Les uns ont dû faire une croix sur leurs premiers projets après un incident de parcours, un déménagement ou une fermeture précoce. Les autres ont été contraints de repenser leur carrière, de se réinventer et de s’adapter aux nouvelles technologies, aux envies du public ou aux tendances du moment. Certains, enfin, ont volontairement bousculé leur vie, leurs plans et leur carrière pour découvrir de nouveaux horizons et tester leurs limites.
Malgré les obstacles, malgré les échecs, tous ont poursuivi leurs rêves et sont parvenus à percer, à convaincre, à séduire. Travail intense, sacrifices importants et passion sans borne ont permis à nos 15 personnalités de se tailler une place dans une industrie ô combien exigeante et dans le coeur d’un public qui l’est tout autant. Tout ne s’est pas fait en un jour, évidemment, et vous découvrirez, au fil des portraits que nous vous proposons dans ce numéro exceptionnel, que le mot « excellence » rime, plus que jamais, avec « patience » et « résilience », dans l’univers des HRI.
L’année 2019 n’en est qu’à ses premiers balbutiements, mais tant les experts que le sondage que nous vous présentons en partenariat avec l’Association Restauration Québec confirment que, durant les prochains mois, les défis ne manqueront pas. Loin de baisser les bras, loin de se satisfaire du niveau atteint, loin de se penser au-dessus de ces problèmes concrets, les meilleurs chercheront des solutions, se surpasseront, innoveront, surprendront, oseront. Et garderont intacte leur inspirante motivation.
En octobre dernier, après le départ de Robert Mercure, le groupe Fairmont annonçait l’arrivée de Ken Hall à la tête du célèbre Château Frontenac. Malgré ses impressionnants états de service, le nouveau maître de l’icône québécoise confiait ressentir une « certaine » pression. Il faut dire que le défi est de taille : après avoir connu, au début du millénaire, quelques années plus délicates et subi d’importantes rénovations, le mythique Frontenac a admirablement redressé la barre et enregistré d’exceptionnels résultats, l’amenant même à occuper en 2017 la première position au classement mondial établi par la très compétitive famille Fairmont.
Pourtant, loin de vouloir se satisfaire de ces résultats et de ces honneurs, le nouveau directeur général affirmait, dans une entrevue accordée à HRImag, vouloir « aller encore plus loin et faire mieux », en mettant en oeuvre d’autres projets et en amenant des idées neuves. « On peut toujours s’améliorer, faisait remarquer Ken Hall. Dans un hôtel comme le nôtre, les attentes de la clientèle sont élevées. Très élevées... On devra sans doute se concentrer sur la personnalisation des services offerts au visiteur. On pourrait aussi mieux anticiper ses besoins, le choyer davantage. Mais rendu à ce niveau-là, on joue sur de tout petits détails. »
Vouloir continuer à s’élever lorsqu’on atteint les sommets est la marque des grands. Des très grands.
Plurielles perfections
L’excellence fascine. Elle passionne le grand public, avide de classements, de palmarès et d’autres concours. Elle intrigue les plus jeunes qui rêvent d’un jour égaler, voire dépasser ces maîtres qu’ils admirent. Elle trotte en permanence dans la tête des professionnels, qui savent qu’ils doivent s’élever, séduire et confirmer s’ils ne veulent s’effondrer et s’effacer.
Définir la perfection n’est pas chose aisée. Elle est, par essence, personnelle, unique, presque intime. « Il y a différents niveaux d’excellence, propres à chaque personne, analyse le réputé chef Laurent Godbout. L’excellence, à mes yeux, c’est de toujours vouloir se dépasser, de chercher de nouveaux défis, de nouveaux sommets. »
Cette quête personnelle serait donc aussi, et surtout, perpétuelle et infinie. « Il n’y a pas une mais des perfections, confirme Christian Latour, enseignant à l’École de tourisme, d’hôtellerie et de restauration de Mérici. Vous pouvez voir cela comme une succession de stades : quand vous en avez atteint un, vous visez le suivant. Pour les perfectionnistes, la recherche de l’excellence, c’est une quête permanente, c’est l’histoire de leur vie. »
À celui qui affirme que, en ce bas monde, la perfection n’existe pas, le meilleur cuisinier proposera donc une assiette sans le moindre défaut tandis que l’hôtelier triplement étoilé lui réservera une expérience inoubliable dans sa plus confortable suite. Et tous deux lui promettront de faire encore mieux la prochaine fois...
Le diable et ses détails
Le secret de l’excellence se cacherait-il donc derrière une éternelle insatisfaction ? C’est légèrement plus complexe, souligne Liza Frulla, directrice générale de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ) et « perfectionniste de premier ordre », selon ses propres termes. « On peut être très bon dans son métier en se contentant de faire ce que le client ou le patron demande, explique l’ancienne ministre. Ce sera bien, mais ce ne sera pas excellent. L’excellence, c’est aller plus loin, c’est chercher le détail qui va surprendre et marquer les esprits. »
Outre ce dépassement de soi, l’élite des établissements de restauration et d’hôtellerie se distinguerait également par l’immense amour qu’elle voue à son métier et par la rigueur employée pour sublimer le produit et satisfaire la clientèle. « Pour atteindre l’excellence, il faut des heures de répétition afin de parvenir à une maîtrise absolue des processus, explique Christian Latour. Il faut se donner corps et âme, sans compter. »
Amour, rigueur, maîtrise : autant d’éléments indispensables pour tout cuisinier rêvant de mettre la main sur le Bocuse d’Or, trophée le plus prestigieux de la scène gastronomique internationale. En janvier 2015, le Québécois Laurent Godbout s’en est approché, l’a effleuré, sans malheureusement parvenir à s’en emparer. Durant son enrichissante expérience lyonnaise, le chef propriétaire de Chez L’Épicier a toutefois pu se mesurer aux meilleurs couteaux du globe. La crème de la crème. « Le point commun entre tous les participants, c’est avant tout le respect qu’ils portent aux autres candidats, se souvient-il. Quant tu débarques au Bocuse d’Or, tu ne peux pas arriver avec un ego surdimensionné : tu sais que chaque cuisinier présent est l’un des meilleurs de son pays, qu’il a des milliers d’heures de travail derrière lui, qu’il est aussi passionné, aussi fou, aussi allumé que toi. »
Détecter, gérer, accompagner
Mais d’où vient cette furieuse envie de mieux faire, ce besoin de se surpasser ? « C’est inné, ça fait partie de ton caractère », souffle Christian Latour. « C’est peut-être aussi un peu héréditaire, ajoute Laurent Godbout. Il y a des parents qui insistent là-dessus très tôt. »
Si elle est difficilement inculquée, la volonté d’exceller peut tout de même être travaillée, entraînée, favorisée au fil des ans. Et nombre de génies n’ont pas manqué, au moment de se voir remettre telle palme ou tel honneur, de remercier le professeur qui avait repéré leur talent ou le mentor qui leur avait permis de franchir d’innombrables étapes. « L’enseignant ne peut pas transmettre le talent, mais il va le faire fleurir, indique Liza Frulla. Prenez le professeur Jean-Paul Grappe : il avait un jour eu une classe d’un niveau extraordinaire, avec des gars de calibre comme Martin Picard, du Pied de Cochon, et plusieurs autres cuisiniers de haut niveau. Jean-Paul Grappe les a amenés loin, très loin. En plus d’exceller en pédagogie, les meilleurs professeurs doivent avoir d’incroyables compétences en psychologie pour accompagner et faire mûrir ces élèves. »
Mal géré, un talent peut évidemment être gâché, rappellent nos interlocuteurs. Pour éviter une telle erreur, il faudra, après avoir décelé et évalué son potentiel, déstabiliser le jeune, le mettre en difficulté, l’inscrire à des concours, l’inciter à voyager. « Quand tu as 20 ans à peine et que tu te retrouves en stage dans un étoilé ou un établissement Relais & Châteaux, tu comprends rapidement que ton talent ne fera pas tout, poursuit Liza Frulla. C’est en affrontant l’exigence qu’on perçoit l’importance du travail à fournir pour atteindre le haut niveau. »
Repousser ses limites
Atteindre les sommets est complexe ; s’y maintenir l’est tout autant. Et gare à ceux qui, dès la première récompense, s’imaginent sur le toit du monde. « Je me souviens d’avoir vu passer une étude affirmant qu’il fallait 10 000 heures de pratique et de répétition pour atteindre un bon niveau, que ce soit au golf, au piano ou en cuisine, illustre Christian Latour. Mais une fois rendu là, il faut poursuivre la pratique, il faut continuer à apprendre. » Et l’enseignant d’ironiser, au passage, sur la fameuse capacité des génies à l’improvisation : « Improviser, c’est jongler avec ses connaissances. Si tu n’as aucun bagage, tu n’improviseras pas longtemps... »
En décembre 2016, le regretté Joël Robuchon était de passage au Québec à l’occasion du lancement du premier guide Gault&Millau consacré à notre province. Aux jeunes salués dans le célèbre palmarès, le chef conseillait de « ne surtout pas s’arrêter là, de poursuivre leurs efforts, de continuer à rêver. Il ne faut pas le voir comme un concours entre cuisiniers mais comme un défi qu’on se lance à soi-même. “J’ai obtenu 15/20 ? Parfait ! À moi de me dépasser pour avoir 16 l’année prochaine.” Ce qu’il y a de plus beau dans la cuisine, c’est qu’on ne peut que s’améliorer. » D’un oeil malicieux, le Cuisinier du siècle soulignait qu’il avait lui-même encore beaucoup à apprendre. « On apprend toujours ! » Même lorsqu’on a reçu 32 étoiles...
