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LE COMMERCE DE L’ALIMENTATION ET DE LA RESTAURATION ALIMENTAIRE

McDonald’s et l’affaire McLibel… histoire d’un flop commercial, par Matt Haig

 
28 septembre 2018 | Par Christian Latour | Chasseur de connaissances | Mérici Collégial Privé

McDonald’s et l’affaire McLibel [1]

Au royaume des marques, McDonald’s joue dans la cour des grandes ; elle est reconnue, à l’instar de Coca-Cola et Malboro, dans quasiment tous les pays du monde. Comme elle le dit elle-même, la chaîne de fast-food représente « la meilleure organisation de restauration au monde ». On compte aujourd’hui plus de 25 000 restaurants McDonald’s aux quatre coins du globe, visités par près de 40 millions de clients chaque jour. Alors même que le monde occidental essuie sa pire crise économique depuis 1929, McDonald’s fait état en juillet 2010 de ventes et d’un résultat d’exploitation en hausse respectivement de 5 % et 10 %. À hauteur de 66 millions de dollars, c’est la sixième marque la plus valorisée au monde, entre Coca-Cola et Malboro.

La marque est parvenue à sa position prédominante en élaborant, puis en développant agressivement, un concept simple. Comme l’explique Dave Dearlove et Stuart Crainer dans The Ultimate Book of Business Brands, la simplicité est l’ingrédient secret du succès de la marque :

« Henry Ford a maîtrisé la production de masse, McDonald’s le service de masse. Elle y est parvenue en adhérant à des croyances simples. La qualité, la propreté et l’uniformité sont les bases de la marque McDonald’s. […] Un restaurant McDonald’s à Nairobi, au Kenya, est quasi identique à un restaurant McDonald’s de Varsovie ou de Battle Creek, dans le Michigan. […] Dans le fond, la stricte uniformité de la marque est son facteur différenciant essentiel. »

Dans les années 1990 cependant, le long fleuve tranquille de McDonald’s connaît des remous. Bien que toujours championne en titre des fast-foods, l’entreprise fait face à plusieurs déconvenues : l’échec de nouveaux produits, comme le Arch Deluxe et des prises de bec répétés avec les écologistes, anti-capitalistes et autres activistes. L’une des plus célèbres et sans doute des plus longues de ces confrontations est le procès en diffamation (libel, en anglais) intenté contre Helen Steel et Dave Morris.

Bien que le procès ne démarre qu’en 1994, l’histoire part d’un pamphlet édité en 1986 par London Greenpace, une antenne dissidente de Greenpeace International. Ce pamphlet s’attaque à toute une série de problèmes sociaux et environnementaux tels que la cruauté envers les animaux, une démarche marketing fondée sur la manipulation (les campagnes McDonald’s ciblant les enfants), la destruction des forêts tropicales et la valeur sanitaire des produits McDonald’s.

Toutefois, personne ou presque n’aurait jamais rien su du contenu de ce document si McDonald’s n’avait pas porté l’affaire devant la justice. Même Noami Klein, la journaliste anti-marque et auteur de No Logo, affirme que le pamphlet d’Helen Steel et Dave Morris manque de « preuve formelle » et présente des propos « datés » :

« La campagne de London Greepeace contre l’entreprise part clairement d’un végétarisme basé sur la théorie selon laquelle “manger de la viande est un meurtre” : une perspective valide, mais une circonscription politique limitée. Ce qui fait de l’affaire McLibel une campagne à l’instar de celles visant Nike ou Shell, ce n’est pas ce que la chaîne de fast-foods a fait envers les vaches, les forêts ou même ses propres salariés. Le mouvement McLibel a commencé à cause de ce que McDonald’s avait fait à Helen Steel et David Morris. »

McDonald’s ne réagit au pamphlet « McLibel » qu’en 1990. En réalité, l’entreprise a déjà assigné en justice cinq activistes, mais trois d’entre eux ont fait marche arrière et se sont excusés. Pour Steel et Morris, au contraire, la menace d’une action en justice représente une opportunité. Le procès peut fournir, et c’est effectivement le cas, une tribune bien plus importante pour leurs opinions qu’une simple distribution de flyers devant les restaurants McDonald’s.

Il s’avère finalement que le procès est le plus long de l’histoire anglaise, totalisant 313 jours d’audience. L’intérêt des médias grandit au fil du procès et très vite, des millions de gens savent précisément de quoi il en retourne. Chaque déclaration du pamphlet initial est discutée et disséquée non seulement à l’intérieur du tribunal, mais également sur les chaînes d’info partout dans le monde. Noami Klein, dans No Logo, souligne la longueur de ce procès :

« Avec 180 témoins appelés à la barre, l’entreprise endura humiliation après humiliation tandis que la cour entendait des histoires d’intoxications alimentaires, d’heures supplémentaires non payées, de fausses affirmations sur le recyclage et d’espions chargés d’infiltrer les rangs de London Greenpeace. Lors d’un incident particulièrement révélateur, il fut demandé aux dirigeants de McDonald’s de commenter l’affirmation de l’entreprise selon laquelle elle servait “des aliments nourrissants”. David Green, vice-président marketing, déclara : le coca-cola est nourrissant parce que c’est “un apport en eau, et je pense que cela fait partie d’un régime équilibré”. »

Quel que soit le parti qu’ils défendent, la majorité des journalistes s’accordent sur un point : plus le procès s’éternise, plus il porte atteinte à l’image de McDonald’s. Mais les faits réels étudiés dans l’affaire sont trop compliqués pour être compris par la plupart des observateurs — le verdict rendu par le juge fait plus de 1000 pages !

