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Hausse du salaire minimum : hôteliers et restaurateurs au cœur du débat

C’est l’un des principaux sujets de discussion de cet automne finissant. Et ce le sera encore très certainement au cours de la prochaine année. La hausse du salaire horaire minimum à 15 $ a déjà fait couler beaucoup d’encre, provoqué plus d’une manifestation et fait l’objet de multiples études, aux résultats pas toujours concordants. Dans l’hôtellerie et la restauration, on garde les yeux et les oreilles bien ouverts : une telle décision aurait des conséquences importantes sur l’industrie des HRI.

 
23 novembre 2016 | Par Pierre-Alain Belpaire

Il est l’invité-surprise, celui sur qui les syndicats et groupes sociaux ne comptaient sans doute pas. À la fin de l’été dernier, le médiatique homme d’affaires Alexandre Taillefer vantait, « au nom de la décence », l’idée d’une hausse du salaire minimum à 15 $ l’heure sur cinq ans. « Nous avons aujourd’hui l’obligation de fournir à des gens qui décident de travailler 40 heures par semaine des conditions salariales décentes », affirmait-il lors du Forum social mondial tenu en août à Montréal. « 10,75 $, ça vous donne un salaire annuel de l’ordre d’à peu près 21 500 $. Le seuil de pauvreté a été établi au Canada, à partir du 1er mai, à 23 800 $. Ce qu’on envoie comme message à notre société, c’est qu’on permet à des gens de travailler 40 heures par semaine et de vivre sous le seuil de pauvreté. Et ça, pour moi, c’est inacceptable. »

De la musique aux oreilles des principales organisations syndicales qui ont fait de cette augmentation l’une de leurs priorités. Si certaines disparités sont encore perceptibles (certaines centrales souhaitent ainsi une hausse immédiate, d’autres sont prêtes à l’étaler d’ici 2022) et si une véritable coalition se fait encore attendre, le mouvement est pourtant bien réel. « Les forces progressistes convergent pour que les choses changent, estime Jean Lacharité, vice-président de la CSN. L’obtention du salaire minimum à 15 $ l’heure le plus rapidement possible est une mesure concrète pour partager la richesse. » Daniel Boyer, président de la FTQ, rappelle quant à lui que quelque 211 000 Québécois (dont 58 % de femmes) touchent présentement le salaire minimum. « Et un million de travailleurs gagnent moins de 15 $ l’heure, principalement dans les petites et moyennes entreprises et dans le commerce de détail », précise-t-il avant d’avertir, en entrevue à La Presse Canadienne : « On ne lâchera pas le morceau ! »

Cercle infernal

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Lorsque les syndicats montrent les dents, les patrons fourbissent leurs armes. Début novembre, le Conseil du Patronat du Québec sort donc l’artillerie lourde : études, lettre ouverte, analyses, sondage, communiqué de presse doivent faire passer le message qu’une telle hausse constitue une fausse bonne idée. « Justifier une augmentation du salaire minimum pour améliorer la condition des personnes à bas revenus est, au mieux, un levier de progression social très incertain, aux effets collatéraux plus négatifs que positifs, et, au pire, un moyen susceptible de nuire à ceux dont on espère améliorer le sort », lance Yves-Thomas Dorval. Le président-directeur général du CPQ souligne que la hausse ferait plus de perdants que de gagnants et aurait pour conséquence principale une diminution du pouvoir d’achat pour l’ensemble des ménages québécois. « On ferait entrer un éléphant dans un magasin de porcelaine. »

Décrit par l’organisation patronale comme l’une des principales victimes d’une éventuelle modification du salaire minimum, le secteur de la restauration lance un message des plus clairs : « Nous sommes contre une hausse rapide et contre une hausse déraisonnable », martèle François Meunier, vice-président aux affaires publiques et gouvernementales au sein de l’ARQ. Une augmentation du salaire minimum actuel de 10 % (soit bien en-deçà des 15 $ exigés par certains) aurait un impact de 103 millions de dollars sur l’industrie de la restauration québécoise. « Coupures d’horaires, fermetures partielles, voire fermetures complètes : les conséquences concrètes seraient dramatiques », avance le représentant de l’Association des Restaurateurs du Québec.

Si cette industrie risque aussi gros, c’est notamment parce que la masse salariale représente actuellement 35 % des coûts d’exploitation d’un restaurant. Le nombre important d’employés qui seraient concernés par cette hausse est également plus grand que dans d’autres secteurs. « Avec l’effet domino, cela concernerait 40 % du personnel. On ne parle pas seulement des gens touchant 10,75 $ mais aussi de tous ceux en-dessous de 15 $, prévient François Meunier. Et même au-delà : l’employé embauché voici plusieurs années, qui gagne aujourd’hui 17$/h, comment va-t-il réagir en voyant débarquer un petit nouveau qui va toucher deux dollars de moins que lui ? Il va évidemment mettre la pression sur l’entreprise pour que l’écart existant auparavant soit recréé. Un cercle infernal ! »

Le vice-président de l’ARQ souligne, enfin, que c’est surtout la hausse du salaire minimum à pourboire (aujourd’hui à 9,20$ l’heure) qui poserait le principal problème. « Cela consisterait à augmenter des gens qui sont déjà largement bien payés », glisse-t-il, évoquant un élargissement du fossé entre la salle et les cuisines.

« Trouver un juste équilibre »

Des employés à pourboire, l’hôtellerie en compte aussi par centaines. Si elle serait sans doute moins touchée que la restauration, cette industrie ne serait « guère épargnée », assure Xavier Gret, directeur général de l’Association Hôtellerie Québec. « Il faudrait peut-être rappeler aux décideurs que lorsqu’on parle de l’industrie hôtelière, on parle, dans 75 % des cas, d’hôtels indépendants, avec en moyenne 40 chambres par établissement. »

Ici aussi, une importante augmentation du salaire minimum pousserait plusieurs patrons à couper dans le personnel, estime le responsable de l’AHQ. « Dans notre univers, nombreux sont ceux qui rencontrent déjà aujourd’hui des difficultés en termes de marges bénéficiaires. Alors imaginez avec un salaire à 15 $ l’heure… »

Les deux hommes sont évidemment d’avis que la situation des employés à faibles revenus doit être améliorée. « Mais est-ce que ça passe obligatoirement par une hausse massive et brutale du salaire minimum ? », s’interroge François Meunier. « Il faut trouver un juste équilibre, renchérit Xavier Gret. On ne veut vraiment pas que le personnel soit sous-payé. De plus, on doit pouvoir continuer à attirer de la main-d’œuvre. Mais passer d’un seul coup à 15 $ l’heure n’est pas la solution. Non, il faut une augmentation "normale", qui laissera aux entreprises le temps de s’adapter. »

Les débats sont ouverts. Représentants syndicaux et patronaux seront très certainement amenés à se prononcer, à nouveau, sur le sujet. Et si les interventions de personnalités politiques sont, pour l’heure, plutôt discrètes, elles devraient se multiplier alors que pointent à l’horizon les prochaines échéances électorales. « Dans ce dossier, l’industrie touristique, dans sa globalité, n’est pas assez entendue, regrette le représentant des hôteliers québécois. On sous-estime la fragilité de notre industrie et le nombre d’emplois qu’on fournit. Notre avis devrait être davantage pris en compte. »

Mots-clés: Québec (province)
Comptabilité
Rémunération / Salaires
Entrevue
Hôtellerie
Restauration

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