L’excellence à la québécoise
En novembre dernier, Normand Laprise se hissait dans le très prisé Top-100 des meilleurs chefs au monde dévoilé à l’occasion du Chefs World Summit organisé à Monaco. Pour la première fois, un Canadien intégrait ce classement établi par les chefs doublement et triplement étoilés du globe. Aussi excellente et heureuse soit-elle, cette nouvelle semblait également tristement exceptionnelle : dans ce palmarès, le Montréalais côtoyait quelques Belges, une poignée de Japonais, une dizaine d’Américains et d’Espagnols. Et 36 (!) Français. Mais aucun compatriote. Et le cas n’est malheureusement pas isolé : dans plusieurs autres classements des meilleurs établissements ou cuisiniers du globe, on ne trouve aucune trace (ou presque) de représentants québécois ou canadiens.
Faut-il dès lors en conclure que, sous nos latitudes, l’excellence et le dépassement de soi ne sont pas suffisamment mis à l’honneur ? « Par rapport à d’autres cultures, à d’autres traditions, on n’insiste pas suffisamment sur la quête de la perfection, estime Christian Latour. Ce n’est pas un hasard si, dans nos écoles hôtelières, on trouve souvent plusieurs Français parmi les meilleurs élèves. » Si elle rappelle que l’ITHQ a récolté de nombreux honneurs et que le Québec rayonne dans certaines disciplines, Liza Frulla concède tout de même que « la recherche de l’excellence ne fait pas toujours partie de nos priorités. On accepte parfois trop vite certaines erreurs ; on surprotège peut-être. »
Quant au chef Laurent Godbout, il estime que si les restaurants canadiens ne figurent pas parmi les meilleurs au monde, c’est tout simplement que, ici, le client local ne cherche pas la perfection culinaire mais veut surtout vivre une sympathique expérience. « En France ou dans d’autres pays, le cuisinier est obligé de se surpasser, car le client exige l’excellence, veut ce qu’il y a de mieux. Chez nous, le Québécois recherche du comfort food de qualité mais pas une table du gratin mondial. C’est peut-être ça aussi qui nous coûte des places dans les classements et les concours... »
Rien ne saurait assombrir l’aura lumineuse qui entoure Martin Soucy, pas même la grisaille planant sur la ville en ce lundi de fin novembre. Bien installé à la table d’un café, l’éloquent PDG de l’Alliance de l’industrie touristique du Québec a le regard attentif de ceux qui aiment profondément les gens. Un instant suffit pour entrer dans le vif du sujet. « C’est une succession de défis qui m’a conduit où je suis maintenant. Les défis et la passion ! »
À 24 ans, Martin Soucy est nommé directeur général des services récréatifs du parc national d’Oka, où il avait travaillé pendant ses études en administration. « Je pense que les membres du C.A. ont perçu en moi la capacité d’amener cette équipe-là ailleurs. Je les ai trouvés audacieux de me choisir », confie-t-il, l’œil rieur.
Cinq ans plus tard, une incursion dans le secteur du transport routier lui confirme que sa place est incontestablement dans l’industrie touristique. « J’ai réalisé qu’il me manquait un élément essentiel : être un créateur de bonheur. » Les ressources humaines (qu’il rebaptise « la richesse humaine ») et la valorisation des métiers en tourisme le passionnent et le poussent à revenir à ce domaine qu’il affectionne.
Le gestionnaire prend la direction du parc national du Mont-Tremblant avant d’être nommé vice-président, exploitation, à la Société des établissements de plein air du Québec (SEPAQ), avec 1 200 employés sous sa gouverne. « Dans le cas des parcs, c’était la mission de conservation qui me tenait à cœur, de protéger ce qu’on a maintenant et de savoir que, à long terme, ce sera là pour les générations futures. » La naissance de ses deux enfants n’a fait qu’exacerber son désir de conserver ce territoire québécois auquel il est énormément attaché. « Je suis un amoureux du Québec ! »
Apprendre, se dépasser et redonner
La présence et l’influence de mentors, parmi lesquels on trouve Raymond Desjardins qui l’a accompagné pendant 15 ans, ont jalonné son parcours. « Par “accompagner’, je veux dire qu’ils m’ont donné les possibilités et m’ont aidé à réfléchir. Raymond ne m’a jamais dit quoi faire, mais il m’a toujours ouvert la voie pour que je puisse faire mes propres expériences, se souvient celui qui croit beaucoup en la relève. Il faut s’adapter aux nouvelles générations de travailleurs et leur faire confiance. »
Lorsqu’il regarde en arrière, le responsable constate qu’il a appris à être tolérant, tant envers lui-même qu’envers les autres, et à laisser à chacun le droit à l’erreur pour que les bonnes leçons soient tirées. « Ça prend une capacité d’introspection. Je crois qu’il faut être capable de se regarder, de s’évaluer et de changer, parce que notre vie n’est pas un dogme », laisse-t-il tomber.
C’est dans cet esprit de dépassement que Martin Soucy est ainsi retourné sur les bancs d’école à la mi-trentaine pour faire un MBA en tourisme international, qu’il effectue aujourd’hui un certificat universitaire en gouvernance de sociétés ou encore qu’il fait appel à un coach professionnel pour l’accompagner. « J’ai toujours le désir d’aller au-delà de mes propres limites et de m’améliorer comme être humain. »
S’unir pour réussir
Depuis deux ans, le PDG a créé une équipe qu’il guide et appuie pour que ses membres comprennent le sens, la direction et la vision de l’Alliance de l’industrie touristique et qu’ils saisissent que leur travail au quotidien s’inscrit dans quelque chose de plus grand. « Je crois que, en tourisme, il faut maintenant travailler en partenariat avec les autres secteurs économiques, en ayant en tête ce grand défi d’unir tout le monde. C’est ce qu’on a essayé de faire tous ensemble, depuis 24 mois. Et ça se passe vraiment très bien ! » Cette réussite, Martin Soucy l’attribue au désir palpable de l’industrie de se réinventer afin de s’améliorer.
La fierté de voir son équipe œuvrer à faire progresser le secteur du tourisme et rayonner le Québec n’a d’égal que le plaisir qu’il éprouve à créer les conditions gagnantes pour que ses coéquipiers et partenaires puissent ensemble se fixer des objectifs et célébrer leurs victoires. « Comme gestionnaire, il y a un moment pour mettre notre pied à terre et un autre pour offrir notre aide. Parfois, ce n’est pas de dire à mon équipe ce qu’elle peut faire pour moi, mais plutôt de savoir ce que moi, je peux faire pour elle. »
Obligé de trouver un équilibre entre son travail et sa famille, le dirigeant a dû composer avec une réalité qui lui a permis de mieux saisir les enjeux liés à cette quête de réussir dans les deux sphères d’activité. « De l’avoir vécu fait en sorte que, maintenant, à 16 h, je demande aux gens du bureau s’il y en a qui ont des contraintes de garderie. Je leur dis même : “Sentez-vous à l’aise de quitter la rencontre : nous vous ferons le dernier bilan" », souligne celui pour qui la notion de plaisir est fondamentale dans le travail d’équipe.
Dehors, Québec est toujours plongée dans sa grisaille. La tasse posée devant Martin Soucy s’est lentement vidée. L’entretien tire à sa fin, mais l’enthousiasme et la passion du dynamique patron n’ont rien perdu de leur ferveur. Bien au contraire. « C’est une superbe cause que de faire découvrir son territoire à des gens. Cette industrie est sous-estimée, mais elle connaît pourtant actuellement une croissance extraordinaire. Le tourisme est un domaine où l’on doit faire plaisir aux visiteurs : ce qui est fabuleux, c’est que, au Québec, on a tout ce qu’il faut pour ça ! »
Personnalité HRI
Nancy Brisson : « IL FAUT FAIRE RÊVER LES JEUNES »
« Si je suis fébrile ? Mais bien évidemment que je suis fébrile ! » Le petit rire nerveux qui accompagne ce cri du cœur confirme que Nancy Brisson a hâte de voir aboutir l’un des plus importants projets de sa carrière.
