Nous sommes entourés d’eau, mais connaissons mal les poissons, que nous mangions autrefois le vendredi. L’obligation reléguée aux oubliettes, nous avons délaissé les produits marins, pour notre plus grand malheur. Pendant que nous boudions poissons et fruits de mer, des étrangers sont venus et ont presque décimé nos stocks de morue avant que l’on y mette le holà. Heureusement, la tendance santé a renversé quelque peu l’image négative que nous avions du poisson et fait grimper, lentement mais sûrement, notre consommation. Reste à faire sa quote-part pour aider les espèces vulnérables ou menacées à se reconstituer.
Y a-t-il chez nous beaucoup d’espèces vulnérables ou menacées, ou susceptibles d’être désignées menacées ou vulnérables ?
Le ministère des Ressources naturelles et de la Faune du Québec recense deux espèces de poisson vulnérables, une espèce menacée et douze espèces susceptibles d’être désignées menacées ou vulnérables(voir tableau à la page suivante). Sauf dans le cas du chevalier cuivré qui est interdit de pêche, cela ne signifie pas que l’on ne peut afficher les autres espèces sur son menu ou les consommer. « Si les quotas de pêche sont respectés et si ces poissons se retrouvent chez les grossistes, il n’y a pas de problème », affirme Francis Bouchard, biologiste au ministère des Ressources naturelles et de la Faune du Québec. « Contrairement à la croyance populaire, on pêche encore la morue, nous apprend pour sa part Viviane Haeberlé, de Pêches et Océans Canada. Certes, les quotas sont moins élevés qu’il y a dix ans, mais les stocks ne sont pas épuisés. » On trouve chez le poissonnier de la morue d’ici... et d’ailleurs. De janvier à décembre 2005, le Canada a importé 14 825 tonnes de morue venant des
États-Unis, de la Chine, de la Norvège et de la Russie. Cette morue est généralement déjà transformée, surgelée ou en filet. Pour le bénéfice des chefs désireux de faire de meilleurs choix, Seafood Choices Alliance, une association de l’industrie des produits de la mer basée aux États-Unis, a sélectionné des poissons d’espèces abondantes pêchés selon le respect de l’environnement. Encore faut-il qu’ils soient disponibles chez nous...
Qu’en est-il des soi-disant risques reliés à la consommation de poissons contaminés ou contenant des contaminants ?
À la conférence de Washington de décembre dernier, experts et scientifiques ont été formels : les bienfaits du poisson surpassent largement ses inconvénients, surtout en Amérique du Nord, où les gens ne mangent pas assez de produits de la mer. On y a fait état d’un rapport, résultant d’une recherche effectuée auprès d’enfants aux Îles Seychelles, sur de supposés risques associés à une exposition aux contaminants environnementaux tels que le mercure et le BPC. Or, l’ensemble des données actuelles et leur interprétation par les autorités compétentes indiquent que les quantités de contaminants que l’on trouve dans les poissons sont nettement inférieures aux taux présentant un réel danger. « Les chercheurs ont remis les points sur les i, indique Yves Bastien, directeur général de la gestion de l’Aquaculture à Pêches et Océans Canada. Le problème, ce n’est pas les contaminants, qui sont minimes si on les compare à d’autres sources de contamination dans la chaîne alimentaire, mais c’est plutôt l’effet négatif du rapport en question sur les consommateurs. On leur a fait inutilement peur. » Bref, on doit fonder sa décision d’inclure des produits de la mer dans son alimentation non pas sur les manchettes de l’actualité, mais sur des données scientifiques.
Que choisir : poissons d’élevage ou poissons sauvages ?
« Les deux ont leur place et leurs avantages. Il sont également excellents pour la santé, répond tout de go Yves Bastien, de Pêches et Océans Canada. L’industrie canadienne et les deux niveaux de gouvernements se sont entendus pour une meilleure intégration des deux secteurs, de façon à ne pas favoriser l’un au détriment de l’autre. » On parle ici surtout du saumon qui subit une forte concurrence, du Chili notamment. Les chefs apprécient le saumon d’élevage pour l’approvisionnement stable, la standardisation de la taille et sa grande qualité. De ses premiers moments en bassin jusqu’à l’assiette du consommateur, on sait ce qu’il a mangé et on peut modifier sa diète au besoin. On le retrouve souvent sur le menu dès le lendemain de sa pêche. Le saumon sauvage, lui, est soumis aux aléas de la nature ; sa taille n’est jamais uniforme.
