Barchef, barman, barmaid (le féminin), bartender, chef barman, mixologiste, mixologue... autant d’appellations pour ces spécialistes aux contextes professionnels très variés et qui vivent actuellement une... (r)évolution ! Le métier bouge et se professionnalise. Portrait.
LE RETOUR DE L’ÂGE D’OR ?
Au Québec, l’engouement pour les cocktails est relativement récent. Par contre, nos voisins états-uniens et européens ont une bonne longueur d’avance… d’au moins deux siècles ! En effet, bien que la genèse du terme « cocktail » soit difficile à retracer – tout comme son origine et sa signification, qui fourmillent d’anecdotes –, on situe les premiers mélanges alcoolisés à la fin du XVIIIe siècle aux États-Unis et en Angleterre. Il s’agit au départ de mélanges costauds, réservés aux hommes, et dans lesquels dominent les saveurs amères. Les pionniers de l’époque – les premiers mixologues – sont Jerry Thomas, inventeur entre autres du Dry Martini et auteur du premier ouvrage de recettes publié en 1862, The Bon Vivant’s Companion or How to Mix Drinks (plus connu sous le nom The Bartender’s Guide), ainsi que Harry Johnson.
Mais c’est véritablement avec les années folles en Europe et la prohibition américaine (1919-1933) que le cocktail va connaître son apogée : clientèle féminine, apparition de nombreux mélanges pour cacher les alcools de contrebande et développement des speakeasies. Ce nom était donné aux bars clandestins parce qu’il fallait les prononcer à voix basse pour ne pas attirer l’attention des agents fédéraux ; plus de 30 000 seraient apparus après la fermeture des 15 000 débits de boissons légaux ! La prohibition va également encourager l’exil de plusieurs barmans en Europe (principalement en Angleterre) et dans les Caraïbes, Cuba devenant le bar de l’Amérique.
Après avoir connu un creux dans les années 1970-1980 (seul fait notable : l’arrivée de la vodka) et avoir pâti par la suite d’une image sérieuse et classique – une clientèle d’affaires internationale fréquentant les grands hôtels –, le cocktail revient en force. Le terme « mixologie », qui apparaît au début des années 2000, contribue alors à redorer le blason d’une profession peu considérée. Tandis que les médias s’emparent de ce nouveau qualificatif, les professionnels lui préfèrent les classiques, jugés moins prétentieux et scientifiques, plus adaptés à la variété de leurs tâches et de leurs contextes professionnels. Être barman n’est plus une « jobine », mais un vrai métier. Voilà la nouveauté. Des villes comme Vancouver et Toronto se sont vraiment branchées sur les cocktails. Le Québec s’y met peu à peu.
LES GRANDS COURANTS ACTUELS
La vague cocktail s’accompagne de grandes tendances, principalement influencées par les modes internationales alimentaires (santé, bio), économiques (globalisation, environnement) et socioculturelles (influences télévisuelles, mode vestimentaire) :
Les grands classiques | Mojitos, Cosmopolitan, Margarita, vodka-citron… autant de mélanges évocateurs redevenus aujourd’hui populaires. Pourquoi plaisent-ils ? Ce sont des recettes simples à réaliser, faites avec des ingrédients de qualité et présentées élégamment, c’est-à-dire sans flaflas décoratifs.
Le cocktail rétro ou vintage | L’interprétation personnelle d’une recette, la nature et la disponibilité de certains produits nous éloignent des boissons traditionnelles. Aussi certains barmans s’attachent-ils à retrouver les goûts d’autrefois, à refaire les consommations d’une époque précise, comme celles de la prohibition américaine. Le Blue Blazer et le Tom and Jerry, deux créations du pionnier Jerry Thomas, ainsi que le Side-Car et le White Lady en sont de bons exemples.