Depuis bientôt une décennie, la directrice du CFP Jacques-Rousseau prépare, pense et planifie le déménagement de « son » école. Et en ce gris début de décembre, ses équipes sont dans la dernière ligne droite. D’ici quelques semaines, l’établissement de Longueuil, créé voici 44 ans, quittera son nid des rues Saint-André et Saint-Laurent Est pour s’installer un peu plus au sud, entre le marché public et l’aéroport. « Je me demande parfois si c’est réel, si on voit enfin le bout de ce chantier », confie la responsable.
Ce transfert, dans lequel quelque 15,5 millions ont été investis, s’imposait, tant par l’état des locaux occupés (« On peut parler de vétusté ») que par la difficile cohabitation du CFP Jacques-Rousseau avec l’école secondaire du même nom. « Nous partagions certes les bâtiments, mais nos réalités étaient différentes, voire opposées, estime la directrice. Que ce soit pour l’approvisionnement, le stockage des denrées ou l’organisation de banquets, les lieux n’étaient tout simplement pas adaptés. »
Lorsqu’il prendra officiellement ses quartiers dans son nouvel espace au look contemporain et lumineux, le centre de formation professionnelle sera également rebaptisé « École hôtelière de la Montérégie ». Ce titre permettra d’insister sur l’ancrage local et sur les programmes offerts dans l’établissement. « Beaucoup de gens, y compris dans notre région, ne savaient même pas que la Commission scolaire Marie-Victorin proposait des formations en cuisine, en pâtisserie ou en sommellerie, justifie Nancy Brisson. Ce sera plus simple désormais. Tout sera plus simple... »
L’importance du dépassement
Malgré une formation en comptabilité et en administration des affaires, Nancy Brisson découvre très tôt l’univers de l’enseignement. Et elle en tombe immédiatement amoureuse. Après avoir enseigné durant une douzaine d’années, elle souhaite s’impliquer davantage, faire entendre ses idées et expliquer sa vision. Son diplôme de deuxième cycle en gestion d’établissements scolaires en poche, elle intègre la Commission scolaire Marie-Victorin, où elle occupe différents postes. « Lorsqu’une place s’est libérée au CFP Jacques-Rousseau, j’ai immédiatement fait part de mon intérêt, se souvient-elle. J’en suis maintenant la directrice depuis 10 ans, à mon plus grand bonheur. »
Un bonheur complet que n’assombrissent nullement les divers obstacles qui se dressent sur son parcours. On lui parle de la baisse du nombre d’élèves dans les écoles hôtelières, de la pénurie de main-d’œuvre ou de l’intérêt toujours plus faible accordé au diplôme par les employeurs ? La directrice se lance dans une longue liste de solutions et d’idées, plus enthousiasmantes les unes que les autres ! « Il faut recommencer à faire rêver les jeunes, soutient-elle. J’ai par exemple toujours cru aux Olympiades de la formation professionnelle. J’ai toujours insisté sur l’importance des voyages et des concours, qui poussent les élèves à se dépasser. »
Sa porte ouverte en permanence, elle invite également les membres de son personnel enseignant à la franchir quand bon leur semble. Elle tend aussi la main aux professionnels de l’industrie. « On doit travailler ensemble, car nous avons les mêmes besoins, les mêmes problèmes, analyse-t-elle. S’ils continuent à embaucher des jeunes qui n’ont pas fini leur formation, cela peut leur sembler intéressant à court terme. Or, à long terme, cela ne sera bon ni pour eux, ni pour les écoles hôtelières, ni même pour le jeune employé. »
Pour séduire les étudiants potentiels, pour attirer l’attention des professionnels et pour motiver encore un peu plus (si besoin était) son personnel, la directrice dispose désormais d’un argument de taille, trésor de technologie et bijou architectural. « Le déménagement dans notre nouvelle école n’est qu’une étape. Une fois installés, nous allons devoir la faire vivre. J’ai du travail pour les 10 prochaines années, ne vous inquiétez pas pour moi... »
À l’aube de la cinquantaine, Sébastien Bonnefis possède une impressionnante feuille de route jalonnée de succès et d’honneurs obtenus grâce à un travail acharné. Il a aussi, et surtout, eu la bonne idée de chercher et de trouver un juste équilibre entre sa famille et ce métier qui le passionne. « Mon père travaillait énormément. J’avais moi aussi l’impression que, plus je travaillerais, plus je serais un mec bien, confie le Français d’origine. Un jour, j’ai regardé autour de moi et je me suis dit que je pourrais peut-être ralentir... »
À 16 ans, celui qui est aujourd’hui un chef talentueux choisit d’étudier la cuisine pour se diriger ensuite vers la pâtisserie. « Ce fut un coup de cœur, lance-t-il. J’ai fait le concours du meilleur apprenti de France et étudié durant cinq ans la pâtisserie pour obtenir mon brevet de maîtrise. C’est une passion qui perdure encore aujourd’hui. » Malgré l’obtention de ce réputé brevet, les perspectives d’emploi semblent alors incertaines. En 1993, un concours de circonstances l’amène à s’installer sous nos latitudes. C’est à la pâtisserie Au Palet d’Or que s’amorce pour lui l’aventure québécoise. Il rejoindra, l’année suivante, l’équipe d’À la Table de Serge Bruyère.
Un choix, une carrière
Le jeune homme accumule les heures de travail. « En plus de travailler chez Serge Bruyère, j’ajoutais un soir par semaine au restaurant Initiale, se souvient-il. J’étais tellement habitué à bosser six jours sur sept que, pour moi, c’était devenu la norme. »
Après quatre années intenses, Sébastien Bonnefis décide que le temps est venu de ralentir. Et c’est dans l’univers de l’enseignement qu’il trouvera un certain équilibre. Lorsque l’occasion de devenir professeur au Collège Mérici se présente, un peu par hasard, le chef tente sa chance. « Même si mon brevet de maîtrise équivaut à un diplôme d’enseignement en France, ça ne m’attirait pas spécialement. Sans trop d’attentes, j’ai décidé d’aller voir de quoi il était question et je suis tombé amoureux de ce métier que j’exerce depuis plus de 20 ans », résume fièrement le chef enseignant et coordonnateur.
Mais le terrain lui manque. Une rencontre avec l’actuel propriétaire du Café- Boulangerie Paillard le fait « rechuter », confie-t-il en souriant. Pendant neuf ans, il joue sur deux tableaux. « Toutes ces années chez Paillard, durant lesquelles j’ai porté plusieurs chapeaux, m’ont énormément servi dans mon rôle d’enseignant et de gestionnaire. En agissant comme consultant, d’abord, puis en œuvrant sur le terrain, ça m’a donné l’heure juste sur les difficultés qui règnent en restauration. »
L’importance de la transmission
Son expérience, il la partage avec conviction avec ses élèves afin de leur offrir le meilleur coffre à outils qui soit. Il leur apprend la patience et la persévérance, persuadé que ce merveilleux métier se gravit un échelon à la fois et qu’il faut prendre le temps de choisir un environnement où il sera possible de s’épanouir. « Les employeurs et responsables doivent parfois se remettre en question et se demander s’ils motivent les membres de leur personnel, s’ils auraient eux-mêmes le goût de faire ce qu’ils leur demandent... Malheureusement, la réponse n’est pas toujours affirmative ! »
La passion pour cette relève est la principale raison pour laquelle il a accepté, fin 2017, d’agir comme directeur de la section locale de la Société des chefs, cuisiniers et pâtissiers du Québec (SCCPQ). « Propulser la carrière d’un jeune peut vraiment faire une différence ! » Il a aussi choisi de relever ce défi dans le but de valoriser des métiers qui ont trop longtemps eu mauvaise presse. « C’est important que l’on parle davantage de toutes les belles possibilités qu’offre cette industrie. »
Lorsqu’il regarde en avant, Sébastien Bonnefis fait confiance à la vie. « Je fonce vers l’avenir, car j’ai toujours été récompensé de mes efforts. »
Nathalie Lehoux n’est pas une présidente comme les autres. La patronne de la bannière Pacini est une « happy » présidente. Et ce simple qualificatif change bien des choses.
Ce titre coloré, ce sont ses employés qui le lui ont, en quelque sorte, attribué. « Pour revoir notre branding, nous avions soumis un sondage confidentiel à nos équipes, dans lequel elles devaient répondre à quelques questions sur la direction de Pacini, se souvient Nathalie Lehoux. Lorsqu’on a analysé les résultats, ils étaient unanimes : les gens s’entendaient sur mon côté humain, ma bonne humeur, mon sens de l’écoute... Quelqu’un a alors lancé : “C’est toi ça, tu es notre happy présidente". Et c’est resté... »
Depuis, la responsable utilise cette signature originale sur les réseaux sociaux et dans chacune de ses communications. Même lorsque celles- ci n’ont rien de joyeux. « C’est devenu un outil de travail, une marque de fabrique, confie-t-elle. Mais je ne dois pas me forcer, car ce n’est pas un personnage : j’ai le bonheur facile ! »
Entrée en poste voici bientôt cinq ans, la pétillante dirigeante a rapidement imposé son style coloré et ses idées novatrices. En octobre dernier, les restaurants Pacini dévoilaient par exemple un nouveau logo, un menu repensé et des uniformes redessinés. Objectif : s’inspirer du charme à l’italienne et redonner des accents méditerranéens à la célèbre enseigne. Cette refonte permettait également aux troupes de Nathalie Lehoux de disposer des moyens d’atteindre leur prochain — et impressionnant — objectif : passer, en 10 années à peine, de 30 à 200 restaurants. « Cela peut sembler exagéré, mais je vous assure que c’est réfléchi et réaliste », affirme la présidente.
