et par impact est un must, selon Pasquale Vari : « C’est un four de finition qui cuit 15 fois plus rapidement les aliments qu’un four combiné. Dans des restaurants haut de gamme, il peut être utile pour certaines préparations minute. Et dans des restos de type comptoir ou bistrot, où on peut avoir une main-d’œuvre moins expérimentée, il est parfait pour réchauffer des sandwichs ou des pizzas, ou pour faire griller une soupe à l’oignon ».
Un avenir d’induction et d’intelligence artificielle ?
N’en déplaise aux adeptes des air fryers – ces friteuses à air chaud aux multiples utilisations – et du Thermomix – un robot multifonctions très complet –, les experts que nous avons rencontrés pensent que l’avenir (proche, du moins) du matériel de cuisson professionnel sera lié à l’induction et à une vision de plus en plus autonome des appareils. Équipés eux-mêmes de cuisinières à induction à leurs domiciles, Pasquale Vari et Guillaume Fleury ne veulent plus rien savoir du gaz. « C’est un moyen plus sécuritaire, plus propre, plus précis et plus écologique de réaliser des cuissons », dit le premier, qui lorgne déjà du côté des nouvelles plaques à induction décelant les éléments à cuire et ne s’allumant qu’à ces endroits.
Guillaume Fleury, pour sa part, se réjouit de l’aspect compact, pratique et économique de cette technologie. « Un appareil à induction ne nécessite pas de hotte et transfère 100 % de la chaleur aux éléments à cuire, contre 60 % en moyenne pour les cuisinières à gaz, dit-il. Il peut aussi être utilisé dans des hôtels qui ne disposent pas de cuisine. » Le conseiller avoue qu’il s’amuse beaucoup avec son appareil : « On peut vraiment faire de tout avec ça ; notre seule limite est l’imagination. Je suis même capable de fumer des viandes ! »
Quant à l’intelligence artificielle, elle est de plus en plus présente en cuisine commerciale. Les experts s’entendent sur le fait qu’elle facilite beaucoup la vie des cuisiniers, quand elle ne remplace pas carrément certaines de leurs tâches ou des employés. Et cette technologie touche bien sûr les appareils de cuisson, comme le prouvent plusieurs de ceux dont nous avons traité précédemment. Cela ne veut pas pour autant dire qu’elle soit accessible. « Tous les établissements ne sont pas sur un pied d’égalité en matière d’équipements évolués et connectés, reconnaît Guillaume Fleury. Ceux qui ont de l’argent vont s’en doter immédiatement, tandis que les autres investiront au fur et à mesure. Il faut aussi se débrouiller dans le contexte actuel de rupture de stock, avec des attentes de six à huit mois pour recevoir les appareils commandés. »
Pasquale Vari rappelle également que l’accès à de tels appareils ne transforme pas par magie un quidam en cuisinier. « Aujourd’hui, un enfant serait capable d’utiliser un four combiné pour préparer du confit de canard qui nécessitait auparavant un temps fou et une attention constante. Mais il faut quand même que la personne qui utilise ce four sache pourquoi on retient tel ou tel type de cuisson. Donc non, je ne crois pas que l’intelligence artificielle remplacera la formation nécessaire à tout cuisinier pour exercer son métier… »