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Gérer l’apparence physique des employés : un exercice délicat

 
19 juin 2013 | Par Stéphanie Fissette

L’image des employés est un puissant moyen de communication, il paraît donc légitime pour les organisations de vouloir contrôler cet aspect par la rédaction d’un code vestimentaire. Il s’agit toutefois d’une démarche ardue que les entreprises touristiques ne doivent pas sous-estimer.

Comprendre les droits de chacun

La gestion de l’apparence physique est un sujet complexe, car deux droits se confrontent en vertu de la loi québécoise. D’un côté, il y a le droit de gérance de l’employeur (subordination inhérente au contrat de travail, Code civil du Québec), qui permet à celui-ci d’édicter des règles en matière d’apparence et d’habillement. De l’autre, il y a la Charte des droits et libertés de la personne, qui reconnaît (dans sa jurisprudence) que pour l’employé, se vêtir, se faire tatouer, porter un bijou facial ou se teindre les cheveux fait partie du droit à la vie privée et à la liberté d’expression.

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Selon la hiérarchie des normes, les droits et libertés de la Charte québécoise ont préséance sur les droits de direction de l’employeur. Ce dernier doit avoir de bonnes raisons pour restreindre les droits de ses employés ; les objectifs poursuivis doivent être sérieux et légitimes. Les motifs acceptables sont notamment la santé, la sécurité, l’image ou la réputation. Les raisons de santé et d’hygiène sont plus faciles à justifier que celles liées à l’image. Il est plus simple d’imposer le port du filet à des cuisiniers que le port de la cravate à des employés de bureau.

La latitude de l’employeur dépend aussi de la nature des activités de l’organisation. Le besoin d’une politique plus restrictive sera aisément démontré dans un hôtel luxueux et plus controversé dans un restaurant familial. En cas de litige, l’employeur a le fardeau de la preuve. Devant un tribunal, une organisation qui aurait interdit les tatouages apparents pour des raisons d’image (et d’éventuelle perte de clientèle) devrait prouver que ses craintes se basent sur des faits objectifs. Les atteintes aux droits des employés doivent être minimisées, et lorsque l’on impose des restrictions, même légitimes, celles-ci doivent être proportionnelles à l’effet recherché.

Rédiger un code vestimentaire

Chez Google, le code vestimentaire ne contient qu’une seule ligne : porter des vêtements. Petite touche d’humour qui démontre que le code est aussi le reflet de la culture organisationnelle.

Certaines précautions s’imposent lors de la rédaction d’une politique vestimentaire. Premièrement, celle-ci doit être exempte de discrimination : on doit éviter d’y préciser les types de vêtements qui établissent une distinction entre les sexes, et laisser une certaine souplesse pour les impératifs religieux.

Certaines organisations ont un code d’habillement très précis, on y détaille longueurs, couleurs et styles acceptables. S’il a l’avantage d’être clair, le code strict requiert plus de contrôle. Des règles trop restrictives pourraient aussi être contestables. Par exemple, l’interdiction de porter des jeans dans un centre d’appel pourrait être jugée comme excessive. Une certaine souplesse est donc recommandée. L’utilisation de termes comme « tenue appropriée » ou « tenue soignée » est à privilégier. Le but est d’orienter les choix tout en laissant place au jugement de l’employé. Le code devrait toutefois être très clair sur ce qui n’est pas toléré : sandales de plage, short ou casquette, par exemple. Que l’organisation choisisse un code strict ou souple, elle doit être prête à le faire respecter, sinon mieux vaut s’abstenir plutôt que d’entacher sa crédibilité.

Plus facile d’obliger le port d’un uniforme ?

Plusieurs entreprises touristiques ont choisi d’imposer le port de l’uniforme. Celui-ci présente plusieurs avantages : il permet d’identifier facilement les employés et d’uniformiser leur image. Certains coûts sont toutefois à considérer. Lorsqu’un employeur rend obligatoire le port d’un vêtement particulier, il doit le fournir gratuitement aux employés payés au salaire minimum. De plus, on ne peut jamais exiger d’eux qu’ils paient pour un vêtement qui les identifie à leur établissement.