Pour y parvenir, Nathalie Lehoux mise sur un modèle d’affaires bien précis : la restauration en hôtel. « De nos jours, pour remplacer un restaurant qui leur coûte trop cher, les hôteliers se tournent de plus en plus vers les bannières, mentionne-t-elle. Je veux que Pacini apparaisse comme le choix incontournable. On propose une solution clé en main : on offre des petits déjeuners, des dîners, des soupers, on a un côté lounge et l’expérience des banquets. »
À l’italienne
Pour « préparer le terrain », Pacini s’est rapproché, dès 2010, de divers acteurs de l’industrie hôtelière et a notamment pris ses quartiers dans le C Hôtels de Rimouski, le Moose Hotel à Banff ou le Holiday Inn de Calgary. Sur la base de ces essais plus que concluants, Nathalie Lehoux entend désormais passer à la vitesse supérieure. « En mars 2019, on s’installera au Marriott de Mississauga, et plusieurs autres ouvertures sont planifiées. À nous de trouver notre rythme de croisière pour atteindre cette fameuse barre des 200 restaurants en 10 ans. »
Malgré son optimisme contagieux, l’heureuse présidente sait que le parcours sera parsemé d’embûches, au premier rang desquelles l’inévitable pénurie de main-d’oeuvre. Mais, une fois encore, Nathalie Lehoux assure, dans un sourire, que ce défi qui fait trembler l’industrie des HRI ne l’impressionne guère. « Cette pénurie ne date pas d’hier, et nous avons pris des mesures pour la contrer, avec par exemple un plan de reconnaissance du travail de notre personnel, indique la native de Saint-Hyacinthe. Pour relever le défi des ressources humaines, il faut que l’industrie soit prête à penser différemment, à agir différemment. Il faut s’adapter, être créatif et se battre pour aller chercher la main-d’oeuvre dans d’autres filières. »
Issue de l’univers de la technologie et des finances, Nathalie Lehoux a intégré le groupe Pacini il y a 17 ans et en a gravi patiemment les différents échelons. Toujours avec ardeur. Toujours avec le sourire. « Puisque l’Italie fait partie de l’ADN de Pacini, je me suis mise assidûment à l’italien voici quatre ans, illustre-t-elle. C’est ça, je crois, la vraie passion ! »
« Tout d’abord, j’ai une anecdote... J’ai retrouvé un cahier de graduation de 6e primaire. À la question "Que vous voulez faire plus tard ?", j’avais répondu "hôtelier" », se remémore, tout sourire, Alexandre Audet. Cet oiseau rare originaire d’Abitibi, fin amalgame de convivialité, d’humilité et de maturité, est directeur général de l’hôtel Quality Inn & Suites Val-d’Or. Il s’est vu récemment décerner par Choice Hotels Canada un prix récompensant l’excellence en matière de leadership d’établissement. Ah oui, détail important : il a à peine 30 ans !
Si son intérêt pour le voyage, le tourisme et l’entrepreneuriat se manifeste à toutes les étapes de son parcours scolaire, Alexandre opte finalement pour un diplôme en comptabilité et gestion au Cégep de l’Abitibi-Témiscamingue, puis pour un bac en administration à Rouyn-Noranda. « J’aurais bien aimé faire un stage à Tourisme Abitibi-Témiscamingue, dans l’optique d’y trouver un emploi par la suite, mais l’organisation n’avait pas les ressources. J’y suis donc allé avec mon deuxième choix, en hôtellerie. J’ai ciblé Le Noranda, qui était — de mon point de vue de l’époque — le plus bel hôtel. »
Ascension fulgurante
Accueilli à bras ouverts, Alexandre est remarqué par Frédéric Arsenault, un des copropriétaires. « Il a tout de suite vu mon potentiel et m’a donné accès à tout. » Le stage se transforme en emploi d’été, puis en poste à temps partiel, comme responsable des fins de semaine et adjoint à l’hébergement. « Je voulais beaucoup... Le plus important, c’est l’attitude et la personnalité. Le reste, ça s’apprend. »
Après l’obtention de son diplôme, son désir de revenir à Val-d’Or l’amène à prendre la relève d’un congé de maternité à l’Office du tourisme et des congrès, où il coordonne réunions et événements. À la même époque, on annonce la construction d’un nouveau Quality Inn. « Je me suis dit : "Wow, un beau défi !" » Avant même l’affichage des postes, Alexandre écrit à l’un des copropriétaires, Fernand Trahan, par ailleurs maire de la ville. « J’ai été appelé un matin. C’était monsieur le maire. Il m’a convoqué à une rencontre. C’était en 2010. J’avais 22 ans. Tout le C.A. était là, et j’ai découvert sur place qu’il s’agissait d’une entrevue pour le poste de directeur adjoint. »
Alexandre saute dans le train deux mois avant l’ouverture en prenant en charge les responsabilités liées à la réception, aux ventes et aux salles de réunion. « J’ai tout mis en place, de A à Z. C’était une super expérience, que de tout décider : ce qu’allait être un check-in chez nous, les normes de service, les uniformes... »
« Le plus important, c’est l’attitude et la personnalité. Le reste, ça s’apprend. »
Quatre ans plus tard, le jeune homme a le sentiment d’avoir exploré tout ce qu’il y a à savoir dans son milieu de travail. Il quitte son poste pour devenir conseiller en développement à la Corporation de développement industriel et commercial de Val-d’Or. Cette expérience de bureau ne lui convient pas du tout, mais il y échappe : le départ du directeur général du Quality Inn ouvre une porte inespérée que « monsieur Trahan » l’invite à franchir. En 2016, avant même d’avoir atteint la trentaine, Alexandre devient DG. « Une grosse partie du travail, je la connaissais déjà. J’ai rencontré chaque responsable de service afin de savoir ce qui avait changé, comment ils voyaient la situation et où on devait aller. »
Leadership humain
Alexandre Audet choisit de minimiser les changements et de concentrer ses énergies sur certains dossiers qui lui tiennent à cœur, comme l’amélioration et la systématisation des pratiques en ressources humaines. Avec son équipe, il élabore une politique de RH et un manuel des employés, peaufine les stratégies d’évaluation et réalise des sondages de satisfaction auprès du personnel. « Par exemple, à la demande de nos employés, on a revu notre offre en assurances collectives. Nous avons enlevé des avantages qu’ils n’utilisaient pas pour offrir des choses qui leur plaisaient davantage. Ça n’implique pas de coûts supplémentaires pour nous, mais leur satisfaction est plus élevée. »
Il en profite également pour augmenter la cadence des réunions, un outil de mobilisation, de mise en commun et d’amélioration continue indispensable à ses yeux. « Pour moi, un leader, c’est quelqu’un qui a de l’écoute et qui laisse de la place aux autres. Reconnaître les employés, ce n’est pas juste leur dire bravo. Ils sont nos yeux et nos oreilles : on doit accueillir leurs commentaires, les consulter et être cohérents avec ce qu’on a entendu. »
Cercle vertueux
Malgré la pénurie de main-d’oeuvre qui sévit au Québec, le directeur général a le sentiment que celle-ci n’affecte pas vraiment son établissement. « Tout le monde veut travailler pour une entreprise qui a du succès. Dans les entrevues d’embauche, les candidats soulignent leur goût de travailler ici et mentionnent l’accueil sympathique qu’ils ont reçu. »
Et cette approche porte ses fruits, puisque l’établissement et son directeur cumulent les honneurs : le prix Hospitalité Platine reçu chaque année depuis 2013, le prix Ring of Honor, le prix de l’Hôtel canadien de l’année (en 2014 et 2018) ou encore le prix Hôtel Quality Inn International de l’année 2014. Alexandre partage le mérite et souligne d’emblée que ces récompenses sont le fruit du travail d’une équipe qui exige beaucoup d’elle-même.