À l’annonce de ce verdict, le 19 juin 1997, McDonald’s peut crier victoire : Steel et Morris sont contraints de régler des dommages et intérêts. Les allégations du pamphlet sur les intoxications alimentaires, les cancers et la pauvreté au Tiers-Monde ont été jugées irrecevables.

Mais McDonald’s n’est pas à même de rattraper les dommages causés à sa réputation par ce long, très long procès. Dans un article du 20 juin 1997, le Guardian fait remarquer que « Pyrrhus fut certes vainqueur, mais sortit de la bataille en haillons ». En effet, si Morris et Steel sont condamnés à verser 60 000 livres sterling de dommages et intérêts, ce n’est rien comparé au poids de l’affaire sur la réputation de l’entreprise — sans oublier les frais de justice.

Le pamphlet original — What’s wrong with McDonald’s — est devenu un objet collector, dont trois millions de copies circulent au Rauyaume-Uni. Le site web McSpotlight a, quant à lui, publié la totalité des quelque 20 000 pages de transcription du procès. La publication du livre de John Vidal, McLibel : Burger Culture on Trial, largement acclamé par la critique, ajoute encore à la publicité négative. De nombreuses émissions TV retracent le procès – Channel 4 en fait même une pièce de théâtre de trois heures !

McDonald’s a donc peut-être gagné au tribunal, mais elle a perdu la bataille des médias. Comme le souligne Naomi Klein :

« Pour Helen Steel, David Morris et leurs soutiens, il n’a jamais été question uniquement de gagner le procès McLibel, mais d’utiliser ce procès pour gagner la faveur de l’opinion publique. […] Devant le McDonald’s de leur quartier, dans le nord de Londres un samedi après-midi, Steel et Morris peuvent à peine faire face à la demande pour leur flyer What’s wrong with McDonald’s, qui fut à l’origine de toute l’affaire. »

Pour le Guardian, qui couvrit le procès dès son ouverture, les conséquences s’étendent bien au-delà de la salle d’audience :

« Considérons les coûts de cette victoire à la Pyrrhus. Le juge a d’abord retenu plusieurs charges importantes amenées par les meneurs de la campagne contre l’entreprise. […] Mais plus grave encore est le soutien massif apporté au McLibel 2 par le monde des médias lors de cette bataille épique entre “les petites frites et le burger géants” […] En public, McDonald’s est resté muet sur l’assignement en justice de deux militants écologiques au chômage sans atouts, mais quelque part dans cet empire, quelqu’un doit quand même se poser des questions gênantes. De tous les fiascos de relations publiques, ce procès remporte le prix de la réponse irrationnelle et disproportionnée à la critique publique. »

En définitive, le procès McLibel fait office d’aide-mémoire aux autres entreprises sur l’importance de la « perception de la marque ». Au final, les faits importaient peu. Ce qui a compté était l’influence, sur l’opinion publique, de la perception de McDonald’s par les médias. Le procès a laissé une tache, encore présente à ce jour, sur la réputation mondiale de l’entreprise, toujours entretenue par le site www.mcspotlight.org — dont l’objectif est de ne pas faire perdre de vue au public ce procès ni les autres actions judiciaires intentées à l’encontre de McDonald’s.

La boite à leçons de Matt Haig

Ne sous-estimez pas le pouvoir d’Internet. Les partisans de la campagne anti-McDo ont démontré leur capacité à s’organiser via Internet. Les marques doivent apprendre à surveiller la critique en ligne et à y répondre de manière positive. « Les choses vont dans les deux sens désormais » explicite le gourou de l’Internet Esther Dyson. « Les consommateurs répondent aux entreprises, les salariés à leurs patrons et les détaillants aux fournisseurs ». Internet permet aux clients mécontents et aux activistes de communiquer d’une manière qui était totalement impossible à l’ère du média unilatéral. Pour citer Doc Seales, cofondateur de l’une des principales agences de publicité de la Silicon Valley, « ce que vous disiez autrefois tout bas à un ami, vous êtes aujourd’hui capable de le faire entendre au monde entier. Le bouche-à-oreille circule désormais aussi vite que les gens sont capables de taper sur leur clavier ». En d’autres termes, si le public est déterminé à se faire entendre, les entreprises ne peuvent quasiment rien faire contre.

Gardez en mémoire que le muscle financier n’est plus aussi puissant qu’auparavant. Conséquence du premier point, le pouvoir d’Internet implique que les ressources financières ne suffisent plus à stopper les critiques. « L’une des forces majeures des groupes de pression, nous dit Peter Verhille, de l’agence de relations publiques Entente International, c’est leur capacité à exploiter la révolution des télécommunications. L’emploi habile d’outils mondiaux tel qu’Internet réduit l’avantage budgétaire auquel les entreprises pouvaient auparavant prétendre. »

Concentrez-vous sur la perception du public. En essayant de créer un exemple à l’encontre des activistes de Greenpeace, McDonald’s a en réalité aidé à mettre en avant leur cause !


MÉDIAGRAPHIE

Manuel de gestion-réflexion / Christian Latour


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La première version de ce texte a été mise en ligne le 28 septembre 2018.


Notes

[1Ce cas d’entreprise est tiré intégralement de : Haig Matt. (2011, p. 102-106). 100 grands Flops de grandes marques – histoires vraies et les leçons à en tirer. Paris : Dunod

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