Produits d’ici
Les encourager en sachant de quoi vous parlez !
Produit du terroir, fermier, artisanal, régional : la confusion règne dans les appellations au Québec. Les restaurateurs, désireux d’offrir à leur clientèle des produits authentiques qui reflètent l’identité québécoise, ne savent plus où donner de la tête. Et les consommateurs non plus.
Qu’est-ce qu’un produit du terroir ?
Les intervenants sont unanimes : c’est un terme fort galvaudé depuis une dizaine d’années au Québec. On l’utilise à tort et à travers. Le véritable produit du terroir e st intimement relié aux caractéristiques uniques de la terre dont il est issu et au savoir-faire de ses artisans.
« C’est un produit qu’on ne peut absolument pas retrouver ailleurs, du fait du sol, du climat, de l’alimentation des animaux, etc. Le terroir de Charlevoix n’est pas le même que le terroir du Saguenay », indique Éric Villain, copropriétaire du Café du Clocher Penché, à Québec, et enseignant à l’École hôtelière de la Capitale.
Des exemples ? L’agneau de pré salé de l’île Verte, dans le Bas-Saint-Laurent, pourrait revendiquer le titre. Parce qu’il broute des pâturages salés qui confèrent à sa chair un goût unique, impossible à retrouver dans d’autres régions.
Le véritable produit du terroir est intimement relié aux caractéristiques uniques de la terre dont il est issu et au savoir-faire de ses artisans.
Ainsi, la multitude de produits que l’on retrouve dans les marchés publics et au menu de plusieurs restaurants ne devraient pas se réclamer du terroir. Ce sont plutôt des produits régionaux ou artisanaux. Cela n’enlève rien à leur goût et à leur qualité, mais la grande majorité d’entre eux ne sont pas de véritables produits du terroir.
« Le plus gros problème, c’est la définition. Des gens font des produits maison dans leur cuisine et vendent ça avec une étiquette du terroir. Tant que ce terme n’est pas normalisé et structuré par une loi ou un décret, on ne peut pas identifier les produits du terroir. On ne peut que les supposer », explique le chef et chroniqueur Thierry Daraize.
Parce qu’il a duré trop longtemps, le flou administratif a fait beaucoup de dégâts, selon Éric Bertrand, chef au Vice-Versa, à La Malbaie. Un manque de volonté politique, selon lui. « C’est un désastre !, lance-t-il. Certains producteurs et restaurateurs se sont aperçus que ce serait un créneau qui pourrait être bon pour eux. On a introduit les produits régionaux et ça sème la confusion. On a poussé ce créneau très prometteur dans une zone folklorique. »
La certification pour mettre un frein à la confusion ?
Pourtant, une nouvelle loi a été adoptée au Québec le 13 avril 2006. La loi 137 sur les appellations réservées et les termes valorisants permettra peut-être de faire un peu de ménage dans les termes. Elle permettra d’attribuer à certains produits l’appellation d’origine (AO) ou celle d’indication géographique protégée (IGP).Pour obtenir ces appellations, les producteurs devront se conformer à des cahiers de charges précis.
La loi prévoit aussi contrôler les mentions « fermier » et « artisanal » selon des normes définies ultérieurement.
Mais la route est longue vers l’appellation. Pour le moment, l’agneau de Charlevoix est le seul produit sur la voie de recevoir l’attestation d’IGP. Et la demande est en attente depuis plus d’un an. « Le processus n’est pas à sa vitesse de croisière, confirme Denis-Paul Bouffard, président-directeur général du Conseil des appellations réservées et des termes valorisants (CARTV). En France, il faut neuf ans pour attribuer une appellation d’origine contrôlée. En Suisse, il faut trois ans. On va essayer de le faire à l’intérieur d’une année. » Par ailleurs, un nouveau logo permettant d’identifier les produits du terroir devrait aussi voir le jour... un jour.
Indication Géographique Protégée (IGP)
L’Indication Géographique Protégée établit un lien entre un produit et une région. Elle désigne un produit dont le goût et la réputation peuvent être attribués à cette région. Le lien avec le terroir doit être présent à un des stades au moins de la production, de la transformation ou de l’élaboration du produit. C’est le cas des viandes qui proviennent d’animaux élevés sur un terroir. Par exemple, la chair de l’agneau de Sardaigne, en Europe, reflète parfaitement son territoire d’origine en offrant un arôme intense et sauvagin.