« Chaque année, je retourne au Cégep pour parler de mon parcours et du service à la clientèle. Je dis aux étudiants que leur réputation, ils la bâtissent par leur emploi étudiant, la recommandation d’un professeur et leur engagement dans le milieu. Moi aussi, j’ai eu des petits bouts "oups-ça-c’est- vraiment-pas-pour-moi”, mais j’ai toujours fait la job pareil, j’ai toujours donné mon meilleur. Et ça, ça sert tout le temps. »
Originaire de Saint-Martin, dans les Caraïbes, Nicolas Delrieu est devenu entrepreneur à 13 ans : il présentait des tours de magie à la clientèle touristique de son coin de pays. « Une fois par semaine, je ramassais les mégots de cigarette sur la place qui fait face à la Baie-Orientale, se souvient l’homme d’affaires passionné d’aviation. Les restaurants du coin me permettaient alors de faire de la magie dans leur établissement. C’était donnant-donnant. Ce fut ma première affaire ! »
Avant même d’avoir franchi le cap de la vingtaine, Nicolas Delrieu ouvrait son premier restaurant sur l’île, Le Moulin Fou. « La première chose que j’ai faite, c’est d’installer une mezzanine et une salle de bain pour que je puisse y vivre, se remémore-t-il. Tout était à faire puisque ce n’était au départ qu’un local avec quatre murs en béton. J’étais sur place en tout temps. J’y ai beaucoup appris. » Au cours des huit mois que durera l’aventure, l’entrepreneur fait ses classes et remet en question son désir de poursuivre dans cette profession. « J’ai finalement vendu, j’ai quitté Saint-Martin et je me suis dit : "La restauration : plus jamais !" »
Pourtant, dès son arrivée au Québec en 2010, ce fils d’une professeure d’anglais et d’un rugbyman retrouve rapidement le chemin des cuisines et des salles à manger. Le Duc de Lorraine, au sein duquel il gravira peu à peu les échelons, lui permet de redécouvrir une industrie qui l’avait laissé amer. « J’ai été serveur à temps partiel comme la plupart des étudiants. Je suis passé à temps plein, je suis devenu gérant, puis le propriétaire m’a proposé de prendre des parts. Et je m’y suis remis peu à peu. » Il n’en fallait pas plus pour lancer la carrière du gestionnaire !
À la conquête des sommets
Le Speakeasy, restaurant de style clandestin, est le premier concept que Nicolas Delrieu et son associé, Cédric St-Onge, ont élaboré. « C’est l’originalité des projets qui m’allume ! » Toutefois, faire connaître un endroit caché représentait un défi beaucoup plus grand que prévu. « Quand on a ouvert, on n’a pas fait d’invitations aux médias. À mes yeux, ça ne servait à rien. Je suis arrivé ici avec une autre mentalité, et ça nous a causé du tort au début », avance-t-il humblement.
Mais le Caribéen a appris. Il estime aujourd’hui que, pour être un bon gestionnaire, il ne faut pas être trop autoritaire ni se penser au-dessus des autres. « Plus l’équipe est soudée, mieux ça va aller. À vouloir trop imposer son avis et à ne pas écouter les gens autour, on n’avance pas. » C’est dans cette optique que Nicolas Delrieu envisage la relation qu’il entretient avec son personnel, dont il mesure toute l’importance. « En janvier, on a par exemple fermé nos restos cinq jours pour partir à Cuba avec les membres du personnel qui le souhaitaient. C’est très important pour souder les équipes. »
Au cours des cinq prochaines années, l’entrepreneur envisage de poursuivre sur la voie du développement. Il se dit fier des équipes en place dans ses établissements (*), puisqu’elles lui permettent de continuer à concrétiser ses projets les plus fous. « C’est un peu comme une drogue. On prépare par exemple l’ouverture d’un bar dans le sous-sol du Speakeasy, on commence les travaux cet hiver. Et comme à chaque fois, je me demande "Mais pourquoi je fais ça ?” »
Depuis son retour dans la restauration, le jeune homme poursuit son autre rêve, son autre objectif : être pilote d’avion. « J’ai toujours eu dans l’idée que, avant 35 ans, je serais pilote. J’en ai 28 ... » À le voir aller, on lui donne de grandes chances de réussir.
(*) Outre le restaurant Speakeasy, Nicolas Delrieu et ses associés possédaient, fin 2018, Chef’s Table, Tô Comptoir asiatique et Freeze Brothers.
Dans la plupart des esprits, une maison de retraite apparaît comme un lieu sans promesses, un endroit morose et funèbre qui nous rappelle notre finalité. Mais dans la tête de l’ambitieuse Chantal Lessard, c’en est un de possibilités.
Directrice de la mise en exploitation au Groupe Maurice qui détient une trentaine de résidences pour retraités un peu partout au Québec, elle observe la demande croissante causée par le vieillissement de la population. « Les places en CHSLD ne suffisent pas, rappelle-t-elle. Celles disponibles dans le secteur privé non plus. Tout est à penser et à bâtir. Il y a vraiment de l’avenir dans ce milieu. »
Chantal Lessard travaille au Groupe Maurice depuis cinq ans : elle a vu les effectifs du siège social doubler et les résidences se multiplier sans cesse. Trois autres sont d’ailleurs actuellement en construction. La mission de la jeune trentenaire est de veiller à ce qu’elles soient entièrement prêtes à accueillir les retraités à temps, à la date prévue. Le mobilier doit être en place et le personnel, en poste.
Au bout du fil, Chantal Lessard raconte avec enthousiasme le programme de sa journée : elle se rendra, malgré le rhume qui l’assaille, dans la future résidence de Gatineau pour y rencontrer la nouvelle équipe responsable de l’entretien ménager. « Nous visiterons les lieux avec le directeur du service afin d’aborder les projets à venir et notamment les normes de sécurité à respecter dans un chantier de construction », explique-t-elle.
Elle ira ensuite à la rencontre des gestionnaires de la future résidence pour prendre le pouls de leur cheminement pendant qu’ils traversent une intense période de formation pour bien comprendre le fonctionnement des résidences et saisir les besoins propres à une clientèle de retraités, souvent méconnue des professionnels de l’administration.
Priorité au bien-être
Chantal Lessard a dirigé la résidence L’Image d’Outremont (un autre établissement du Groupe Maurice) durant quelques années avant qu’on lui offre son poste actuel. Cette expérience du terrain a fait d’elle une gestionnaire très humaine, sensible au confort des aînés. « Je sais quel est l’impact d’un meuble installé trois pouces trop loin pour une personne qui se déplace à l’aide d’un déambulateur », cite-t-elle en exemple. À ses yeux, il est là, le défi d’évoluer dans un milieu prometteur, effervescent, en pleine croissance : maintenir le bien-être des aînés au-delà des décisions et des ambitions économiques. « Quand on a côtoyé des résidents et leur famille, il est impossible de les oublier par la suite », confie-t-elle, attendrie.
Si on lui avait demandé, lorsqu’elle était étudiante à l’Université de Sherbrooke et qu’elle travaillait en hôtellerie à Magog, ce qu’elle ferait à 32 ans, jamais Chantal Lessard ne se serait imaginée en maison de retraite. Pourtant, elle n’hésite pas à l’affirmer : son parcours y est des plus stimulants. « J’ai eu la chance de faire des choses surprenantes, ici », dit-elle. Des tâches inattendues comme négocier des ententes gouvernementales pour offrir aux résidents les soins de santé adéquats ou encore participer à des travaux de recherche de l’Université McGill sur SOFI, un logiciel d’informatisation des dossiers médicaux de la clientèle qu’a concu et mis en place le Groupe Maurice.
Et où sera Chantal Lessard dans 10 ans ? Elle nous offre un rire en guise de réponse. Assurément dans le même milieu pour plusieurs années encore, précise-t-elle. Le contexte démographique et la croissance accélérée de l’entreprise où elle s’épanouit lui font en effet envisager la possibilité de gravir les échelons et de mettre à profit son expertise. Chose certaine, la gestionnaire sera là où les défis seront grands.
Début 2018, 12 ans après ses premiers pas au sein des Hôtels Marineau, Donald Desrochers en devient propriétaire et directeur général. « Mon premier réflexe n’avait pas été de me dire : "Allez, je l’achète !” avoue l’entrepreneur. Dans ma tête, un jeune de 30 ans issu de la classe moyenne n’achète pas une chaîne d’hôtels à 7,9 millions... Mais tout le monde me posait la question : "Ça fait 12 ans que tu es là, pourquoi tu ne l’achètes pas ?” »
Poussé par sa fougue, le jeune homme avait alors entrepris les démarches qui l’ont conduit à réaliser ce rêve un peu fou de posséder le plus important groupe hôtelier indépendant de la Mauricie. En plus d’être trésorier de Tourisme Mauricie et vice-président de l’Office de tourisme, foires et congrès de Shawinigan, Donald Desrochers siégeait alors à plusieurs conseils d’administration. « Ce sont des éléments qui ont rassuré les banquiers », estime-t-il. Grâce à un programme de mentorat qui lui avait permis de bénéficier d’une dizaine d’heures de consultation gratuite, le gestionnaire avait également monté son plan d’affaires et s’était outillé pour faire face aux obstacles qui allaient se dresser sur sa route. « Je me suis dit que je n’avais rien à perdre », se souvient-il.
