Les temps changent les habitudes de consommation, mais encore plus la clientèle. Celle-ci était, jusqu’à encore récemment, un groupe unique ou un ensemble uniforme et elle prend doucement la forme de plusieurs petits groupes qui ont des besoins différents les uns des autres.
Il n’y a pas si longtemps, répondre aux besoins, voire aux caprices, de tout un chacun faisait partie de notre service à la clientèle. Tout cela change. Sans revenir sur la pénurie de main-d’œuvre et l’augmentation des coûts, reconnaissons que les exploitants doivent faire des choix. L’un d’eux est d’être davantage en maîtrise de leur environnement. L’époque du « tout faire pour plaire » devient soudainement celle du « faire moins sans déplaire ».
Dans des établissements que j’ai récemment visités, j’ai ainsi vu des mentions telles que « Nous déclinons poliment toute substitution ou tout changement à notre menu » ou encore « Si vous ne le voyez pas sur le menu, nous non plus ! ». Autre exemple : l’argent comptant. Si l’on considère que ceux qui payent comptant font de plus en plus partie de l’exception, plusieurs établissements doivent se demander si cela vaut encore le coup de l’accepter. Évidemment, cela ne s’applique pas à tous, mais l’industrie ne peut plus se gérer par l’exception. La majorité devra l’emporter pour atteindre une meilleure efficacité, tant organisationnelle que financière.
Prenez le temps d’examiner l’ensemble des étapes et processus de vos établissements. Vous verrez que l’on fait encore bien des pas et des opérations qui pourraient être éliminés, voire harmonisés avec d’autres, pour optimiser l’efficacité. Cette réflexion est essentielle en ce printemps où l’on se prépare à affronter la saison estivale qui sera, selon les pronostics, très achalandée.
Depuis décembre dernier, une véritable révolution est en train de s’opérer au sein des HRI du Canada, pressés par les réglementations fédérales et municipales d’abandonner les articles à usage unique à base de six gammes de plastique. Ce changement de paradigme s’accompagne de défis, mais aussi d’un vent de panique parmi les restaurateurs, traiteurs, hôteliers, tenanciers de café, bars et bars laitiers, qui doivent se conformer à ces nouvelles normes et y faire adhérer leur clientèle. Comment opérer cette transformation de manière pratique ?
Les statistiques parlent d’elles-mêmes. Dans le Grand Montréal seulement, 805 millions de contenants à usage unique liés à l’offre alimentaire ont été fournis aux consommateurs en 2019. Un déchet sur cinq retrouvés dans les zones publiques provenait de la restauration rapide. On imagine donc aisément combien d’articles de ce type ont été envoyés dans des sites d’enfouissement à l’échelle du pays, surtout depuis une pandémie qui a dopé l’utilisation des plastiques à usage unique (PUU).
Conformément à ses engagements pris dans l’Accord de Paris en 2015, et dans la foulée d’une évaluation de la pollution plastique réalisée en 2020, le gouvernement fédéral s’est donné comme objectif, par le truchement d’Environnement et Changement climatique Canada, d’atteindre le zéro déchet plastique d’ici 2030. À cette fin, il a émis son Règlement interdisant les plastiques à usage unique (RIPUU), dont la mise en place va s’échelonner jusqu’en 2025, secondé par d’autres réglementations prises par plusieurs villes d’un bout à l’autre du Québec dès cette année.
Nouvelles normes et HRI
Entré en vigueur le 20 décembre 2022, le RIPUU interdit la fabrication et l’importation pour la vente au Canada de sacs d’emplettes, d’ustensiles, de vaisselle, de gobelets, de récipients alimentaires, de bâtonnets à mélanger et de pailles fabriqués dans six catégories de plastique. Les anneaux pour emballage de boisson ainsi que les pailles emballées sur des contenants de boisson se grefferont à cette liste sous peu. Le milieu des HRI dispose dans le premier cas d’un an (soit jusqu’au 20 décembre) et dans le second cas de 18 mois au maximum pour se conformer à cette nouvelle réglementation.
De plus, certaines villes – dont Montréal, Laval, Longueuil, Prévost et Terrebonne/Mascouche – se sont également dotées de législations qui peuvent accélérer les délais de normalisation et ajouter des interdictions à celles du fédéral. À Montréal, par exemple, le milieu de la restauration n’a que jusqu’au 26 mars pour bannir les PUU des établissements, exception faite des commerces qui n’accueillent pas de public et font seulement de la livraison.
Appréhender le changement
De telles exigences, surtout dans un secteur aux prises avec des problèmes de main-d’œuvre, d’inflation et d’approvisionnement, peuvent paraître opaques et stressantes. Elles peuvent l’être encore plus pour les entreprises qui disposent de succursales partout dans la province. Toutefois, plusieurs compagnies ont pris les devants avant même qu’il ait été question de réglementations.
