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LE COMMERCE DE L’ALIMENTATION ET DE LA RESTAURATION ALIMENTAIRE

Le constat de Me Bruno Bouffard, avocat... la Loi canadienne sur les droits d’auteur ne protège pas les recettes de cuisine

 
14 janvier 2011 | Par Christian Latour | Chasseur de connaissances | Mérici Collégial Privé

LES RECETTES ET LA LOI SUR LE DROIT D’AUTEUR

Si vous publiez vos recettes dans un livre, dans un blogue, sur un cd ou autre support, vos recettes ne sont pas protégées par les droits d’auteurs, elles peuvent donc être reproduite par ceux qui le désirent, elles peuvent être reprises, modifié, renommer, et, etc.

LES EXPLICATIONS DE Me BRUNO BOUFFARD

La Loi sur les droits d’auteur est une loi canadienne qui protège les auteurs contre les copies de leurs œuvres par des concurrents.

Qu’est-ce qu’un droit d’auteur ?

L’article 2 de la Loi sur les droits d’auteur définit le droit d’auteur comme étant : « toute œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique originale » S’entend de toute production originale du domaine littéraire, scientifique ou artistique quels qu’en soient le mode ou la forme d’expression, tels les compilations, livres, brochures et autres écrits, les conférences, les œuvres dramatiques ou dramatique musicales, les œuvres musicales, les traductions, les illustrations, les croquis et les ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l’architecture ou aux sciences.

L’article 5 de la Loi sur le droit d’auteur indique quelles sont les conditions pour qu’il y ait application du droit d’auteur :

Conditions d’obtention du droit d’auteur

5. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le droit d’auteur existe au Canada, pendant la durée mentionnée ci-après, sur toute œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique originale si l’une des conditions suivantes est réalisée :

a) pour toute œuvre publiée ou non, y compris une œuvre cinématographique, l’auteur était, à la date de sa création, citoyen, sujet ou résident habituel d’un pays signataire ;

b) dans le cas d’une œuvre cinématographique — publiée ou non —, à la date de sa création, le producteur était citoyen, sujet ou résident habituel d’un pays signataire ou avait son siège social dans un tel pays ;

c) s’il s’agit d’une œuvre publiée, y compris une œuvre cinématographique, selon le cas :
(i) la mise à la disposition du public d’exemplaires de l’œuvre en quantité suffisante pour satisfaire la demande raisonnable du public, compte tenu de la nature de l’œuvre, a eu lieu pour la première fois dans un pays signataire,
(ii) l’édification d’une œuvre architecturale ou l’incorporation d’une œuvre artistique à celle-ci, a eu lieu pour la première fois dans un pays signataire.

Est-ce que la Loi sur le droit d’auteur peut s’appliquer à des recettes culinaires ?

Comme indiqué dans l’article 2 de la loi, il est clair qu’un livre de recette, qui est une œuvre littéraire, est protégé par le droit d’auteur et qu’on ne peut le reproduire (le livre) sans l’accord de l’auteur. Mais si on prend une recette dans ce livre, qu’on la reproduit sur un autre support matériel, par exemple sur du papier, un cd, une disquette et qu’on la vend ou distribue, on n’est pas en contradiction avec la loi. En effet, celle-ci édicte que les idées ne sont pas protégées, mais plutôt leur expression sur un matériel.

État de la jurisprudence québécoise et canadienne sur le sujet

À l’heure actuelle, la jurisprudence canadienne et québécoise ne semble pas s’être penchée sur le droit d’auteur concernant les recettes de cuisine.

Concernant la Loi sur les droits d’auteur, plusieurs jugements ont par contre été rendus, notamment quant aux droits sur des pièces de musique, des livres, des cartes, etc. Suite à ces jugements : On semble avoir établi qu’une idée n’est pas protégée par le droit d’auteur.

Dans l’arrêt Boutin c. Bilodeau, 1992 CanLII 3081 (QC C.A.), le juge Jean-Louis Beaudoin, une sommité en responsabilité civile, en vient à la conclusion qu’une idée n’est pas protégée par le droit d’auteur.

