Alors que les terrasses rouvrent, le personnel manque à l’appel
Karoline Gagnon a travaillé comme barmaid ou gérante de bar pendant 25 ans à Montréal et même si elle dit avoir souvent envisagé de changer de carrière, l’argent et la liberté que ce mode de vie lui offrait étaient trop tentants. Mais, plus d’un an après le début de la pandémie de COVID-19, elle ne servira pas de boissons alors que les terrasses des restaurants rouvrent dans la ville aujourd’hui, suivies de celles des bars quelques semaines plus tard. La femme de 51 ans a abandonné les shooters de tequila pour les roses, les géraniums et les tulipes.
« Lorsque les bars ont fermé, j’étais si heureuse parce que j’étais tellement fatiguée, confie Karoline Gagnon. En plus de ça, c’était comme s’il y avait une étoile de bon augure au-dessus de ma tête : j’ai trouvé des cours du soir d’horticulture auxquels j’ai pu assister. » Après la fermeture de son bar, elle donc s’est inscrite à un programme d’horticulture et a été embauchée dans un magasin de fleurs lorsqu’elle a terminé un stage. S’il lui a fallu des mois pour s’habituer à se coucher tôt, au moins la musique de son nouveau lieu de travail n’est jamais trop forte.
Karoline Gagnon fait partie des plus de 25 % des travailleurs canadiens qui ont vu leur carrière dérailler à cause de la pandémie de COVID-19, selon les données de l’agence de placement Robert Half. Et alors que les bars et les restaurants se préparent à rouvrir à Montréal, de nombreux propriétaires craignent qu’il ne reste plus assez de travailleurs dans l’industrie.
Selon le sondage de l’agence auprès de 500 travailleurs et 600 cadres supérieurs au Canada, 55 % des personnes âgées de 18 à 24 ans ont déclaré que la pandémie les avait forcées à repenser leur carrière. 28 % des répondants ont déclaré que la crise sanitaire les avait incités à vouloir occuper un emploi plus important pour eux. « Lorsque je parle à des clients et des candidats au Québec, les gens se sont adaptés à la pandémie et ont choisi des cheminements de carrière différents », raconte Michael O’Leary, vice-président régional chez Robert Half.
Chercher la meilleure opportunité
En mars 2020, Jonathan Frédéric travaillait dans l’un des plus célèbres restaurants de poutine de Montréal lorsque le premier ministre du Québec a ordonné le premier confinement. Jonathan, 31 ans, explique que son restaurant s’était adapté aux plats à emporter, mais qu’il ne voulait pas rester en cuisine. « Ma blonde travaille dans un centre de santé et de services sociaux et j’ai pensé qu’il ne serait pas approprié qu’elle tombe malade et contamine tout un centre pour jeunes, simplement parce que je voulais servir de la poutine. »
Jonathan admet cependant qu’il avait été difficile pour lui d’imaginer travailler en dehors de la restauration. « L’énergie, le style de vie, il est facile de se retrouver pris dans tout ça », a-t-il déclaré. Il a pris des cours d’enregistrement sonore avec un ami qui travaille dans l’industrie de la télévision et s’est inscrit à des cours de technologie de l’information dans un cégep. Il pourrait retourner dans l’industrie de la restauration ou du bar pendant qu’il poursuit sa nouvelle carrière, mais il veut se garder des portes ouvertes et chercher la meilleure opportunité.
Pour Michael O’Leary, l’attitude de Jonathan Frédéric reflète un sentiment plus large chez les jeunes et les employeurs, en particulier ceux du secteur des services, doivent être sensibles à l’humeur changeante de la main-d’œuvre. « Les gens veulent faire partie de quelque chose et s’ils se sentent investis, ils seront plus intéressés à rester. »
Une pression pour hausser les salaires
« Si je n’ai pas peur que nous ne trouvions pas suffisamment de personnel ? Il est certain que nous n’aurons pas suffisamment de personnel », déclare pour sa part Peter Sergakis, président de l’Union des tenanciers de bars du Québec. Il indique que ses membres ressentaient déjà une pression pour hausser les salaires de la part des personnes restantes dans l’industrie. Selon lui, les gérants de bar, par exemple, gagnaient auparavant entre 20 et 25 $ de l’heure, mais maintenant beaucoup recherchent 40 $.
Pour que les restaurants et les bars de la ville survivent, ils devront rouvrir lentement et se donner le temps d’embaucher et de former du nouveau personnel, pense Peter Sergakis. « Ce que nous allons voir, ce sont des établissements plus petits, des horaires plus courts, des menus plus petits », a-t-il soutenu. Et bien que l’évolution du marché du travail suscite de l’anxiété parmi les membres de son association, Peter Sergakis déclare qu’il ne s’inquiète pas pour une chose : le retour des clients. « Ceux qui vont revenir vont donner plus de pourboire, ils vont être heureux de voir ceux qu’ils n’ont pas vus depuis un moment. »
(La Presse Canadienne)