La force de l’équipe
La vision rassembleuse de Donald Desrochers lui a été bénéfique : ses anciens collègues, devenus ses employés, ont ressenti un profond soulagement de le savoir aux commandes du navire. « Même si je suis celui qui fatigue un peu parce qu’il veut toujours changer les choses et les habitudes ancrées depuis 50 ans, j’ai senti que l’équipe se disait : "On le connaît : c’est un des nôtres !” » L’incertitude a rapidement fait place à une synergie où chacun peut contribuer au succès de l’entreprise.
Tôt dans le processus, le jeune directeur a compris l’importance d’être bien accompagné. « J’ai acheté seul, mais si aujourd’hui ça fonctionne, c’est parce que j’ai une bonne équipe. Quand on a 30 ans, on doit assumer le fait de ne pas tout savoir. Comme quelqu’un me l’a déjà rappelé : seul on va plus vite, mais en groupe on va plus loin ! » C’est dans cet esprit que le nouveau propriétaire s’est entouré de mentors dans son conseil d’administration et qu’il a fait tomber peu à peu les barrières hiérarchiques. « Nous sommes en train de créer un écosystème. »
Contre vents et marées
Mais tout ne fut pas aussi simple. Dans ses nouvelles fonctions, l’homme d’affaires a dû affronter bien des défis ; la pénurie de main-d’oeuvre fut sans conteste le plus périlleux. « C’est horrible : on se vole littéralement nos employés ! On l’a vu venir, mais c’est la première fois qu’on a de la difficulté à recruter des serveurs. » Donald Desrochers a dû relever ses manches et adapter ses conditions d’embauche à la réalité du marché. « Ça nous pousse à être créatifs et beaucoup plus flexibles. »
Le gestionnaire est également fier de ne pas avoir abandonné face à l’adversité au cours des 12 mois qu’aura duré le processus transactionnel. « Il y a des gens qui vont croire en toi, mais il y en a encore plus qui vont essayer de te décourager, regrette-t-il. Ce qui est important, c’est de se lever le lendemain et de foncer. On ne doit jamais abandonner. »
C’est dans cette philosophie que Donald Desrochers puise sa motivation à regarder vers l’avenir pour réaliser des rêves qui peuvent sembler, de prime abord, inaccessibles. Comme celui de voir les Hôtels Marineau devenir « la » référence de l’autoroute 55. « Vise la Lune pour atteindre les étoiles... », glisse-t-il.
« Oui, on mange bien dans les CPE ! » La phrase est lancée avec aplomb. Au bout du fil, Philippe Grand est prêt. Fin prêt. L’homme présente un CV et une expérience des plus impressionnants. Formé à l’ITHQ au début des années 2000, il a œuvré pendant sept ans dans le milieu de la restauration avant de décrocher un baccalauréat en nutrition à l’Université de Montréal. « La restauration m’intéressait, mais elle ne me passionnait pas, confie-t-il. J’étais par contre très curieux d’en apprendre davantage sur les aliments, de trouver des réponses à mes nombreux "pourquoi” et "comment”. »
Son bac en poche, Philippe intègre les équipes de La Tablée des Chefs et les aide à créer différents ateliers. Il se joint ensuite au projet Extenso, un organisme à but non lucratif lié au département de nutrition de l’Université de Montréal. « Je m’y suis penché sur les offres et pratiques alimentaires dans les services de garde québécois. En huit ans, j’ai visité une centaine de cuisines de CPE. En 2016, cela m’a amené, tout naturellement, à rejoindre les rangs de l’Association québécoise des CPE (AQCPE). »
Désormais chef d’équipe Saine alimentation au sein de l’AQCPE, Philippe Grand joue un rôle inestimable dans la nutrition de milliers de bambins aux quatre coins du Québec. Son organisation guide, accompagne, conseille, forme. Elle établit les besoins des centres de la petite enfance qui la consultent et leur offre des solutions. Mais sans jamais contrôler ni sanctionner. « Ne vous inquiétez pas : il y a toujours des gens pour inspecter – heureusement, d’ailleurs. Mais nous, ce n’est pas notre job », résume-t-il.
Alors qu’il aurait pu magnifier ces aliments qu’il aime tant dans les cuisines d’un restaurant et recueillir les félicitations de clients repus, Philippe Grand a donc choisi d’évoluer dans l’ombre. Et cela semble parfaitement lui convenir. « C’est vrai que nous ne sommes pas souvent exposés aux projecteurs, mais nous ne nous en plaignons pas. À nos yeux, l’important, c’est de savoir que nos actions ont une influence positive sur les menus servis aux enfants et sur leur qualité de vie. Ce sont eux, notre priorité ! »
Gain inestimable
S’il avance donc qu’aujourd’hui les repas servis dans les CPE sont d’une très bonne qualité, cela n’a pas forcément toujours été le cas, reconnaît Philippe Grand. Pour expliquer les « nettes améliorations » observées au cours des dernières années, il cite notamment la fixation, en 2014, du cadre de référence Gazelle et Potiron. Celui-ci a permis de faire adopter de saines habitudes de vie dans les services de garde éducatifs de la province en misant sur deux axes principaux : le jeu et l’alimentation. Ce cadre non contraignant contient une liste de propositions que les CPE sont libres de reprendre ou d’interpréter en fonction de leurs connaissances culinaires, de leurs équipements ou de leur budget.
« Gazelle et Potiron a eu le mérite d’insister très clairement sur l’importance de proposer un menu équilibré, précise Philippe Grand. Aujourd’hui, la grande force du réseau québécois, c’est que l’on trouve, dans presque toutes les cuisines de CPE, une personne qui prépare les plats. C’est assez unique en Amérique du Nord. Et en offrant des menus équilibrés, du poisson, des fruits frais, des protéines végétales, des grains entiers, on s’assure que l’enfant est exposé, dès son plus jeune âge, à une panoplie de goûts et d’aliments. C’est un gain inestimable ! »
Malgré ces avancées notables, le chef d’équipe sait que la route est encore longue et que l’AQCPE devra franchir d’autres obstacles et mener d’autres batailles. Si la plupart des garderies ont ainsi compris qu’elles pouvaient profiter des repas pour éduquer les plus jeunes, quelques centres ont pris un certain retard sur ce plan. Quant à la pénurie de main-d’oeuvre, elle ne fait pas uniquement grincer les dents des hôteliers et des restaurateurs : dans certaines régions, elle se fait également lourdement sentir dans les coulisses des services de garde.
Du temps, beaucoup de temps...
Mais dans les centres de la petite enfance, le principal chantier des prochaines années pourrait être résumé en deux mots : alimentation durable. « En matière de produits bios et locaux, même s’il y a comme toujours quelques chefs de file, on a encore beaucoup de progrès à faire », estime Philippe Grand. Difficultés d’approvisionnement et budgets restreints freinent en effet bien des responsables de CPE. « Ce n’est pas de la mauvaise volonté, mais plutôt de la méconnaissance, poursuit-il. Quand on dit que le bio coûte cher, la bonne question est de savoir de combien ça augmenterait le budget d’un CPE. Et si on continue d’utiliser du thon et du pangasius parce qu’ils sont moins chers, peut-être faudrait-il se demander quel est leur coût environnemental ? Mais je ne jette pas la pierre aux cuisiniers ni aux directions des centres. Cela prendra du temps. Beaucoup de temps. »
Conscient du potentiel incroyable des CPE, passionné par les dossiers touchant l’alimentation et la nutrition, Philippe Grand entend bien poursuivre ses efforts. Et plaide, comme bien d’autres, pour que des « investissements intelligents » soient réalisés. « Investir dans les cuisines des garderies, c’est investir dans la santé de nos enfants, dans leur avenir, rappelle-t-il. Un beau menu, ça aide à grandir, ça aide à s’amuser, ça aide à découvrir. »
« Investir dans les cuisines des garderies, c’est investir dans l’avenir de nos enfants »
Résumer la vie et les 40 ans de carrière du chef Mario Julien en quelques centaines de mots, c’est comme vouloir filtrer 50 litres de bouillon avec une passoire à thé : pas impossible, mais intense !
L’homme garde un souvenir chaleureux de sa petite enfance passée à la ferme familiale de Saint-Martin, en Montérégie, où le quotidien est rythmé par le soin apporté aux terres et aux bêtes. D’une nature curieuse, le jeune Mario participe à la traite, à l’abattage et à la cuisine des produits, en s’intéressant au pourquoi du comment.