Il indique aussi deux (2) conditions qui sont nécessaires pour qu’il y ait copie fautive d’un document. D’abord, (1) il faut un rapport entre l’œuvre originale et la copie, en ce sens qu’on doit pouvoir établir que l’œuvre originale est la source même de la copie. Dans la présente affaire, cette condition ne fait pas de doute. Le jugement de première instance souligne, en effet, à cet égard que Roland Boutin, président de l’appelante, a admis dans son témoignage avoir eu en sa possession, lors de la préparation de ses cartes, le modèle original de son concurrent (M.A. p. 40). Ensuite, (2) il doit exister une similitude objective suffisante entre l’original et la copie pour que cette dernière puisse être considérée comme la reproduction ou l’adaptation de la première, sans nécessairement être parfaitement identique. Il s’agit donc, dans chaque cas, d’une question de fait exigeant donc une comparaison attentive entre les deux modèles. Le juge de première instance a procédé à cette comparaison et a conclu de la façon suivante :

La Loi sur les droits d’auteur, L.C., c. C-42 ne protège pas l’idée elle-même, mais simplement les représentations de celle-ci. La responsabilité des appelants ne saurait donc être retenue uniquement parce qu’ils ont repris, à leur compte, l’idée des intimés.

Dans Moreau c. St-Vincent, [1950] Ex. C.R. 798, le juge Thorson de l’ancienne Cour de l’Échiquier s’exprimait ainsi : « It is, I think, an elementary principle of copyright law that an author has no copyright in ideas but only in his expression of them. The law of copyright does not give him any monopoly in the use of the ideas with which he deals or any property in them, even if they are original. His copyright is confined to the literary work in which he has expressed them. The ideas are public property, the literary work is his own. Every one may freely adopt and use the ideas but no one may copy his literary work without his consent. » (p. 203)

Il citait à ce propos les paroles du juge Riddell de la Cour d’appel de l’Ontario dans Deeks c. Wells, [1931] O.R. 818 : « There can be no copyright in ideas or information, and it is no infringement of copyright to adopt the ideas of another or to publish information derived from another, provided there is no copying of the language in which those ideas have, or that information has been previously embodied. » (p. 834)

(Voir aussi : Cuisenaire c. South West Imports Ltd, 1968 CanLII 122 (S.C.C.), [1969] R.C.S. 208.) Le même principe est rappelé par l’auteur H. FOX, The Canadian Law of Copyright and Industrial Design, 2e éd., Toronto, Carswell, 1967, pp. 44 et s..

Pour qu’il y ait responsabilité ici, il ne suffit pas que l’idée ait été empruntée par Qualipro Inc. à Distributions C.L.B. Inc.. Il faut une faute. Cette faute consiste en une copie de l’original, copie telle qu’elle donne, à quiconque la voit, la même idée que celle créée par l’original (King Features Syndicate Inc. c. Lechter, [1950] Ex. C.R. 297.

Selon la jurisprudence (Voir celle citée par Fox, op. cit. supra, p. 341), deux conditions sont nécessaires pour qu’il y ait copie fautive.

D’abord, (1) il faut un rapport entre l’œuvre originale et la copie, en ce sens qu’on doit pouvoir établir que l’œuvre originale est la source même de la copie. Dans la présente affaire, cette condition ne fait pas de doute. Le jugement de première instance souligne, en effet, à cet égard que Roland Boutin, président de l’appelante, a admis dans son témoignage avoir eu en sa possession, lors de la préparation de ses cartes, le modèle original de son concurrent (M.A. p. 40).

Ensuite, (2) il doit exister une similitude objective suffisante entre l’original et la copie pour que cette dernière puisse être considérée comme la reproduction ou l’adaptation de la première, sans nécessairement être parfaitement identique.

Il s’agit donc, dans chaque cas, d’une question de fait exigeant donc une comparaison attentive entre les deux modèles. Le juge de première instance a procédé à cette comparaison et a conclu de la façon suivante : « La carte de « gratteux » reproduite par les défendeurs reconventionnels comporte à sa face même des similitudes importantes et substantielles. » (M.A. p. 39)

Je suis d’accord avec cette constatation de fait. L’examen attentif des deux modèles de cartes permet de relever, entre autres, les ressemblances suivantes :

  • 1) Les deux cartes contiennent exactement le même nombre de carreaux soit 100. Ils sont de plus disposés de façon strictement identique.
  • 2) Les deux cartes contiennent des textes qui se ressemblent fortement. Ainsi dans celle de C.L.B., on trouve les termes suivants : « Grattez au verso un nombre de fenêtres correspondant à votre générosité. » Celle de Qualipro Inc. annonce : « Oui ! Expérimentez le plaisir de gratter selon votre générosité. » Celle de C.L.B. énonce : « Merci de votre encouragement. » Celle de Qualipro reproduit exactement les mêmes mots.

