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Le Clarendon, 150 ans et une pandémie plus tard

 
2 juillet 2021 | Par Marie Pâris
Crédit photo: Le Clarendon

Il dresse sa façade jaune pâle en plein cœur du Vieux-Québec, en face de l’hôtel de ville et à un jet de pierres du Château Frontenac ; un emplacement de choix qui serait impossible à trouver pour un nouvel hôtel aujourd’hui. Le Clarendon fêtait l’année dernière ses 150 ans - c’est le plus vieil hôtel au Canada -, un anniversaire qui a été quelque peu éclipsé par la pandémie mondiale. Mais la COVID-19 n’a pas été la première déconvenue pour les copropriétaires. Le vieil hôtel en a vu d’autres...

Le Clarendon est la propriété de familles québécoises depuis sa fondation en 1870. « Ça a toujours été un hôtel indépendant, et ça on y tient. Notre équipe l’apprécie aussi beaucoup : quand on décide de changer quelque chose, ça peut se faire dans la journée, contrairement à des hôtels de chaîne, note Marc-Olivier Côté, actuel copropriétaire. C’est bien d’avoir des chaînes, mais c’est mieux d’avoir un actif détenu par des gens locaux. Surtout dans des situations comme en ce moment, car on est connectés avec la réalité quotidienne locale et on est capables de réagir plus rapidement qu’un bureau d’actionnaires à l’étranger. On a aussi plus d’attachement pour le lieu ; c’est une question sentimentale… »

Marc-Olivier a acheté l’établissement en 2012 avec son père, Michel, préservant ainsi la tradition familiale du Clarendon. Michel Côté n’en est pas à son premier hôtel : il a par le passé géré le Manoir Richelieu à Pointe-à-Pic, puis l’hôtel Le Classique à Sainte-Foy. Son fils a ainsi grandi dans le milieu, faisant la plonge au resto du Richelieu à 15 ans. S’il est géographe et urbaniste de formation, il a multiplié les emplois, de fonctionnaire à croupier dans un casino et d’Europe en Amérique. « J’ai surtout travaillé dans le tourisme, j’avais la fibre du voyageur, raconte le trentenaire. Maintenant, c’est moi qui accueille les voyageurs. »

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Désormais, père et fils se côtoient tous les jours ou presque depuis une dizaine d’années. Travailler en famille, un atout ? Sans aucun doute, assure Marc-Olivier, qui vante la facilité que cela amène dans les opérations quotidiennes et la transparence dans les discussions. « On se dit les choses telles qu’elles sont. C’est la première fois qu’on travaille ensemble, et j’ai vraiment appris à connaître mon père à travers cette aventure. »

Garder le cachet en donnant du confort

En 2012, les copropriétaires mettent sur pied un plan de rénovation complet de l’hôtel. Mais, après sept ans de travaux, un incendie détruit tout en un après-midi - seules 25 chambres sur 144 sont intactes. S’ensuivent donc de nouvelles rénovations. Les copropriétaires en profitent pour installer des planchers chauffants dans les salles de bain, des prises de type C, etc. « Maintenant ça y est, c’est un hôtel moderne, rit Marc-Olivier. Notre designer a travaillé sur un mouvement transitionnel pour amener la modernité à l’intérieur de notre établissement historique, pour garder le cachet tout en donnant du confort. »

Le lobby, le piano des soirées jazz, la façade et ses éléments Art Nouveau ou encore la réception avec son grillage d’époque ont été préservés. Dans un établissement de cet âge, les traces du passé sont nombreuses - comme la petite taille de certaines chambres, qui peut surprendre des visiteurs. Deux des trois bâtiments ont été construits avant l’instauration des normes. « Souvent, les gens qu’on fait venir pour les travaux nous disent qu’ils n’ont jamais vu de telles installations ! », raconte le copropriétaire. L’hôtel compte aujourd’hui huit catégories de chambres de différentes tailles, avec des prix allant de 189 à 300 $.

Pour Marc-Olivier, sa mission est de mettre à jour l’établissement tout en gardant son identité et son cachet, dans la lignée de ses prédécesseurs. « Je vois le Clarendon comme plus grand que la somme de ses propriétaires. Et j’ai la responsabilité aujourd’hui de préserver l’édifice et la magie du lieu, mais pas forcément en gardant les choses figées dans l’état - c’est un lieu de vie, où on laisse notre marque, confie Marc-Olivier. La société nous oblige aussi à évoluer ; l’hôtel n’avait pas l’électricité au début ! Le Clarendon a vraiment vu changer la société, de 1870 jusqu’au wi-fi. »

La famille Côté est également approchée par l’équipe des Mordus, qui souhaite ouvrir un restaurant au rez-de-chaussée de l’hôtel. Ils contribuent ainsi à l’effort financier de rénovations, et l’établissement accueille désormais les visiteurs avec une offre culinaire construite autour des poissons et fruits de mer.