Lorsque le garçon a environ 10 ans, son père sombre dans l’alcoolisme et perd la ferme. De déménagement en déménagement, la violence s’installe. À 14 ans, après une brutale altercation, les policiers suggèrent à Mario de se trouver un autre endroit où loger. Il se tourne vers des restaurateurs grecs qui l’emploient à la plonge. « Je suis allé les voir en pleurant. Ils m’ont gardé, et je suis resté. Mon grand-papa grec a fait mon éducation de A à Z, il m’a montré comment ouvrir un compte en banque et, surtout, comment cuisiner. C’était un monsieur de qualité. »
Au bout de quelques années, et malgré sa gratitude, le jeune homme constate que la job ne paie pas assez. Son désir d’apprendre l’amène à effectuer une succession de stages dans des restaurants qui piquent son intérêt, enrichissant son bagage. En 1976, il devient chef de soir dans un restaurant de cuisine italienne, au Labrador. « L’aventure commence réellement en 1989. Je suis alors dans une brasserie, La Baraque, à Vaudreuil. Je donne 100 % de moi-même, et on réussit à aller chercher le Mérite de la restauration pour la région. »
Honneurs et soutiens
Avec un réseau qui s’élargit et des expériences qui se multiplient au Québec comme à l’international, la carrière de Mario Julien va bon train, mais il n’arrive pas à savourer la reconnaissance. « J’ai eu pendant longtemps l’impression d’être un imposteur. Chaque fois que je disais à d’autres cuisiniers que j’avais appris sur le tas, ils levaient le nez sur moi. »
En 2001, Mario est consacré Chef cuisinier national du Québec. « Cela a été une année de noirceur. J’avais des migraines, des vomissements. Est-ce que je méritais cet honneur ? » Soutenu par l’amitié de certaines personnalités comme Sœur Angèle, appuyé par la Fédération des producteurs de porcs du Québec, motivé par les bons mots de chefs réputés comme Daniel Vézina, l’homme multiplie les engagements et les missions commerciales. Il bâtit sa confiance en lui.
En 2003, il est recruté par le club de Golf Le Mirage, alors propriété de René Angélil. Il y entreprend un ambitieux virage gastronomique. Après trois ans de tumulte, les choses se placent. Il y exerce toujours aujourd’hui et envisage d’y rester jusqu’à ses 70 ans, en continuant à travailler plus de 70 heures par semaine. « Sans la cuisine, je suis perdu », avoue-t-il candidement.
« Dans leurs yeux »
Celui qui a formé des centaines de cuisiniers au cours de sa carrière les considère comme ses enfants. « Ils sont tous partis avec un morceau de moi. Quand je rentre en cuisine et que je fais le tour des frigos, c’est une main sur l’épaule, deux becs, un "Comment ça va ?” Et quand je vois dans leurs yeux que ça ne va pas, je leur dis de venir me voir. Les gens ont besoin d’être reconnus. »
Enthousiasmé par le développement de la culture culinaire québécoise et amoureux des produits du terroir, le chef se désole du peu de mobilisation parmi les cuisiniers. Cela se traduit, selon lui, par la quasi-absence de la reconnaissance du métier et d’améliorations des conditions de pratique, indispensables pour intéresser les jeunes d’aujourd’hui. « Il y avait ce jeune homme, Gabriel. Je le voyais comme ma relève. Il m’a dit : "Chef, je regarde votre qualité de vie, et c’est non”. Mais moi, je suis content de ma vie, d’avoir fait ce que j’ai fait, avec ce que j’avais entre les mains au départ. »
Personnalité HRI
Famille Stafford : LE CHARME DISCRET DE LA PERFECTION
Lorsque Steve Stafford met la main, en 1979, sur le Manoir Hovey, une magnifique auberge lovée sur les bords du lac Massawippi à quelques encablures du charmant village de North Hatley, tout le Québec a encore en mémoire le terrible incendie qui a ravagé quelques mois auparavant le Ripplecove Inn d’Ayer’s Cliff, également propriété de la famille Stafford. La catastrophe a alors coûté la vie à 11 touristes ontariens. Une telle tragédie aurait poussé plus d’un hôtelier à abandonner l’industrie. Les Stafford, eux, décident de poursuivre leurs efforts et leurs rêves. Et tandis que son frère, Jeffrey, reconstruit le Ripplecove, Steve s’attèle à faire du Manoir Hovey l’une des adresses les plus respectées et réputées de la scène nationale, voire internationale.
En juillet 2016, l’établissement des Cantons-de-l’Est trône en tête du classement des meilleurs hôtels et auberges du Canada établi par le prestigieux Travel + Leisure. Il parvient, en outre, à accrocher une superbe 19e position au niveau mondial. « Pour une petite propriété perdue dans la campagne québécoise, c’est assez exceptionnel », lance fièrement Jason Stafford, directeur général du Manoir.
Fils du propriétaire, Jason Stafford a grandi dans cet idyllique domaine et a, au fil des ans, occupé bien des fonctions au sein de l’hôtel familial. « J’ai même donné des cours de ski nautique, se souvient-il. Mon épouse est aujourd’hui responsable des ventes et du marketing, et nous vivons sur la propriété. Mon père habite juste à côté. Ma belle-sœur, qui travaille également avec nous, réside à quelques centaines de mètres. Je suis souvent à l’étranger pour promouvoir le Manoir Hovey ; le fait de le savoir en de si bonnes mains me facilite largement la tâche. »
Rénover, repenser, améliorer
Alors que certains hôteliers, chefs ou restaurateurs québécois semblent se plaire à attirer les projecteurs, le clan Stafford, lui, préfère l’ombre, voire l’anonymat. « On n’aime pas trop faire parler de nous, résume simplement le directeur. La véritable vedette, c’est le Manoir ! Et puis, mettre en permanence l’accent sur notre famille, ce serait cacher l’importance de tous ceux qui travaillent ici et nous aident à atteindre un tel niveau. » Et de citer par exemple les extraordinaires prouesses effectuées en cuisine par le chef Roland Ménard et ses équipes, qui ont transformé les assiettes servies aux clients en de gourmandes cartes de visite. « La gastronomie, c’est la base de notre philosophie, souligne Jason Stafford. Le respect du produit, la valorisation du terroir, c’est aussi cela que nos visiteurs viennent chercher. Cela ne nous a pas empêchés de diversifier notre offre et de proposer par exemple un service plus casual au bistro Tap Room. »
Au fil des ans, les Stafford ont multiplié les investissements et apporté plusieurs modifications à leur prestigieuse demeure, tout en respectant, évidemment, son cachet et son charme historiques. Un projet d’agrandissement devrait ainsi être prochainement mis en oeuvre ; il aboutira à la création d’un tout nouveau pavillon. Car si d’aucuns se satisferaient des trophées et honneurs récoltés, la direction du Manoir Hovey refuse quant à elle de se reposer sur ses lauriers. Chacun travaille, rénove, repense et améliore sans cesse un produit déjà très performant.
« Si un hôtelier pense que tout est parfait dans son établissement, c’est qu’il se trompe, affirme tout de go Jason Stafford. On essaie de ne pas trop regarder les classements et palmarès, de ne pas trop se mettre de pression sur ce plan : il serait quasiment impensable de rester au sommet durant 10 ou 20 ans. Mais on essaie de travailler plusieurs aspects, comme le service ou l’expérience que l’on offre à la clientèle. Il y a toujours moyen de faire mieux. »
Enfant, Jean Laviolette rêvait d’imiter son père en devenant consultant en aménagement de cuisines commerciales. Timidement, à l’âge de six ou sept ans, il entamait déjà sa carrière, s’asseyant à la table à dessin paternelle pour y gribouiller des lignes, des cercles, des visages, qui prenaient plus tard la forme de murs, de comptoirs et de fours.
Celui qui est aujourd’hui septuagénaire admirait ce père qui a fondé, à l’aube de la Révolution tranquille, le premier bureau de conseil en design de services alimentaires au Canada. Au début des années 1950, Constant Laviolette a en effet imaginé, notamment, la cuisine de l’oratoire Saint-Joseph, qui fournissait à l’époque l’une des plus vastes salles à manger de Montréal, avec un restaurant de 300 places et une cafétéria qui en comptait une centaine de plus.
« Mes parents géraient le restaurant de cette gigantesque maison de touristes, se souvient-il, un brin de nostalgie dans la voix. J’avais cinq ou six ans, j’étudiais au Collège Notre-Dame, juste en face. Je traversais la rue pour aller m’y amuser : j’aidais le pâtissier, le cuisinier, je jouais à la caisse. » Une passion était née.
Le curriculum vitae de Jean Laviolette pourrait faire 10 pages. Des projets de conception d’envergure, il en a accumulé des tonnes au fil de sa longue carrière. S’il fallait n’en nommer que quelques-uns, sachez par exemple que la cuisine de l’Hôpital général juif, celle du Centre Bell et celle du Ritz-Carlton ont été créées de sa main. Les espaces de préparation culinaire du luxueux hôtel, il les a en fait repensés à trois reprises. Chaque fois, ils étaient plus restreints, même si la Maison Boulud — le restaurant haut de gamme de l’entreprise — et la majestueuse salle de réception accueillaient une clientèle toujours plus nombreuse. Dans les années 1960, l’homme d’expérience avait eu comme mission de concevoir une surface de 20 000 pieds carrés. La superficie qu’il a dessinée près de 50 ans plus tard en faisait moins de la moitié.
