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Christian Latour : « Je suis optimiste quant à l’avenir de la restauration »

 
14 avril 2020 | Par Pierre-Alain Belpaire

Pour prendre le pouls de notre industrie au cœur de la tempête COVID-19, pour « humaniser » cette terrible crise, HRImag a décidé de donner la parole à diverses personnalités ayant figuré, au cours des dernières années, dans nos hors-séries.
 

Après avoir entamé sa carrière en 1986 au sein de la chaîne Hôtel des Gouverneurs, Christian Latour a intégré les équipes du Collège Mérici trois ans plus tard. Il y enseigne aujourd’hui la gestion d’un établissement de restauration. Fidèle collaborateur du HRImag (notre Wiki, c’est lui !), il a également repris, redressé puis revendu différents établissements et conseillé plus d’un propriétaire.
>>> Le portrait de Christian Latour, Une révolution trop tranquille, est à relire ici.
 

HRImag : Christian Latour, cela fait aujourd’hui un mois que le gouvernement Legault annonçait de premières mesures drastiques pour juguler la pandémie. Comment qualifieriez-vous ces quelques semaines ?

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Je pense qu’« historique » serait assez approprié. Depuis quelques années, lorsqu’on s’intéressait au futur de notre industrie, qu’on élaborait des modèles, on avait ajouté la notion de « contexte situationnel », qui permettait par exemple d’imaginer l’impact d’un raz-de-marée ou d’une crise liée aux facteurs environnementaux. Mais personne n’aurait pu prévoir la situation actuelle.

Vous évoluez dans l’industrie de la restauration depuis 35 ans. Auriez-vous un jour imaginé la voir à l’arrêt ?

Je vous arrête tout de suite : elle est freinée, mais pas à l’arrêt ! La restauration continue, de manière différente. On avait prévu une transformation du modèle traditionnel de la restauration. Depuis plusieurs années, je dis aux restaurateurs d’être prêts à s’adapter. C’est arrivé plus vite que prévu.

Et les professionnels, étaient-ils prêts ?

Certains plus que d’autres, ce sont ceux qui ont été capables de réagir instantanément. D’autres y avaient pensé, sans être forcément prêts : ils ont pris un virage, mais ne sont pas pour autant à l’abri. Si tu modifies ton offre sans réfléchir ta structure économique, sans calculer tes frais, …, ça pourrait vite devenir dangereux. Et enfin, il y a ceux qui n’étaient pas prêts du tout.

Combien sont-ils ?

Je dirais que 25 % ont été pris au dépourvu et vont disparaître. À l’inverse, 25 % des professionnels vont faire des bons chiffres. Et 50 % vont réussir à traverser cette crise en s’étant ajustés convenablement, que ce soit tardivement ou précocement.

Un mois après le début de la crise, est-il trop tard pour embarquer sur la vague « livraison / à emporter » ?

Non, il n’est jamais trop tard pour prendre une bonne décision, bien réfléchie. Ça dépendra évidemment des capacités financières du restaurateur et des compétences culinaires du chef.

Vous parliez de restaurants qui, en ces temps de crise, pourraient « faire de bons chiffres ». Pourriez-vous développer ?

Ceux qui étaient prêts, ceux qui avaient planifié, vont faire de l’argent. Si les recettes sont standardisées, s’ils connaissent leurs coûts, si leur modèle d’affaires était bien préparé, bref, s’il s’agit d’une entreprise bien gérée, oui, il y a moyen de faire des affaires, voire de bonnes affaires. La seule grande inconnue, c’est l’achalandage.

Sur le long terme, comment l’industrie de la restauration sortira-t-elle de cette période trouble ?

Transformée ! La crise de la COVID-19 a accéléré la transition entre le modèle de restauration traditionnelle et un modèle hybride, fait notamment de prêt-à-manger, de plats à emporter et de livraison, et dans lequel les épiceries jouent désormais un rôle important. De nos jours, les épiciers font de la restauration. Sans la théâtralisation, sans la mise en scène et le décor, certes, mais ils font de la restauration. Dès les années 1980, on parlait déjà de tout ça, mais de nombreux restaurateurs québécois n’étaient pas prêts à une transition aussi rapide. Et la conséquence directe, c’est que de nombreux établissements vont disparaître.

Début avril, Restaurants Canada indiquait que 10 % des restaurants au pays avaient définitivement fermé leurs portes et que 18 % emboîteraient le pas d’ici un mois si la crise persistait. Vous évoquez, pour le Québec, un taux de fermeture de 25 %. Ces chiffres ne sont-ils pas pessimistes ?

Non, je pense que c’est réaliste. Il y avait bien trop de restaurants au Québec, la crise va réguler tout ça. Rappelez-vous qu’habituellement, durant sa première année d’existence, un restaurant sur quatre ferme ses portes, mais généralement, il est immédiatement remplacé par un autre ; or, désormais, il y aura une barrière à l’entrée et très peu de nouveaux établissements ouvriront dans les prochains mois. J’aurais donc même plutôt tendance à être optimiste quant à l’avenir de notre industrie : les plus mauvais joueurs vont disparaître, on peut dire adieu à la pénurie de main-d’œuvre et j’ose espérer que cette crise va faire comprendre aux plus récalcitrants qu’il est temps de gérer leur commerce comme il faut ! Par ailleurs, n’oubliez pas que le client va lui aussi sortir transformé de cette période : en consommant chez lui et non au restaurant, il se sera habitué à se concentrer sur le goût et non sur le décor. Certains ont repris le chemin des fourneaux, il en faudra donc peut-être davantage pour les épater. Enfin, la clientèle sera également plus exigeante en termes de santé, de sécurité et d’hygiène.

On a lu ou entendu, dans divers médias, des professionnels expliquer pouvoir difficilement tenir plus de deux ou trois semaines avant de devoir déclarer faillite. Cela vous étonne ?

Malheureusement non. La gestion des finances a toujours été la discipline la plus difficile à enseigner dans les écoles hôtelières. Pourtant, ce qui peut te permettre de tenir le coup en pleine tempête, c’est ta capacité à gérer tes finances, pas tes talents culinaires. J’estime qu’un restaurateur devrait toujours avoir un fonds de roulement suffisant pour pouvoir survivre à trois mois de fermeture. Minimum. Alors quand j’entends parler de deux semaines…

En 2020, au Québec, combien de restaurants peuvent tenir trois mois ?

Ah, ça, on le saura d’ici quelques mois… Mais il y en a bien plus que vous ne le pensez. Ce sont sans doute les mêmes qui ont rapidement embarqué sur le prêt-à-manger et la livraison. Mais évidemment, on ne les entend pas souvent se plaindre dans les médias, ceux-là…

Depuis 30 ans, vous enseignez la restauration au Collège Mérici. Quel conseil donneriez-vous à la relève, à ces jeunes qui débutent leur carrière et qui doivent affronter cette crise extraordinaire ?

Qu’il faut s’efforcer de voir tout ça sous un angle positif, qu’il y aura bientôt de belles opportunités à saisir, que les propriétaires et gestionnaires de restaurants vont comprendre que ça prend de bons employés pour aller de l’avant. Je le répète : demain, le portrait de la restauration québécoise sera plus positif qu’il ne l’était voici un an ou deux. Les 25 % qui vont disparaître, ce sont ceux qui n’auraient pu leur assurer une belle carrière ; les 75 % restants devraient pouvoir leur offrir un avenir plus intéressant.

(Crédit photo : Julie Laliberté)

Mots-clés: Québec (province)
Entrevue
Restauration

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