Profiter du patrimoine sans les touristes

Après un an de travaux, l’hôtel rouvre ses portes le 15 janvier 2020… et les referme le 23 mars suivant. Si Michel, toujours impliqué comme directeur financier, essayait de prendre sa retraite graduellement, la pandémie l’a ramené dans la gestion à temps plein. Certains établissements lancent des offres de staycation ou pour télétravailleurs, mais le Clarendon décide de fermer car le Vieux-Québec est avant tout un quartier touristique. Plus de 50 % de la clientèle habituelle de l’hôtel vient en effet de l’extérieur de la province.

« Tenter des forfaits spéciaux aurait été désastreux sur le plan financier, explique Marc-Olivier. Je pense qu’on a pris la bonne décision : là on vient de rouvrir et on peine à dépasser les 20 % de taux d’occupation... Ça nous prend vraiment le tourisme international, malheureusement les frontières sont fermées jusqu’au 21 juillet… Le printemps était de toute façon une période tranquille pour l’hôtellerie, mais ce qui est plus frustrant, c’est maintenant, une période habituellement occupée. Cet été, si on arrive à un taux de 50 % on va être contents. 2021 s’annonce comme une troisième mauvaise année. »

Depuis la réouverture de l’hôtel début juin, les Côté veulent donc attirer les locaux. Ils ont notamment prévu une offensive télévisuelle pour rappeler aux gens que Québec renferme un patrimoine mondial de l’UNESCO. « On a un produit très populaire pour la clientèle étrangère, qui vient chercher l’histoire. Le défaut, quand on habite à un endroit, c’est qu’on ne prend pas le temps d’aller visiter son patrimoine local, regrette l’hôtelier. On veut donc dire aux Québécois : venez voir ce patrimoine pendant qu’il n’y a personne ! C’est une opportunité de revenir aux sources et de se réapproprier son histoire. D’habitude, le trottoir devant chez nous est bondé… »

« À court terme, on n’est pas sortis de la tempête »

Si la COVID-19 a aussi volé le 150 e anniversaire, le Clarendon a décidé de souligner l’événement cette année en accueillant ses premiers invités avec une bouteille de vin à la chambre. « L’équipe a hâte de voir des gens… Avec les travaux et la pandémie, ça fait deux ans qu’on attend ça ! », s’exclame Marc-Olivier. Trouver la main-d’œuvre n’a pas été un problème tant que ça, d’autant que l’équipe compte quelques vétérans « qui ont le Clarendon tatoué sur le cœur » : ils sont plusieurs à avoir plus de 30 ans d’expérience à l’hôtel, dont deux qui approchent les quarante ans d’ancienneté.

« Mais ces gens vieillissent, et un jour il va falloir les remplacer. Quand j’étais adolescent je rêvais d’être voiturier, et aujourd’hui on a du mal à en trouver, confie le copropriétaire. La solution, on la cherche tous. Va-t-il falloir recruter des gens en retraite ou pré-retraite qui ont envie de revenir voir du monde quelques jours par semaine ? Les hôteliers vont devoir être très flexibles. D’autant que le gouvernement va chercher des employés directement au cégep ; ça ne nous laisse pas beaucoup de marge de manœuvre pour attirer des réceptionnistes, des serveurs, etc. D’un côté, on souhaite que l’occupation de l’hôtel soit de 100 %, de l’autre, je ne sais pas si on serait capables de livrer à pleine capacité avec la main-d’œuvre actuelle... »

Suite à la pandémie, les copropriétaires ont accumulé plus de 2,5 millions d’endettement juste pour maintenir les frais fixes pour les dix prochaines années. Les projets d’agrandissement de l’hôtel et / ou d’acquisition que le duo père-fils avaient en tête au début ont donc été mis de côté. Mais Marc-Olivier reste optimiste pour l’avenir ; après tout, le Clarendon a vu et survécu à d’autres périodes étranges, dont deux guerres mondiales. « À court terme, on n’est pas encore sortis de la tempête, mais on est confiants que l’hôtel va perdurer. Il sera encore là dans 50 ans pour accueillir les touristes ! »

Pour suivre le Clarendon :

Mots-clés: 03 Capitale Nationale (Québec)
Hôtellerie

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