Le cocktail santé ou skinny girl | La chasse aux sucres n’échappe pas au monde du cocktail. Exit les boissons « coupe-faim », hyper caloriques ! L’aspect santé et fraîcheur avec peu ou sans alcool apparaît sur les cartes : vodka légèrement aromatisée, accompagnée de fruits et d’herbes fraîches, par exemple. Ces cocktails diététiques visent surtout les femmes, des consommatrices soucieuses de leur silhouette.
Le cocktail moléculaire | Il puise directement dans les expériences et techniques culinaires lancées par la gastronomie moléculaire. Mais ce type de cocktail est plus coûteux et plus complexe à mettre en oeuvre : il exige certaines installations, une bonne logistique et surtout, du temps. À oublier si votre établissement connaît de longues files d’attente les fins de semaine, car la clientèle aime être servie rapidement ! Le contexte de récession et la pause professionnelle du chef catalan Ferran Adrià auront-ils raison de ce courant ?
La tendance flair | 1988 : Tom Cruise jongle avec ses bouteilles dans le film Cocktail. La mode du flair, le service stylisé du bar, est lancée. Au-delà de l’image du professionnel jongleur et du spectacle faisant l’objet de compétitions mondiales (appelé l’execution flair), il y a le working flair, un ensemble de techniques permettant d’optimiser et de styliser le travail : des gestes comme tenir un briquet dans une main et une bouteille dans l’autre. Tout bon barman pratique donc ce type de flair.
Les concours | Plusieurs barmans du monde entier ont pris l’habitude de se mesurer lors de compétitions internationales souvent organisées par les grandes maisons d’alcools qui les présélectionnent (Grey Goose, Belvedere, Cognac, Grand Marnier…). Ces rencontres permettent d’échanger, de partager et de communiquer sur l’évolution de la profession. L’hiver dernier, trois compétitions appelées Made With Love Mixologie ont eu lieu : Montréal et Toronto, puis Québec, le 10 mai dernier.
Lawrence Picard, mixologue au Koko et consultant en design et ergonomie de bar.
Photo : Nectar Design de bar et Mixologie
POUR UN SERVICE DE BAR COMPÉTENT
D’abord et avant tout, maîtriser les bases | Tous les professionnels du bar le confirment : il est important de connaître les produits de base (origines, composition et production des alcools, etc.), le matériel, les techniques et les recettes des grands classiques. Tout comme le volet « tenue de bar » (savoir faire une mise en place, gérer ses stocks, présenter ses produits, attitudes, etc.), essentiel pour offrir un service de qualité à la clientèle. Désormais, des formations sont offertes aux futurs professionnels ; nous y reviendrons plus loin.
Puis, place à la création : la mixologie ou l’art de créer de nouveaux cocktails | Une fois les connaissances, les techniques et les aptitudes de base assimilées, le barman peut alors se lancer, selon le concept de l’établissement, sa personnalité, ses aspirations et ses inspirations du moment, dans la création de cocktails et ainsi, s’élever au rang de mixologue. La clientèle aime les renouvellements de carte, les thématiques saisonnières et être surprise. Visez cependant la simplicité et l’élégance, et gardez en tête qu’un bon barman sert un verre en quelques secondes… soit une centaine de drinks l’heure les soirs achalandés !
Équipement de base et nouveautés | Pour démarrer ? Shaker, pilon, mixeur, mélangeur, grande cuillère à mélange, petit tamis, doseur, presse-agrumes et zesteur. Et pour les barmans qui maîtrisent leur art et qui peuvent logistiquement aller plus loin : siphon, bouteille d’azote, extracteur à jus, glace sèche... Après, tout dépendra de la créativité et des compétences personnelles : le barman mixologue va traiter ses alcools et ingrédients comme un chef cuisinier traite ses aliments. Et comme il emprunte aux techniques culinaires, son champ exploratoire est illimité !