Par contre, lorsque l’on examine attentivement non plus les simples photocopies qui nous ont été fournies au dossier, mais les originaux déposés au dossier de la Cour supérieure, il me paraît clair qu’on ne saurait prétendre que l’œuvre des appelants n’est qu’une pure et simple copie de l’original. La dimension des deux cartes, leur facture, leur couleur, leur présentation générale sont différentes l’une de l’autre, même si, par la nature des choses, elles entrent toutes les deux dans la catégorie dite des « gratteux de charité ». Si les deux œuvres reflètent et participent de la même idée, je suis convaincu que l’une n’est pas une simple copie de l’autre.

J’estime donc qu’en l’espèce le critère de similitude objective suffisante entre l’original et le produit de Qualipro n’est pas rempli et que ce dernier ne peut être considéré comme une reproduction ou au mieux une simple adaptation de l’original.

Référence : http://www.canlii.org/fr/qc/qcca/doc/1992/1992canlii3081/1992canlii3081.html

Comparatif avec le droit étranger

Le Tribunal de Commerce Belge, lui, a tranché : il n’y a pas de droit d’auteur sur les recettes de cuisine. C’est donc dire que le plagiat et/ou la copie de recettes seraient permis…

Le tribunal de commerce de Liège a rendu un jugement qui fera du bruit : la création d’une recette de cuisine n’est pas une œuvre artistique protégée par les droits d’auteur “si elle se contente d’énoncer les ingrédients nécessaires et les différentes opérations à réaliser en une formulation strictement fonctionnelle”.

Dans cette décision, que publie la revue d’octobre de jurisprudence de Liège, Mons et Bruxelles, la 6e chambre de commerce de Liège compare une recette de cuisine à un “programme d’ordinateur ” en ce que la recette de cuisine “constitue elle aussi un assemblage de différentes composantes ; or, il a fallu une loi spéciale pour protéger les programmes d’ordinateur, ce qui est bien la preuve que ceux-ci ne bénéficiaient pas sinon de la protection du droit d’auteur”.

Dans le cas précis, le tribunal de commerce de Liège décide que cinq recettes à base de bière, les Croûtes à l’Orval, la Confiture d’oignons à la Divine de Silly, le Sabayon à la Divine de Silly, le Magret de canard aux champignons à la Saison de Silly et les Poireaux à la Saison de Silly, ne bénéficient pas de la protection de la loi sur les droits d’auteur du 30 juillet 1994. Pour le tribunal belge, “la création d’une recette de cuisine, l’originalité fût-elle établie, n’appartient assurément pas au champ littéraire ou artistique”.

Un éditeur ayant publié ces recettes attaquait une maison d’édition rivale qui s’était autorisée à publier les mêmes, et lui réclamait 8.000 euros de dommages et intérêts et le retrait de l’ouvrage du commerce.

Pour trancher, le tribunal devait d’abord décider si les recettes étaient protégées par les droits d’auteur. Sa réponse étant négative, les éditions Nicole Darchambeau, qui attaquaient les Éditions du Perron, sont donc déboutées.

Selon nos infos toujours, le tribunal se composait de trois juges, qui ont découvert que la recette des Poireaux à la Saison de Silly n’était qu’une banale béchamel et que celle des Croûtes à l’Orval était connue depuis au moins 50 ans et déjà répertoriée dans l’édition 1960 de La Cuisine de A à Z…

Alors en conclusion, dans l’état actuel du droit au Québec, il n’existe pas de droits d’auteur sur la création culinaire.

Toutefois, la Loi sur les brevets pourrait avoir une application différente, de même que les clauses de non-concurrence.

À suivre...


MÉDIAGRAPHIE

Manuel de gestion-réflexion / Christian Latour


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