« Depuis mes débuts dans la firme de mon père, mentionne-t-il, j’ai vu l’industrie de la restauration changer. La technologie a fait son apparition ; elle a permis d’accomplir plus avec moins de main-d’oeuvre. Les cuisines se sont rapetissées grâce à des équipements de plus en plus performants, comme des fours combis et des réchauds à induction. »
De formations en salons
Celui qui rédigeait autrefois ses devis à la machine à écrire a connu bon nombre de révolutions technologiques. La mise en marché d’AutoCAD, le logiciel de dessin assisté par ordinateur utilisé par les architectes, a transformé sa profession. « Dans les années 1990, nos clients étaient gênés de nous faire reprendre tous nos croquis tracés au crayon pour changer un four de place », se souvient-il en riant.
Aujourd’hui, tous les appareils vendus par son employeur, le fournisseur de solutions de cuisine clé en main Doyon Després, sont programmés dans l’outil informatique. Les designers n’ont qu’à les saisir et les déplacer en un clic dans leurs squelettes numériques. Au dire de Jean Laviolette, il y a 30 ans, les clients obtenaient plans et devis au terme de trois mois de travail. Ils les reçoivent désormais au bout d’une semaine.
Jamais, l’homme de 74 ans (bientôt 75...) ne prendra sa retraite. Curieux, il court d’une formation à l’autre, d’un salon à l’autre, pour être au fait des tendances et des avancées du secteur alimentaire. L’arrière-grand- père, que ses clients et collègues surnomment « La Bible », actualise son savoir pour pouvoir continuer à le transmettre. C’est une nécessité à ses yeux, puisqu’au Québec, et même au Canada, aucune formation en tant que telle ne permet d’obtenir le titre de « designer de cuisine industrielle » ; lui, il l’a décroché en 1963 grâce à des études aux États- Unis, à l’Université Cornell.
Pour que ses acquis et connaissances lui survivent, l’homme prévoit la publication d’un manuel s’adressant aux consultants en aménagement de services alimentaires, sorte de livre de référence qui détaillera, en 14 volets, les enjeux propres à la pratique. Son père, qui a enseigné à l’ITHQ pendant une quinzaine d’années, en avait entamé la rédaction avant de s’éteindre. Mais la commercialisation de l’ouvrage peut encore attendre : Jean Laviolette, qui a dansé des heures durant lors de la fête de Noël organisée voici quelques semaines par son employeur, n’est pas près de tirer sa révérence.
Journaliste, blogueuse, chroniqueuse, critique et désormais auteure, Allison Van Rassel est une touche-à-tout. « On m’a souvent dit que j’étais une girouette, sourit-elle. Je ne sais pas toujours dans quelle direction je vais ni pourquoi j’emprunte telle voie, mais je fonce. Et puisque ce sont les émotions et les rencontres que je recherche, je prends tout ce qui vient. Mon seul véritable objectif dans la vie, c’est d’être heureuse de me lever chaque matin ! »
Et heureuse, la pétillante jeune femme semble bien l’être. Depuis un peu plus de deux ans, elle décortique pour le compte de Radio-Canada l’actualité de l’industrie de l’alimentation et prend notamment un flagrant plaisir à mettre en valeur ceux qui y évoluent souvent dans l’ombre. Si elle estime être une « véritable privilégiée », Allison Van Rassel a pourtant roulé sa bosse, tenté différentes carrières et visité plus d’une ville avant de poser ses valises et ses lunettes colorées dans les bureaux du diffuseur public de la rue Saint-Jean, au cœur de « sa » ville de Québec.
Née à Mattawa, dans une communauté franco-ontarienne du nord de l’Ontario, Allison découvre, à six mois à peine, la Cité de Champlain. Mais c’est un peu plus à l’est, dans le jardin et la cuisine de ses grands-parents, que naît son intérêt pour les bons produits. « Mon grand-père était pisciculteur et ma grand-mère, artiste céramiste. Ils habitaient dans le Bas-Saint-Laurent, où ils avaient un potager et élevaient des dindes. Tout ce que nos ancêtres faisaient pour vivre en autarcie, ils le faisaient. J’adorais passer du temps à les regarder ramasser des fèves ou enlever les "bibittes à patates”. Et quand ma grand-mère cuisinait, c’était toujours savoureux. Toujours... » soupire la journaliste, qui mentionne également l’influence de son beau-père, Bernard, passionné de cuisine et fan inconditionnel du chef Paul Martin.
Liberté de ton
De gastronomie, il n’en sera pourtant presque pas question durant ses premières années professionnelles. Après avoir fourbi ses armes sur les ondes de CHYZ, Allison Van Rassel atterrit à Toronto et rejoint les équipes du Daily Commercial News. Après une mutation à Montréal, elle intègre la station CHOM-FM. « J’y ai animé pendant trois ans. J’y ai aussi découvert les secrets de la réalisation et de la mise en ondes. » Malgré tout, et bien qu’elle décroche un autre mandat (elle enseigne le journalisme dans une école secondaire de la métropole), Allison sent alors le profond besoin de retrouver ses proches et cette ville de Québec qu’elle affectionne tant.
De retour « à la maison », la demoiselle quitte – momentanément – l’univers des médias et découvre celui du service à la clientèle. Ce sera pourtant dans ce contexte que se produira le déclic. « J’ai fait beaucoup de belles rencontres et, surtout, j’avais l’occasion d’aller au restaurant plusieurs fois par semaine, se souvient-elle. J’ai vite noté chez moi une curiosité naturelle pour la nourriture, pour l’industrie de la restauration. À force de donner des conseils à mes amis, j’ai décidé de partir mon blogue, Foodie Québec. »
« Ce sont les émotions et les rencontres que je recherche. »
La machine est en marche. CBC la repère en premier ; son pendant francophone s’empresse de lui demander de traduire ses papiers. De 2013 à 2016, c’est dans la salle des nouvelles de Radio-Canada qu’elle poursuit son apprentissage. À temps plein. De la radio, du Web, de la télé. Jamais rassasiée, Allison Van Rassel obtient une dérogation et l’autorisation d’exercer ses talents dans d’autres médias, sur d’autres tribunes. « Et depuis septembre 2016, je gagne officiellement ma vie à couvrir l’univers gastronomique », précise-t-elle, non sans fierté.
Assez rapidement, Allison étonne et détonne. Elle n’hésite pas, par exemple, à critiquer, à pointer les lacunes de telle assiette, à questionner les idées de tel établissement. « Ce n’est jamais de la méchanceté : c’est de l’authenticité, justifie- t-elle. J’ai besoin de cette liberté de ton. Je comprends l’univers des blogueurs et des médias sociaux ; je le connais... Mais à mes yeux, il est difficile, voire impossible de parler et d’écrire sincèrement dans ce monde là. » Ses commentaires parfois acerbes lui ont valu quelques conflits ou réactions déplaisantes. « Dans cette industrie de passionnés, il est évident que ça ne fait pas plaisir quand on pointe du doigt tes points faibles. Certains auraient sans doute préféré que je le dise en privé plutôt que de l’étaler sur le site de Radio-Canada, que je leur laisse le temps de corriger. Mais ce n’est pas mon rôle, ce n’est pas ma job ! Dans la très grande majorité des cas, s’empresse-t-elle tout de même de préciser, tout se passe merveilleusement bien. »
Gourmand humanisme
Au fil des saisons, au gré des reportages, Allison Van Rassel a notamment noué des liens très forts avec différents artisans, ces discrets créateurs ô combien indispensables ! « Ce sont eux les véritables vedettes de notre gastronomie et, pourtant, on les avait oubliés », regrette-t-elle. En plus de courir les meilleures tables de la capitale nationale, cette baroudeuse dans l’âme parcourt donc la province, à la recherche d’histoires, d’anecdotes, de confidences. À la rencontre d’humains. « Être gourmand, c’est aimer les couleurs, les saveurs, les découvertes, les émotions. Mais être gourmand, c’est surtout aimer les gens », souligne la souriante philosophe.
D’ici quelques mois, cette curieuse invétérée publiera son premier ouvrage. Dans ces pages et chapitres, elle abordera des questions de santé, de société, d’agriculture, d’environnement. Elle parlera tendances, bio et nutrition. Elle tentera, une fois encore, de faire réfléchir sa « gang de gourmands ». « J’aimerais que ce livre devienne, en toute modestie, le petit guide du meilleur consommateur », résume-t-elle.
Journaliste, blogueuse, chroniqueuse, critique et donc désormais auteure, Allison Van Rassel collectionne les chapeaux. « Et ne me demandez surtout pas de n’en garder qu’un seul ! »
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