Le port d’un uniforme s’accompagne généralement d’une politique précisant où, quand et comment celui-ci doit être porté. L’uniforme est un symbole qui témoigne des valeurs privilégiées par l’organisation. Le choix par une entreprise de distinguer la tenue des cadres de celle des autres employés est très éloquent sur le plan des distances hiérarchiques.

L’apparence corporelle

Généralement, le code vestimentaire s’élargit pour régir l’apparence corporelle des salariés. Les règles imposées devront tenir de la nature des activités de l’organisation. Par exemple, un « village historique » serait dans son droit d’exiger que les guides en costume d’époque ne portent ni tatouage ni piercing apparent, et que les cheveux ne soient pas excessivement colorés.

Au Québec, le nombre de personnes ayant tatouages et piercings a considérablement augmenté dans les dernières années, celles-ci ne sont donc plus marginalisées. Si les préjugés tendent à disparaître chez les Québécois, ce n’est toutefois pas universel. Certaines clientèles sont encore très sensibles, comme les personnes âgées ainsi que les clients provenant du Japon et de la Corée du Sud. Le Conseil québécois des ressources humaines en tourisme (CQRHT) a produit une capsule vidéo (visionnez ce lien) pour vous aider à rédiger votre propre politique à ce sujet.

Quand l’habit fait le moine

Selon la chercheuse Sandra Dolbow, le relâchement dans la tenue vestimentaire correspondrait à un relâchement dans l’attitude et le comportement. Un habit qui inspire professionnalisme, élégance ou maintien pourrait inciter celui qui le revêt à démontrer ces mêmes qualités. Dans l’industrie, le client, pour qui la première impression est déterminante, se laisserait aussi grandement influencer par les apparences.

S’habille-t-on pour soi ou pour l’autre ?

Devant des règles strictes en matière d’apparence, les réactions diffèrent, notamment chez les jeunes. Alors que certains valorisent la mise en place d’un code vestimentaire, d’autres le fuient. Pour ces derniers, leur image ne regarde qu’eux et ne traduit en rien leur compétence. Ils préféreront généralement se tourner vers un employeur tolérant. La gestion de l’apparence physique envoie donc un message fort au sujet des valeurs organisationnelles, elle sera même source d’attraction ou de répulsion.

Les exigences vestimentaires doivent être bien comprises par les employés, et pour éviter les surprises, on devrait aussi en informer les candidats dès l’entretien d’embauche. Une discussion ouverte sur le sujet est d’ailleurs une bonne occasion pour l’organisation comme pour le candidat de vérifier la compatibilité de leurs valeurs.

Cet article a initialement été publié sur veilletourisme.ca et est reproduit ici avec l’autorisation de ses responsables.

Sources :

  • Delagrave, Anne-Marie. « Le contrôle de l’apparence physique du salarié », Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2010, 180 p.
  • Dolbow, Sandra. « Apparelers Dress Down Casual-Look Instigators », Brandweek, vol. 41, no 33, 21 août 2000, p. 10.
  • Joubert, Nicolas. « Selon la loi, où s’arrête le contrôle de l’apparence physique par l’employeur ? », VigieRT, Ordre des conseillers en ressources humaines agréés, no 77, avril 2013.
  • Latulippe, Pierre. « L’employeur peut-il obliger un employé à porter une tenue vestimentaire particulière ? », VigieRT, Ordre des conseillers en ressources humaines agréés, no 35, février 2009.
  • Wagner, Charles et Rhéaume Perreault. « Rédaction d’une politique vestimentaire : êtes-vous assez précis ? », VigieRT, Ordre des conseillers en ressources humaines agréés, no 69, juin 2012.

Mots-clés: Tourisme

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