À propos de ce qu’il est possible de faire comme préparation (prémix) | Au Québec, les professionnels du bar ont l’ obligation de présenter des alcools purs derrière le comptoir. Donc, pas d’infusions possibles, comme un rhum avec une gousse de vanille dedans ou tout autre prémélange comprenant de l’alcool. Les barmans doivent préparer leurs sirops et leurs bitters (aussi appelés amers) à part et les ajouter aux alcools à la toute fin, au moment de servir le client. Cette réglementation leur complique pas mal la tâche et surtout, les empêche de se démarquer avec des recettes « signature ».
« Les boissons alcooliques doivent être conservées dans leurs contenants d’origine jusqu’au moment où elles sont servies au client. De plus, une fois entamés, ces contenants ne peuvent être remplis entièrement ou partiellement. Par ailleurs, il n’est pas permis de préparer un mélange de boissons alcooliques à l’avance, la sangria par exemple. Toutefois, le permis de restaurant pour vendre autorise la préparation à l’avance de carafons de vin, entre 11 h et 14 h et entre 17 h et 20 h. En dehors de ces heures, tout le vin contenu dans les carafons préparés à l’avance doit obligatoirement être détruit. »
Source : Droits et obligations de titulaires de permis d’alcool, Régie des alcools, des courses et des jeux du Québec.
INSPIRATIONS ET SAVEURS À LA MODE
Du côté des alcools | La vodka se fait peu à peu voler la vedette par la tequila qui est très populaire aux États-Unis (notamment la tequila premium) et par le gin. Les rhums super premium, les bourbons et les scotchs de qualité se libèrent progressivement de l’image du buveur plus âgé en costume-cravate.
Du côté des ingrédients frais | Les herbes aromatiques comme la menthe, le basilic, la coriandre ont toujours la cote. Parallèlement, des moins classiques, comme l’aneth, la sauge et le cerfeuil, font leur entrée. Les fruits frais comme la rhubarbe, la grenade, les baies ainsi que les jus naturels sans ajout de sucre sont de plus en plus utilisés, tout comme le concombre pour sa texture croquante et sa fraîcheur. Deux légumes à suivre de très près : la tomate et les courges.
Les saveurs relevées, sucrées, florales et amères | Tabasco, jalapeño, chili… beaucoup de recettes de cocktails intègrent aujourd’hui le piquant. Le caramel et les sirops (commerciaux ou faits maison) sont toujours très appréciés, mais ils doivent être dosés subtilement. Les saveurs florales comme l’hibiscus, la violette, la lavande ou la rose permettent elles aussi de surprendre le palais. Sans oublier toute la gamme de bitters (appelés aussi amers) qui ne cesse de s’élargir ; il s’agit de liqueurs apéritives d’origine médicinale fabriquées à partir de l’infusion de plantes amères comme la gentiane ou le quinquina.
BARMAN, UN MÉTIER !
- Bar & Coach d’Ateliers et Saveurs : une formation de 30 heures par une barmaid expérimentée, Fanny Gauthier (www.ateliersetsaveurs.com).
- Fabien Maillard de Mixoart, une référence pour le flair bartending (avec un local pour pratiquer), mais aussi des cours de mixologie et de tenue de bar (www.mixoart.com).
- Un service de consultation de bar orienté sur le design/ergonomie du poste et sur la productivité du service, par Lawrence Picard (www.nectarmixologie.com).
- BartenderOne, la référence canadienne à Toronto (www.bartenderone.com).
Fanny Gauthier enseigne l’art du bar chez Ateliers & Saveurs.
QUELQUES SPÉCIALISTES D’ICI
LIVRES & REVUES
- Une bible de 800 pages ! Le livre du bar et des cocktails d’André Dominé, Éd. Ullmann.
- Un incontournable, Le Larousse des cocktails.
- Class Magazine (www.classbar.com) et Cocktail Zone (www.cocktailzone.fr).
- Bien de chez nous, le Guide des cocktails de La Distillerie, de Philippe Haman.
RENDEZ-VOUS À NE PAS MANQUER
Suivez les activités et concours de mixologie présentés
au Québec :
Sur la photo en tête d’article on peut apercevoir Fabien Maillard, un pionnier en flair bartending au Québec
Photo : Mixoart