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« Les insectes sont les nouveaux sushis »

 
28 février 2018 | Par Alexandra Duchaine

Dans quelques années, selon le directeur du Département de sciences de l’alimentation de l’Université danoise de Copenhague, Michael Bom Frøst, les insectes seront cuisinés partout en Occident. « Les consommateurs sont prêts à modifier leurs habitudes alimentaires. Il faut seulement leur faire voir que des papillons de nuit, c’est délicieux », affirmait lundi le chercheur invité, dans le cadre de la 19e édition du festival Montréal en Lumière, à présenter ses démarches sur la scène de l’Astral.

Il y a 25 ans, au Danemark, se nourrir de poisson cru était impensable. Jusqu’à ce qu’un premier restaurant de sushis ouvre ses portes à Copenhague en 1993 et séduise les fins palais de la capitale. Le pays scandinave en compte aujourd’hui plus de 700. « Les insectes sont les nouveaux sushis », prédit fièrement Michael Bom Frøst. Le pari est lancé.

Nordic Food Lab

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Docteur en sciences sensorielles, Michael Bom Frøst dirige le Nordic Food Lab, le laboratoire culinaire de l’Université de Copenhague. Il y teste, avec quelques collègues chercheurs, les différentes bestioles et les modes de préparation à privilégier pour chacune d’entre elles. Que goûte la fourmi rousse des bois que l’on retrouve dans les forêts européennes ? Comment l’apprêter afin que sa saveur soit rehaussée et sa texture mise en valeur ? Comment en extraire les toxines pour la rendre comestible ? En la congelant quelques heures avant de la mettre au four, répondrait l’expert.

Dans le laboratoire, les chercheurs créent un savoir-faire, afin que la cuisine occidentale cultive de nouvelles pratiques. Ils inventent un langage en tentant de décrire le goût des espèces qu’ils accommodent. Ils invitent les Copenhagois à venir se délecter de toutes sortes de bêtes, des sauterelles par exemple, et les chercheurs font l’inventaire de leurs remarques, notent leurs perceptions sur une échelle de saveurs et consignent les similitudes.

L’équipe du Nordic Food Lab travaille à tâtons, par essai-erreur. Imaginative, elle tente des cuissons et des recettes qu’elle suppose exquises, parfois inspirées de ses observations menées pendant deux ans en Asie, en Afrique ou en Amérique centrale, où l’entomophagie n’est pas rare. Résultat : seuls 20 % de ses expériences aboutissent à de véritables succès. Par hasard, elle crée parfois de petites merveilles, comme une mayonnaise à la larve d’abeille ou un gin à base de fourmis, produit de luxe qui se détaille à pas moins de 210 livres sterling.

Désir de séduction

La mission de Michael Bom Frøst et de ses coéquipiers est d’élaborer des mets qui sauront convaincre les consommateurs qu’un insecte, c’est succulent. Pour eux, une larve d’abeille n’est pas qu’une riche source de protéines, de surcroît peu coûteuse ; c’est un ingrédient délectable qui rappelle l’œuf, le miel et le melon.

Encore faut-il que le public accepte d’en faire l’expérience. « Pour que les gens se risquent à goûter un plat, il faut qu’ils reconnaissent dans leur assiette des ingrédients familiers et rassurants, qui leur enlèveront la peur ou l’aversion qu’ils éprouvent à l’idée d’avoir une répugnante bestiole sous la dent », explique le chercheur.

Il faut donc mêler les larves d’abeilles déshydratées à de l’avoine, des noix, des graines et du miel pour en faire un granola réconfortant, ou encore les transformer en une crème glacée appétissante. « Pour séduire, tout est toujours une question d’équilibre entre l’inusité et le connu », résume le conférencier.

Facteur de changement

Si le chercheur ressent un tel désir de transmettre l’amour des insectes, c’est parce qu’il est indispensable à ses yeux de diversifier le régime alimentaire occidental. « Si nous le changeons, nous avons une chance. Une chance de sauver notre planète », défend-il.

Il abonde ainsi dans le sens de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), qui mettait en lumière, en 2013, le fait que la production de denrées devra plus que doubler d’ici 2050 pour répondre aux besoins des neuf milliards d’humains qui peupleront alors le globe. La solution émise par l’organisme était de consommer des insectes, dont l’élevage produit moins de gaz à effet de serre et d’ammoniac que l’élevage conventionnel et ne nécessite pas le défrichement de nouvelles terres. Ces derniers peuvent, de plus, être nourris de déjections organiques.

Que les Occidentaux cessent de jouer les difficiles et mangent de manière plus écoresponsable, voilà ce que souhaite Michael Bom Frøst. Alors que la science répertorie un million d’espèces d’insectes, l’homme n’en consomme que 1 900. « Il faut renouer avec la nature, avec les richesses qu’elle nous apporte », plaide-t-il. Au Nordic Food Lab, on cuisine ainsi avec des fèces, du sang, du bois, des feuilles.

Dans l’espoir d’ouvrir les esprits et d’initier un mouvement, le Nordic Food Lab partage toutes ses trouvailles. Les plats créés sont proposés dans des festivals ou sur la carte de certains restaurants de Copenhague. Un lundi par mois, le public est même convié à prendre l’apéro à l’université afin de les goûter. Les recettes sont aussi disponibles sur le site Web du laboratoire.

(Légende : A lovage flute filled with bee larva, brushed with wild carrot flower honey, coriander and jasmine. Crédit photo : Nordic Food Lab)

Pour suivre le Nordic Food Lab :

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