Mais, d’où vient donc cette infecte odeur de carton mouillé, de renfermé, de champignons et de moisissures ?
Le coupable se nomme le 2, 4, 6 trichloroanisole (TCA). Il s’agit en fait d’une molécule qui s’attaque au liège et qui continue son chemin assez rapidement vers le vin contenu dans la bouteille. Une fois que la bouteille est contaminée, il est trop tard, vous aurez beau verser votre vin dans une carafe, il n’y a plus rien à faire ! La mauvaise odeur prendra le dessus sur l’odeur caractéristique du vin.
On entend souvent dire : « Horrible ce vin, c’est la dernière fois que je l’achète ! ». Tristement, on vient peut-être ainsi de passer à côté d’une superbe découverte, puisque le véritable goût du vin était masqué par l’odeur de bouchon. Les experts du vin s’entendent pour dire que de 7 % à 8 % des vins disponibles peuvent être infestés par cette mauvaise odeur et, curieusement, même les produits munis du fameux bouchon dévissable, aussi appelé « twist cap », peuvent être touchés. En effet, si la barrique ou la cuverie a été contaminée au TCA, les bouchons dévissables peuvent être atteints également. Toutefois, cette contamination est extrêmement rare, la presque totalité des bouteilles touchées étant celles qui sont bouchées avec un bouchon de liège.
Saviez-vous que ces bouchons sont fabriqués avec l’écorce d’un arbre appelé « quercus suber », ou chêne-liège, et qu’environ 60 % de la production de bouchons de liège est de provenance portugaise, les autres pays producteurs étant l’Espagne, le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et la France ?
On utilise cette écorce pour obstruer les bouteilles depuis un peu plus de 200 ans. Afin de conserver une bonne qualité de liège et de préserver la santé de l’arbre, les prélèvements de l’écorce du chêne-liège doivent être effectués tous les neuf ans. Malheureusement, les lois autorisent ce prélèvement bien avant ce délai. Et ce n’est pas la seule cause de détérioration de la population de chênes-lièges. En effet, plusieurs de ces magnifiques arbres ont brûlé l’été dernier lors d’incendies de forêts majeurs au Portugal.
La question à poser est la suivante : « Doit-on remplacer les bouchons de liège par les fameux bouchons en plastique ou même par les bouchons dévissables que tant de gens considèrent comme étant de piètre qualité ? ». Ces derniers sont pourtant si pratiques sur le plan du service !
Ils permettent également l’entreposage des bouteilles à la verticale, ce qui peut résulter en une économie d’espace pour les restaurateurs. Afin de déterminer l’efficacité de ces bouchons, des vignerons chiliens ont effectué des tests sur deux sauvignon blancs pendant six mois : l’un était obstrué par un bouchon de liège et l’autre par un bouchon dévissable. C’est avec surprise que les producteurs se sont aperçus que le dernier avait gardé davantage de fraîcheur que celui bouché avec le classique liège. L’avenir nous dira si, pour une longue conservation, le bouchon dévissable saura tenir la route ! Pour l’instant, à ma connaissance, les vins embouteillés avec ces bouchons au début des années 2000 ne semblent pas présenter de signes d’essoufflement.
Les bouchons de plastique, qui ressemblent à s’y méprendre au liège, ont prouvé dans les dernières années qu’ils n’étaient pas la solution, car, à long terme, l’air finit par pénétrer dans la bouteille. Il est important de savoir que le contact avec l’oxygène est important pendant la vinification, mais devient une grande lacune une fois que le vin est embouteillé. Dans la bouteille, le vin n’a pas besoin d’oxygène. Même que, si ce dernier est présent, le vin peut s’oxyder à long terme. L’oxydation d’un vin le rend imbuvable. Prenez pour exemple une bouteille que vous laissez ouverte pendant quelques jours : on y retrouve des notes rancio [8], le vin est donc éventé. Le bouchon de plastique est parfait pour les bouteilles qui sont consommées dans les 12 à 18 mois après leur embouteillage. Selon moi, le bouchage à vis est par contre une solution très pratique.
Je doute fortement que les richissimes domaines bordelais ou bourguignons soient d’avis de changer leurs traditions en bouchant leurs bouteilles avec autre chose que du liège ! Toutefois, leur production annuelle constitue une goutte d’eau dans un océan de producteurs du Nouveau Monde, le gros du problème ne se retrouve donc pas là. L’Australie, le Chili, l’Argentine, l’Afrique du Sud et la Californie produisent maintenant des tonnes de jus de raisin fermenté. Les bouteilles de tous les jours, qui coûtent entre 8 $ et 15 $ et qui seront consommées dans les deux prochaines années, méritent-elles d’être obstruées d’un bout d’écorce de cet arbre géant ?
Une multitude de produits disponibles sur le marché québécois mériteraient d’être obstruées par autre chose que du liège, même les plus dispendieux. Certains vignerons plus visionnaires ont décidé de faire le saut et de bannir le fameux liège. Prenons pour exemple le sympathique Randall Grahm, de la Californie, le golden state américain, qui est propriétaire de soixante hectares de vignes d’un superbe domaine nommé Bonny Doon Vineyards. Depuis 2001, ce passionné du vin bouche toutes ses bouteilles avec des capsules dévissables.
Dans le but de souligner son passage à une ère sans bouchon de liège, il a même organisé l’enterrement symbolique d’un mannequin nommé Thierry le bouchon ! Il s’agissait de tout un cérémonial bachique et médiatique pour annoncer cette grande nouvelle...
Je donne aussi l’exemple de la visionnaire maison bourguignonne Laroche qui bouchera bientôt tous ses produits avec des capsules dévissables, même le délicieux grand cru Les Blanchots nommé la Réserve de l’Obédience, qui est vendu 126 $ à la SAQ Signature. J’aime bien les aveux de Michel Laroche, ce grand homme du vin qui utilise le bouchon dévissable : « Pour le meilleur de mes grands crus, il n’est pas question de prendre le moindre risque avec le bouchage ! ».
On connaît maintenant les bienfaits du bouchon dévissable pour les vins qui se boivent en moins de cinq ans. Se révélera-t-il aussi utile pour les vins dits de grande garde ?
Laissons tomber mœurs et coutumes pour une croissance de la qualité. Pensons un peu plus à la nature et à la sauvegarde d’un produit naturel qui n’est pas inépuisable...