Au sein de Sodexo, qui dessert chaque jour 100 millions de consommateurs à travers le monde, des initiatives concrètes ont été prises dès 2017. « Une feuille de route composée de neuf engagements, dont celui de réduire les PUU, guide toutes nos actions, confirme Catherine Audette, coordonnatrice en développement durable de Sodexo Canada. Nous avons ainsi éliminé les sacs, pailles et bâtonnets à café en plastique depuis un moment. Et depuis le début de l’année 2022, les équipes de développement durable, du culinaire et de l’approvisionnement ont travaillé ensemble, site par site, pour identifier les besoins, étapes et échéanciers. »
Cette collaboration a porté fruit, donnant lieu à l’adoption de contenants (plats, gobelets, tasses) réutilisables pour les mets à emporter, de stations de remplissage d’eau avec de la verrerie pour éliminer les bouteilles en plastique, ou encore de programmes porteurs. « Grâce au système de plats à emporter réutilisables Cano, qui propose aux consommateurs d’utiliser et de retourner des contenants en adhérant à un programme de récompenses, nous avons évité l’utilisation de 110 000 emballages à usage unique en 2022 », mentionne Catherine Audette, qui souligne aussi l’intégration de canettes en aluminium pour les boissons à emporter, canettes ensuite recyclées à travers le programme Consignaction.
En plus d’harmoniser ces pratiques dans tous ses sites, Sodexo Canada souhaite généraliser les achats en vrac, collecte du marc de café pour le recycler en fertilisant et encourage ses clients à apporter leurs propres contenants. « Nous relevons un gros défi en ce moment, mais nous savons qu’il est réalisable », conclut la coordonnatrice.
Son point de vue est partagé par Marie-Josée Lévesque, chargée de projets pour la Fromagerie Victoria, qui compte 20 restaurants mixtes (salle à manger, service à l’auto, bar laitier), deux usines de fromages et une cuisine centrale. « Nous achetons localement et recyclons depuis plus de 15 ans, explique-t-elle. Mais en vue de nous conformer aux nouvelles réglementations et d’harmoniser nos sites, nous avons répertorié tous les emballages achetés durant un an et implanté des solutions plus écologiques. » Dorénavant, on ne trouve donc plus que de la vraie vaisselle, de vrais ustensiles et des fontaines d’eau en salle à manger. Des tests sont également en cours pour changer les contenants à emporter, comme celui des populaires poutines de la bannière. « Je pense qu’à l’avenir, ces changements contribueront à notre image de marque, poursuit Marie-Josée Lévesque. Nos futurs emballages recyclables ou compostables nous permettront d’afficher nos valeurs. »
De précieux accompagnements
Parallèlement aux initiatives prises par les établissements et bannières, certains intervenants du milieu de la restauration ont mis sur pied des projets porteurs comme La vague. Cet organisme, créé en 2019 à Montréal, a pour mission d’outiller les commerces alimentaires dans leur transition écologique. Il est notamment à l’origine de La tasse, qui permet aux consommateurs ayant oublié leur tasse personnelle d’acheter, dans plus de 400 commerces du Québec, des tasses réutilisables et consignées à 5 $. Fait étonnant, ce sont des tasses en propylène N.5 et non en acier inoxydable qui sont au centre de ce programme, « car elles ont moins d’empreinte carbone, indique la coordonnatrice Audrey Laliberté. Ce ne sont pas les matières qu’il faut diaboliser, mais leur usage unique. »
Outre La tasse, La vague a lancé sur le même principe le projet La boîte, qui propose des contenants consignables à 7 $ pour des repas zéro déchet. « Nous avons aussi créé à l’intention des commerçants un Guide des bonnes pratiques sanitaires pour les encourager à accepter les contenants de leurs clients, plutôt que de leur en fournir, poursuit Audrey Laliberté, et nous disposons d’un programme, subventionné à Montréal, pour accompagner les commerces en transition. » D’une durée de sept mois, ce dernier comprend un audit, un plan d’action et des visites régulières dans les établissements inscrits afin d’éliminer les PUU, de mieux s’approvisionner et de réduire le gaspillage à la source.
Qu’en est-il du côté des fournisseurs et distributeurs, qui abreuvent en PUU les commerces depuis des dizaines d’années ? Certains ont pris les devants, comme Carrousel, dont le Centre Éco-Innov travaille du début à la fin de la chaîne (des fournisseurs aux centres de tri et biométhaniseurs). Depuis 2019, ce Centre guide ses quelque 20 000 clients vers une liste d’emballages écoconçus (Engagement 500 Plus) qui comprend maintenant plus de 2000 articles, en plus de mener plusieurs initiatives comme Carrou-cycle, un programme de recyclage de la pellicule étirable.
« Repenser, réemployer, recycler et revaloriser. Notre modèle économique va passer du linéaire au circulaire, et Carrousel est déterminé à être un acteur clé de ce changement depuis des années », indique Karine Navilys, directrice du Centre Éco-Innov.
Concrètement, pour compléter son offre, l’équipe de Carrousel a produit un petit guide qui résume les réglementations à venir, ainsi que des fiches techniques de ses produits d’emballage. Elle anime aussi des webinaires mensuels pour répondre aux questions que se posent ses clients.
Karine Navilys recommande aux HRI de mener leur transition en quatre étapes : en premier lieu, il faut faire un état de la situation, c’est-à-dire un relevé des achats effectués par l’entreprise, pour vérifier si les articles d’emballage sont autorisés ou non. Deuxièmement, on doit analyser les options de transition selon le modèle d’affaires et les ressources dont on dispose, quitte à repenser son ancienne formule. Troisièmement, il faut sélectionner les substituts sans attendre, car plus les commerces seront nombreux à le faire, plus les substituts seront disponibles rapidement et accessibles.
Enfin, Karine Navilys conseille aux professionnels de se rappeler pourquoi ils font ce changement. « Comme le dit clairement Antoine de Saint-Exupéry, ‘‘Nous n’héritons pas de la Terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants.” Il est temps de saisir cette occasion et de poser des gestes qui auront du sens pour les générations actuelles et futures. »
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