Les espaces sans enfants, entre « tranquillité des clients » et « discrimination »
Des hôtels aux étages réservés pour les adultes et des restaurants aux sections sans enfants se multiplient. Certains établissements sont même dédiés uniquement aux adultes. La demande pour ce genre d’endroits est en effet en pleine augmentation : la compagnie aérienne Transat a ainsi enregistré entre 2022 et 2023 une hausse de plus de 60% dans la demande pour ce type d’hôtels, peut-on lire dans La Presse.
Les entreprises spécialisées dans la réservation de voyages suivent le mouvement : sur TripAdvisor, parmi les filtres de recherche, on trouve l’option « réservé aux adultes ». Vacances Air Canada a pour sa part une section Collection Adultes sur son site web, dans la catégorie Forfaits au soleil. Une grande partie de ces hôtels réservés aux adultes se trouvent en effet dans les îles ou pays exotiques.
Prolifération d’antiquités et meubles spéciaux
Mais l’offre ne concerne pas seulement les pays exotiques : l’Europe et les États-Unis ne sont pas en reste. Si les établissements ne l’affichent pas forcément en énormes caractères sur leur page d’accueil, ils indiquent bien souvent l’information « réservé aux adultes » dans leur règlement présent en bas de page, en insistant sur les mots « calme », « repos » et « tranquillité ».
Le restaurant The Whippet Inn (Royaume-Uni), par exemple, est « juste pour les adultes », et ce depuis son ouverture en 2014. Le propriétaire de l’établissement indique sur son site web : « Je suis sûr que nous allons contrarier certaines personnes avec notre choix, mais lorsque viendra le rare jour où vous pourrez vous accorder un peu de temps pour vous, nous espérons que nous pourrons être pardonnés ». Ce choix parfois critiqué n’empêche pas le restaurant d’être bien noté sur Google.
Quant à l’auberge McMillan, située en Géorgie aux États-Unis, elle indique dans son règlement que les enfants de moins de 15 ans « ne peuvent pas être hébergés en raison de la prolifération d’antiquités de valeur et de meubles spéciaux ».
« Les enfants seraient malheureux ici »
Certains établissements préférant ne pas accueillir d’enfants voient aussi le jour au Québec. C’est notamment le cas de l’hôtel Maison Rose, situé à Hudson en Montérégie, qui se dit réservé aux adultes pour un motif similaire à l’auberge américaine. Cette information n’est pas présente sur la page d’accueil : elle n’apparaît qu’au moment de faire la réservation, dans la description des chambres. Cet hôtel-boutique de sept suites a toujours refusé son accès aux enfants.
« Les enfants seraient malheureux ici, explique Servanne Barrau, propriétaire et designer de Maison Rose. C’est une vraie maison de poupée, j’ai mis deux ans à l’aménager avec des meubles d’époque importés en grande partie d’Europe. » Broderie des lits venue d’Italie, imitations de tableaux de maîtres accrochées aux murs, bibliothèque d’origine : l’hôtel se veut le résultat de « l’influence historique des cultures française et anglaise afin d’offrir un voyage dans le temps ».
C’est aussi un hôtel intimiste où les chambres ont été conçues pour accueillir des amoureux, alors recevoir des enfants, « ça ne collait pas », indique Servanne Barrau. La clientèle, entre 35 et 65 ans en moyenne, vient pour le calme. Selon la propriétaire, le fait que Maison Rose soit sans enfants attire plus de clients : « Ils viennent principalement pour ça ». L’hôtel offrant des déjeuners, certains passants parfois accompagnés d’enfants s’arrêtent tout de même pour manger. Aucune pancarte n’indique en effet que les moins de 18 ans ne sont pas les bienvenus.
Une pratique « excessivement marginale »
S’il existe quelques hôtels réservés aux adultes au Québec, la tendance du sans enfant ne semble pas être très présente. La responsable des communications de l’Association Hôtellerie du Québec précise que « c’est un sujet qui n’a pas l’air d’être en demande aujourd’hui ». « Entre des pays au soleil et ici, le contexte de voyage n’est pas le même, notre région se prête peut-être plus aux séjours en famille », souligne-t-elle.
Le constat est le même du côté de la restauration : « Cette pratique est excessivement marginale », affirme Martin Vézina, vice-président aux affaires publiques et gouvernementales de l’Association Restauration Québec.
Cette pratique, peu commune ici donc, est tout de même soumise à une certaine législation. « Un hôtel ou restaurant réservé aux adultes au Québec, c’est illégal. C’est de la discrimination », explique Marie Annik Grégoire, professeure à la faculté de droit de l’Université de Montréal et spécialisée en droits des personnes.
L’article 10 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne interdit en effet toute forme de discrimination, qu’elle soit fondée sur le genre, la religion, la langue ou encore l’âge. Il est également mentionné dans l’article 15 que « nul ne peut, par discrimination, empêcher autrui d’avoir accès [...] aux lieux publics, tels les établissements commerciaux, hôtels, restaurants, [...] et d’y obtenir les biens et les services qui y sont disponibles ».
Des exceptions s’appliquent évidemment, comme dans le cas d’un établissement avec permis de bar ou, depuis 2021, dans celui d’un établissement avec permis de restauration délivré avec des options. Parmi celles-ci, on retrouve l’option « sans mineur », proposée si la vente ou le service de boissons alcooliques sont autorisés sur place.
« Je paie cher, je veux me retrouver tranquille »
Qu’en est-il donc des restaurants ou des hôtels où une section est réservée aux adultes ? Selon Marie Annik Grégoire, tout dépend de la notion de préjudice. « Parfois, on installe les clients avec enfants au fond du restaurant et on garde les plus belles tables pour les adultes : là, il y a préjudice. Mais si un hôtel consacre l’un de ses étages aux plus de 18 ans, mais que l’accès n’est pas interdit aux enfants et que tous les étages sont semblables, là il est plus difficile de parler de discrimination car il n’y a pas de préjudice. »
Certains restaurants ou hôtels souhaitent attirer une clientèle ciblée, mettant en avant leur côté calme et détente par exemple, mais la jurisprudence québécoise a établi que la préférence des clients n’est pas une raison admise de discrimination. « Que les clients disent "Je paie cher, je veux me retrouver tranquille et je ne veux pas entendre crier", c’est bien dommage, mais ce n’est pas un motif valide pour interdire l’accès du lieu aux enfants », souligne la juriste.
La clientèle n’est pas forcément avisée de cette loi, mais si une famille avec enfants se voit refuser l’entrée d’un établissement, elle peut porter plainte. L’établissement pourrait alors devoir payer des amendes. Les sommes de ces dommages punitifs n’étant pas forcément très élevées, certaines entreprises ne prennent pas en compte la législation, préférant garder une stratégie qui leur permet d’atteindre une clientèle cible et de rester tout de même rentables.