Source : Conseil des appellations agro-alimentaires du Québec (CAAQ)
Mais il ne faut pas jeter tout le blâme sur la bureaucratie, croit Anne Desjardins, chef du restaurant l’Eau à la Bouche, à Ste-Adèle, qui a participé en 2003 à un groupe de travail sur les appellations réservées et les produits du terroir pour le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation. Les producteurs ont aussi une certaine part de responsabilité dans la situation. « La loi n’est pas parfaite, mais c’est déjà un pas de plus. Très peu de producteurs font une demande d’appellation. Peut-être parce qu’ils sont trop petits, qu’ils craignent les coûts que ça peut entraîner ou qu’ils ne sont pas assez conscientisés. »
Cette réticence des producteurs se comprend aisément quand on sait que plusieurs d’entre eux sont marginaux et peinent à joindre les deux bouts. Ajouter l’obligation d’un cahier de charges et un long processus administratif aux journées de travail déjà bien remplies en décourage plusieurs. D’autant plus qu’ils ne savent pas quels seront les résultats.
« Aucune recherche n’a prouvé la relation causale entre l’existence d’une certification et les ventes à l’autre bout. Si on embarque dans cette approche, ce qui nous attend, ce sont des coûts », affirme Jean-Claude Dufour, professeur au Département d’économie agroalimentaire et des sciences de la consommation de l’Université Laval, qui abordait le sujet lors d’un colloque international sur les appellations d’origine, en octobre dernier.
Appellation d’origine (AO)
L’appellation d’origine est la dénomination géographique d’un pays, d’une région ou d’une localité servant à désigner un produit qui en est originaire. Ce sont les caractéristiques géologiques, agronomiques, climatiques, techniques et humaines de ce terroir qui permettent de définir la spécificité et la personnalité du produit. L’AO nécessite un lien très étroit entre le produit, le terroir et le savoir-faire de l’homme.
Source : Conseil des appellations agro-alimentaires du Québec (CAAQ)
Selon lui, les Québécois sont très sensibles au prix. Il y a un grand écart entre dire « J’aime les produits québécois » et « J’achète québécois », croit le professeur. « Il faudra au moins une génération de consommateurs pour développer ce marché », dit-il.
Travailler avec les produits régionaux
En attendant que les produits du terroir québécois acquièrent leurs véritables lettres de noblesse, rien n’empêche les chefs d’ici de mettre à leur carte les produits régionaux. Et ceux-ci sont nombreux : viandes, fromages, alcools artisanaux, etc.
Reconnaissance le Renaud-Cyr
Le rôle social du chef passe entre autres par le lien étroit qu’il tisse avec le producteur. Renaud Cyr, chef-propriétaire du Manoir des Érables, de Montmagny, fut un pionnier dans ce domaine. Pour Renaud Cyr, la mission du chef était d’être un moteur de développement régional grâce à cette relation privilégiée avec les artisans locaux. Une reconnaissance
porte le nom du chef, décédé en 1998. On y honore deux catégories : celle de l’artisan et celle du chef.
Bien qu’il existe des centaines de petits producteurs, le défi pour les chefs reste l’approvisionnement, qui est inconstant. « Il faut accepter que c’est une micro-production. On ne peut pas avoir ces produits en grosses quantités. Les restaurateurs qui veulent les utiliser ne doivent pas avoir besoin de trop de volume. Il faut aussi avoir une souplesse par rapport au menu », explique Éric Villain.
Pour offrir des produits vraiment originaux et de haute qualité, il faut être prêt à y mettre l’effort. « C’est le travail du chef de faire de l’exploration. Mais c’est aussi le travail des artisans d’aller vers les restaurateurs et de leur présenter leurs produits », croit Thierry Daraize.
Toutefois, la distribution commence à s’organiser dans certains créneaux. C’est le cas des producteurs de fromage artisanaux, qui se sont unis sous la bannière Fromages de pays en septembre dernier. Ils sont distribués par Plaisirs Gourmets. D’autres, comme Distrobec, offrent des viandes particulières comme le Cerf de Boileau.
Il faut acheter local. Le chef n’est pas un simple fournisseur de services. Il a un rôle social et doit s’engager dans son milieu
– Éric Villain
Le rôle des chefs dans la promotion de ces produits,
qui contribuent au développement économique des régions, est essentiel, selon Thierry Daraize. « L’avantage pour les chefs qui travaillent en milieu rural, c’est de faire connaître les producteurs qui se démarquent. Ceux-ci ont une vitrine extraordinaire pour les produits régionaux. Mais il faut aussi transposer ce processus en ville. »
Les restaurateurs ont une responsabilité. « Il faut acheter local. Le chef n’est pas un simple fournisseur de services. Il a un rôle
social et doit s’engager dans son milieu », croit Éric Villain.