Grève à Cargill : peu de conséquences sur la disponibilité en bœuf
L’abattoir de Cargill à Guelph en Ontario reprenait du service lundi, après avoir fermé ses portes pendant 41 jours en raison d’un conflit de travail. L’entreprise devrait toutefois avoir besoin de plusieurs jours pour atteindre sa pleine capacité selon le syndicat United Food and Commercial Workers qui représente les employés.
Troisième plus grande usine de transformation de bœuf au pays, l’établissement est une pièce maîtresse du système d’approvisionnement en bœuf canadien, si bien que près de 90% du bœuf ontarien et la majorité de celui des provinces de l’est y sont traités selon le syndicat.
« L’approvisionnement canadien est très concentré au niveau des abattoirs. Presque tous les bœufs passent par trois usines, celle de Guelph et deux autres en Alberta », explique Sarah Berger Richardson, présidente de l’Association canadienne sur le droit et politiques agroalimentaires.
Par contre, la fermeture devrait n’avoir que très peu d’impacts tant sur la disponibilité des produits que sur les prix en gros, remarque le directeur principal du Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie, Sylvain Charlebois. « Les acheteurs ont pu se réajuster rapidement et importer du bœuf d’ailleurs, ça aura surtout une mauvaise nouvelle pour Cargill dont l’usine apparait beaucoup moins importante que nous aurions pu le croire », remarque-t-il.
En effet, l’industrie alimentaire du pays peut compter sur de nombreuses autres sources d’approvisionnement notamment dans le contexte où la demande globale pour les produits du bœuf s’en va en diminuant depuis quelques années, rappelle le chercheur. « Le marché a pu s’appuyer sur les importations provenant des États-Unis et même du Mexique et de l’Uruguay », précise-t-il.
Difficile pour les producteurs
S’il n’a pas engendré de pénurie, le conflit pourrait toutefois entraîner de lourdes conséquences pour de nombreux producteurs bovins de l’Ontario et de l’est du Canada qui dépendent en très grande majorité de cette usine pour pouvoir écouler leur produit, remarque Sarah Berger.
Non seulement les producteurs ont vu leurs dépenses bondir, car ils ont dû nourrir leurs animaux beaucoup plus longtemps que prévu, mais ils risquent d’avoir un moins bon prix pour leurs bêtes, puisque leur poids s’éloigne de la taille optimale pour l’industrie.
« Depuis qu’on a adopté des techniques d’élevage soi-disant scientifiques, les éleveurs n’ont plus de marge de manœuvre », souligne-t-elle. « On l’a vu durant la pandémie, la moindre perturbation cause de grands impacts, non seulement économiques, mais aussi pour les questions de bienêtre animal », poursuit Sarah Berger Richardson.
Les effets sur les prix pourraient donc arriver avec un certain décalage alors que les éleveurs cherchent à refaire une part de leur profit perdu. L’effet devrait toutefois être limité, car ceux-ci disposent de très peu de moyens de négocier avec les géants de l’abattage.
« Pratiquement tous les petits abattoirs ont fermé leurs portes dans les dernières années, si bien que les producteurs ne peuvent pas vraiment négocier parce qu’ils n’ont pas vraiment d’autres options », résume-t-elle.
Le Québec s’en tire très bien
Il y a une dizaine d’années, les éleveurs québécois auraient été dans le même bateau que leurs homologues ontariens, car ils dépendaient en grande partie de l’usine de Guelph pour abattre leurs animaux, remarque Jean-Sébastien Gascon de Bœuf Québec. « Il y a vraiment un travail formidable qui a été accompli pour retourner la situation. Désormais, la grande majorité du bœuf du Québec est abattu au Québec », explique-t-il.
L’arrêt de production à l’usine de Cargill ne s’est toutefois pas traduit par une grande augmentation des ventes pour le bœuf du Québec, confie Jean-Sébastien Gascon. Du moins pas cette fois-ci. En fait, la très grande majorité du bœuf consommé dans la belle province provient de l’Alberta, même qu’il s’y mange plus de bœuf albertain au Québec qu’en Alberta selon une étude de Statistique Canada.
En 2021, dernière année pour laquelle les données sont disponibles, la province de l’Ouest comptait près de 5,5 millions de bœufs d’élevage, soit 43% de la production canadienne. Une capacité qui arrive loin devant celle du Québec (1 million de bêtes) et de l’Ontario (1,6 million de bêtes).
« Un des enjeux c’est que le bœuf du Québec se vend à un prix relativement élevé », remarque Sylvain Charlebois. En revanche, l’écart séparant le coût du bœuf québécois et celui du reste du marché se serait grandement rétréci dans les dernières années selon le chercheur, ce qui augurerait bien pour le futur.
« Ce qu’il faut comprendre c’est que la demande pour le bœuf du Québec est en croissance, mais il y a encore un travail à faire. Dans ce sens, le conflit de Guelph nous donne l’opportunité de démontrer que l’on peut être un partenaire stratégique autant pour les services alimentaires que pour les commerces de détail », conclut Jean-Sébastien Gascon.