Partout au pays, on élève poisson et fruits de mer. La Colombie-Britannique et le Nouveau-Brunswick élèvent du saumon, l’Île-du-Prince-Édouard des moules en abondance, l’Ontario et le Québec de la truite arc-en-ciel, le Nouveau-Brunswick des huîtres. Par ailleurs, il y a beaucoup de place au Québec pour l’élevage des mollusques. En effet, on n’y trouve qu’une quinzaine de producteurs de moules, en Gaspésie, aux Îles-de-la-Madeleine et sur la Basse-Côte-Nord.
Comment choisir des poissons en privilégiant l’environnement ?
Colombe Saint-Pierre, lauréate du Renaud-Cyr 2005, a ouvert son restaurant, Chez Saint-Pierre, au Bic, il y a deux ans. Elle n’y a jamais servi de morue. « Je la laisse tranquille, répond-elle au poissonnier qui lui en offre. Il y a certes des quotas, mais cela ne l’aidera pas à se régénérer dans le Bas-Saint-Laurent, où il y avait autrefois d’énormes bancs de morue. Mais surtout, le produit ne me satisfait plus. » Par respect pour la morue, elle modifie les traditions en mettant à son menu de la brandade de turbot, par exemple. « J’essaie de susciter de nouvelles pêches, mais ça n’est guère facile, concède-t-elle. Quand les gens ne connaissent pas un produit, ils ne sont guère tentés d’essayer. Aussi, mon personnel les encourage-t-il à partir à la découverte. »
Dans son coin de pays, on fume l’esturgeon et le maquereau. Il est même... impossible de les trouver fraîchement pêchés. L’esturgeon est pourtant un poisson à la chair très dense, comme du poulet, qui rappelle un peu le requin. Mme Saint-Pierre a mis un an avant de pouvoir l’obtenir frais. Pour le maquereau, cela fait deux ans qu’elle essaie. Les quotas sont vendus d’avance pour les fumoirs. On a abandonné le transport du maquereau qui, si on ne le glace pas tout de suite, finit par dégager une odeur assez forte. « Faire l’effort de mettre de côté 10 livres de maquereau glacé, ce n’est pas évident », déplore-t-elle, tout en reconnaissant que les poissonniers tentent de l’aider du mieux qu’ils peuvent.
Le saumon, qui ne vient plus de l’Atlantique, mais d’un peu partout, ne lui convient pas, à moins qu’il soit originaire du Nouveau-Brunswick. Sa chair est trop molle et trop grasse. Elle a donc déniché un saumon biologique de la Colombie-Britannique, même si elle donne priorité aux produits régionaux. Elle déplore que l’on ait boudé l’anguille laquée, un pur délice ! Pêchées à Kamouraska, les anguilles sont vendues d’avance aux Japonais. Là encore, elle a réussi à convaincre les pêcheurs de lui en réserver un peu. Reste que les restaurants de sushis des environs s’approvisionnent au Japon d’anguille fumée pêchée à Kamouraska ! Pas de tout repos le parcours d’une combattante du Bas-Saint-Laurent pour protéger l’environnement et l’avenir de notre planète !
Tableau : Les espèces québécoises potentiellement en difficulté
ESPÈCES VULNÉRABLES
- Alose savoureuse (pas en grande quantité sur le marché)
- Éperlan arc-en-ciel (population du sud de l’estuaire du Saint-Laurent)
ESPÈCE MENACÉE
- Chevalier cuivré (interdit de pêche)
ESPÈCES SUSCEPTIBLES D’ÊTRE MENACÉES OU VULNÉRABLES
- Brochet vermiculé
- Chat-fou liséré
- Chevalier de rivière
- Cisco de lac, fraie de printemps
- Dard arc-en-ciel
- Dard de sable
- Esturgeon jaune
- Esturgeon noir
- Lamproie du nord
- Méné Jaiton
- Méné d’herbe
- Omble chevalier oquassa (surtout dans le sud du Québec)
N.B. À l’exception du chevalier cuivré qui est interdit de pêche, si les poissons listés plus haut se retrouvent chez les grossistes, c’est que les quotas de pêche sont respectés. Les poissons en caractères gras sont parmi les plus susceptibles de se retrouver chez le poissonnier ou le grossiste.
Source : Ministère des Ressources naturelles et de la Faune du Québec